CHRONIQUE DE MAREME
Malick : Dans l’enfer de la prison
Je me demande des fois ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter tout ça. En plus d’avoir été accusé à tort, je me retrouve avec mon pire ennemi comme juge. Je ne compte pas les accrochages que nous avons eus ensemble dans les affaires qu’il a eu à juger. Comme imaginé, il ne m’a pas accordé de liberté provisoire et le pire dans tout ça, c’est que mon avocat n’a pas réussi à convaincre cette menteuse de Marianne de revenir sur sa déposition. Dimitri n’a rien trouvé de louche à part le fait qu’elle sortait avec Idrisse en même temps que moi. Cela m’a surpris mais ne m’a pas touché, au contraire cette nouvelle ne fait que montrer le côté tordu de cette femme.
Deux ans d’affilé que les malheurs se succèdent les uns plus féroces que les autres. Je ne me rappelle plus à quel moment j’ai connu le bonheur plus d’un mois. Je suis en prison depuis un mois et j’ai l’impression d’avoir fait une année entre ces murs austères et empreints de tristesse.
La prison de Rebeuss est une vraie jungle où les caïds règnent en maitre sous la complicité de certains gardiens. Depuis que je suis là, j’ai entendu tant de monstruosité que des fois je n’en dors pas. Jamais je n’aurai imaginé que l’on pouvait violer aussi aisément les dignités humaines. Des hommes qui sont censés faire régner la loi, se laisse entrainer dans le cercle vicieux de l’intolérance et de l’injustice qu’engendre l’abus de pouvoir.
Ici, il y a plusieurs catégories, les détenues politique et hommes d’affaires sont pour la plus part du temps au secteur 5 où règne le luxe. Moi, on m’a placé au troisième secteur où je partage ma chambre avec un ex-directeur de société qui avait fait un détournement d’argent. Djibérou Mbaye est un homme très fin d’esprit qui connait tous les coins et recoins de la prison mais surtout qui a une capacité d’adaptation extraordinaire. En moins d’un an, il a su mettre toute la prison dans sa poche, des gardiens aux caïds. Il est aimé de tous et sais comment acquérir les informations qu’il veut. Cet homme est une bibliothèque d’information et comme il veut que mon cabinet rouvre son dossier, il m’a accueilli avec tous les honneurs. Il a été mon ticket d’entrée et surtout mon guide dans cet enfer sur terre.
Aujourd’hui, je sais mieux que personne les réalités obscures qu’enferme l’emprisonnement à Rebeus. Je n’oublierais jamais le jour où j’ai visité le 2ème secteur où, dans les chambres 9 et 10, sont entassés comme des sardines 140 personnes sur environ 60 mètres carrés. Tout ce beau monde fait ses besoins dans une minuscule toilette où l’odeur se fait sentir à plus de mille lieux. Je n’ai même pas osé y entrer. Ce surpeuplement est dû à la longue période des détentions préventives, plus de la moitié des prisonniers attendent d’être jugés. Par faute d’argent pour se payer un avocat, certains restent des années en détention préventive, leurs dossiers ayant été sûrement mis aux oubliettes. Le cas qui m’a le plus marqué est ce jeune homme qui a volé un œuf et qui est en prison depuis cinq ans. Je me suis promis moi-même de le défendre à ma sortie. Quand j’en aurai fini avec ce dossier, le gars sera riche. Je n’ai jamais travaillé dans le social mais dès ma sortie, j’ouvrirai une branche spéciale pour ces hommes sans moyen et dont la plupart ont déjà purgés leurs peines vu le délit insignifiant qu’ils ont commis. Le plus triste dans l’histoire c’est que la plus part sont entrés en prison en simple délinquant juvénile pour en sortir en bandit pur et dur. La prison ayant détruit le peu d’humanité qui leur restait. Les tortures ne sont pas seulement physiques mais elles sont surtout psychologiques. Les jeunes hommes fraichement arrivés sont transformés en femme la nuit par les caïds. Rien que d’y penser, j’en ai les larmes aux yeux. Tant de vie détruite, des fois j’oublie même mon cas.
– Maitre Kane, vous avez de la visite. Je lève la tête de mon Coran pour voir le gardien derrière la porte de la cellule avec son sourire jaune. Je ferme mon livre sain et me lève avec peine car j’ai des fourmis aux jambes. Je ne sais même pas combien de temps j’ai passé assis sur mon natte. La prière est devenue mon refuge. Comme beaucoup de prisonniers, ici, seule la retraite spirituelle aide à tenir bon.
