S’il y a un système que le Sénégal n’a toujours pas réussi à sécuriser, c’est bien celui concernant la matière électorale. Si l’identification de l’électeur et le passage à l’isoloir ont été déterminants dans la fiabilité, globalement, des résultats, il reste que les politiques ont souvent inoculé des virus dans le système.
Notre pays, malgré le fait qu’il vote, depuis 1848, n’a pas réussi à négocier les virages dangereux que constituent les années électorales. En 1988 comme en 1993, le Sénégal a frôlé le pire à l’occasion de consultations électorales. En 1999, année pré-électorale déterminante car ayant précédé la première alternance politique de 2000, la carte d’identité, document électoral de base, a cristallisé les passions. Nommé ministre de l’Intérieur parce qu’à équidistance entre les chapelles politiques, le Général Lamine Cissé entreprend de sécuriser le sésame. Les Israéliens sont appelés à la rescousse pour la confection de cartes d’identité nationale non falsifiables. L’opposition de l’époque qui suspecte une manœuvre frauduleuse met en place le Front pour la régularité et la transparence des élections (Frte). Lequel front conteste la fiabilité de ce document. Sûres ou pas, c’est avec ces «Israéliennes» que Wade accède au pouvoir. «La démocratie, c’est la confiance dans les règles du jeu», disait un éminent constitutionnaliste sénégalais qui aime rappeler le système américain. Dans ce système, aux dernières élections, Hillary Clinton, battue au décompte des grands électeurs, a devancé de 2,86 millions de voix son challenger, l’actuel Président, Donald Trump, dans le vote populaire.
Arrivé au pouvoir, Wade entreprit de refondre le système. Suppression de l’Onel et son remplacement par la Cena, refonte totale du fichier électoral et instauration de la carte d’identité numérisée, tout y passe. Mais rien n’y fit. Son opposition le soupçonne de parasiter le système pour lui ravir la victoire. Comme dernière garantie de sa bonne foi, Me Wade nomme ministre en charge des Elections Cheikh Guèye, un inspecteur général d’Etat sans tâche qui fut le maître d’œuvre de la présidentielle de 2000 en tant que Directeur général des élections. La suite est connue de tous.
Le pouvoir de Macky Sall qui, visiblement, n’a pas appris des erreurs de ses prédécesseurs, procède, moins d’un an avant les législatives, à la refonte du fichier. A l’arrivée, le fiasco est tel qu’il est obligé de trouver la parade. Et comme à chaque fois que le pouvoir est dans l’impasse, le Conseil constitutionnel est envoyé au charbon pour valider le vote avec des documents autres que la carte d’identité et la carte d’électeur. Il s’agit, entre autres, du récépissé de dépôt. Avis favorable des 7 sages. «En raison des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se déroule le processus d’organisation des prochaines élections législatives prévues le 30 juillet 2017, caractérisées notamment par des inscriptions massives ainsi que par des lenteurs et des dysfonctionnements dans la distribution des cartes d’électeur non imputables aux citoyens eux-mêmes, de nombreux Sénégalais jouissant de leurs droits civils et politiques et inscrits sur les listes électorales risquent d’être privés de l’exercice du droit de vote garanti par la Constitution. Pour parer à ce risque, le Conseil constitutionnel décide, à titre exceptionnel, le vote sur présentation de récépissé d’inscription accompagné soit d’une carte d’identité nationale numérisée, d’une carte d’électeur numérisée, d’un passeport et d’un document d’immatriculation pour les primo-inscrits». C’est la substance de l’avis rendu, mercredi, par l’Assemblée générale consultative du Conseil constitutionnel saisi en ce sens par le président de la République. A tout point de vue, il s’agit, pour Macky Sall, de régler un problème. Sauf que, en le faisant, il risque d’en créer bien d’autres. Et cela rappelle le précédent du vote par ordonnances de 1993 avec tout le contentieux qui s’en est suivi. Cette année, en effet, dans la pagaille électorale, le pouvoir autorise le vote par ordonnances. S’ensuivit un détournement massif et en quantité industrielle de cette commodité juste destinée à ceux qui, pour une raison ou pour une autre, n’avaient pu le faire dans le bureau où ils étaient inscrits. Pouvoir et opposition y vont à fond…les urnes. Le fiasco est tel que ni la Cour d’appel ni le Conseil constitutionnel ne veut prendre la responsabilité de publier les résultats. Les conséquences dramatiques sont si fraîches dans les mémoires qu’il n’est point besoin de les rappeler.
Ibrahima ANNE (Walf Quotidien)