Je me dirige vers la salle de visite en pressant le pas. La dernière fois c’était avec Abi et mes sœurs, donc aujourd’hui c’est Aicha. J’espère qu’elle sera seule car j’ai remarqué qu’elle est un peu bizarre. Elle est moins démonstrative et surtout très silencieuse. Comme à chaque fois, mon cœur bat la chamade et se remplie de joie. J’ai toujours peurs quand je dois la retrouver. Va-t-elle continuer de supporter cette situation ? Restera-t-elle avec moi si je suis condamné ? Parce qu’il ne faut pas se voiler la face, je n’ai que 10 % de chance de m’en sortir.
J’ouvre la porte avec énergie mais mon exaltation fut vite dissoute quand je vois ma mère et un des pires ennemis de mon défunt père et de surcroît son frère. Cela doit faire presque cinq ans que je ne l’ai pas vu. Je devine aisément ce qu’il vient faire ici et je regarde ma mère avec désapprobation.
Aicha était assise entre les deux. Comme à chaque fois qu’elle vient me voir, maman commence sa crise. Avec cette façon extraordinaire de montrer sa peine, elle me fait des fois peur. Elle se prend la bouche et tape les deux mains. C’est partie….
Maman : Hé Dieu qu’est – ce qu’on t’a fait woooo….quelle malédiction woooo….pourquoi lui woooo….Elle se tape très fort la poitrine et reprend un autre tour. Habitué à ce cirque, je me tourne vers Aicha, laissant le soin à mon oncle de la calmer. Cette dernière porte une jolie taille basse rouge avec de jolis motifs de toutes les couleurs. Ça lui va si bien que je ne peux m’empêcher de la prendre dans mes bras et de l’embrasser. Tant pis pour les âmes sensibles.
Mon oncle (choqué) : Astaghfiroulah, tu n’es pas un toubab Malick. Qu’est – ce que ça veut dire ?
Moi (ricanant) : Tu as vu comme elle est jolie ? Aicha n’ose lever la tête. Je lui prends la main et la pousse à s’assoir près de moi en l’encerclant très fort dans mes bras. Là, j’intercepte un regard méchant de ma mère envers Aicha. Ce qui me fait tiquer de suite.
Moi (énervé) : Que se passe-t-il encore ?
Maman (essuyant ses larmes) : Je ne sais pas comment te le dire ? Elle se tourne vers mon oncle qui, comme elle, fuit mon regard.
Moi (ton tranchant) : Si c’est pour me dire des absurdités alors abstenez-vous car je ne n’ai vraiment pas la tête….
Mon oncle : Surveille ton langage mon fils, tu as oublié à qui tu parles ?
Aicha me pince le bras et me jette un regard tellement suppliant que je me tais.
Maman (hésitante) : Ce que je vais te dire va te paraitre absurde et surtout tu vas croire que je le fais….
Moi (stressé) : Viens en au fait. Je croise les bras et sort mon visage le plus renfrogné. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que cela a à voir avec Aicha. Maman regarde mon oncle qui se racle la gorge avant de parler.
Mon oncle : ça concerne vous deux et ne sera pas facile à entendre.
Moi (commençant à deviner ou il veut en venir) : Alors ne le dis pas. Sans le vouloir, les battements de mon cœur s’accélèrent.
Mon oncle : Pourtant, il le faut mon fils alors écoute moi bien et ne me coupe pas s’il te plaît. Je me lève de la chaise avec rage mais Aicha me retient par le bras avec force. Ses yeux sont embués de larmes et elle les essuies d’un revers mains. Mon oncle fait pareil et se met en face de moi, me regardant droit dans les yeux avant de continuer. Je m’étais juré de ne plus me mêler de ta vie parce que tu es comme ton père, un toubab qui ne croit plus nos réalités. Mais tu es le fils de mon frère, mon sang. Alors qu’importe ta colère quand tu entendras ce que j’ai à te dire, au moins j’aurai rempli mon devoir envers toi.
Moi (me retenant) : Parle et qu’on en finisse. Il racle encore sa voie avant de commencer.
Mon oncle (regardant vers Aicha) : Si j’ai voulu te voir en présence de ta femme c’est parce qu’elle est en partie la cause de tout ceci. Indirectement bien sûr s’empresse t – il de dire vu le regard noir que je lui ai lancé. Dès que tu as commencé à souhaiter qu’Aicha devienne ta femme, les problèmes se sont succédé. D’abord ton accident de voiture qui a failli te couter la vie, ensuite celui de l’avion, puis elle avec son kidnapping et sa tentative de suicide, enfin cette affaire qui risque de détruire ta carrière à jamais. Tu… Je lève la main.
Moi (le stoppant) : Assez, je ne veux plus rien entendre. Merci d’être venu et à l’avenir mêle toi de ce qui te regarde. Je n’ai pas besoin d’aide pour mettre de l’ordre dans ma vie. Tes remarques, tu les gardes pour toi et ton groupe de sorciers.
Mon oncle (outré) : Si tu étais mon fils, je t’aurai donné une bonne gifle. Ton insolence te perdra.
Moi (regard noir) : Comme tu dis, je ne suis pas ton fils. Maintenant si tu veux bien nous excuser. Je décale d’un pas et lui fait signe du menton la sortie.
Mon oncle (fulminant) : Tu vas regretter cet affront. Ma mère le supplie et le suit comme un toutou vers la sortie. Je me retiens grave pour ne pas exploser. Aicha ne semble plus tenir sur ses pieds, je m’empresse de la faire assoir et de la prendre dans mes bras en lui murmurant dans son oreille.
Moi : Ne croit surtout pas à ce qu’il vient de dire. Au Sénégal, on lie tout au mysticisme et cet homme que tu viens de voir ne vit que de ça. Mon père l’a éloigné très tôt de sa vie.
Aicha (triste) : ils ont raison Malick, arrêtons de nous voiler la face. Depuis le début, c’est comme ça. A chaque fois que l’on se met ensemble, il arrive un malheur à l’un d’entre nous. Nous sommes des étoiles contraires…
Moi (énervé) : tu….
Maman (derrière moi) : Ecoute là, ne laisse pas ton amour t’aveugler.
Cette fois j’explose.
Moi (criant) : Arrête tes bêtises. Est – ce que tu t’entends maman ? Tu es en train de cautionner exactement ce que papa a réfuté jusqu’à sa mort. Es – tu aussi désespérée pour croire mon oncle, ce charlatan de bas étage ? Tu as oublié ou veux-tu que je te rafraîchisse la mémoire ? Je me tourne pour m’adresser à Aicha et je ne la vois pas. J’ai un haut le cœur et une migraine fulgurante apparait. Je prends ma mère par le bras en la poussant. Va la rattraper, si jamais elle me quitte, je ne suis plus ton fils.
Maman (recommençant à pleurer mais cette fois avec franchise) : Il y va de ta survie. Alors même si je dois te perdre, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous séparer. J’ouvre la bouche mais aucun son ne sort. Hé Allah.
Aicha : la décision
Je sors de la prison, le cœur meurtri car maintenant dans ma tête tout est clair. Des fois l’amour ne suffit pas pour rendre heureux. Seul Dieu sait ce qui est la cause de tout ceci mais ce qui est sûr c’est que nous ne serons jamais heureux ensemble.
Connaissant Malick, il n’acceptera jamais de me laisser partir mais il m’en voudra énormément si je le quitte à cet instant où il a le plus besoin de moi. Il se sentira trahi et n’essayera pas de me retrouver. Je prends mon portable, les mains tremblantes et compose le numéro de Michael.
Moi (la voix tremblante) : Bonjour Micha, est – ce que tu peux me trouver un avocat spécialisé en divorce.
Lui (voix inquiète) : Oui bien sûr. Tout va bien ?
Moi (le souffle coupé) : Oui. Je te laisse. Dès que je raccroche, je fonds en larme. Maintenant que c’est sorti de ma bouche, je craque. Je suis restée une quinzaine de minutes dans la voiture avant de démarrer direction chez Marianne. Il parait qu’elle est sortie depuis une semaine maintenant. Peut – être qu’elle reviendra sur sa déposition si elle sait que je pars car au fond c’est mon retour qui est la cause de tout ceci.
Cela m’a pris presque une heure pour convaincre Suzanne de me donner l’adresse de Marianne et en même temps la faire jurer de ne rien dire à Malick. Elle savait comme moi que Malick n’avait aucune chance de gagner ce procès. Il fallait un miracle.
Je me gare devant l’immeuble où habite la sorcière et sort de la voiture bien décidée. Je présente au gardien cinq billets vert qu’il s’empresse de mettre dans sa poche avant de m’ouvrir grandement la porte de l’immeuble. Avec l’argent tout s’achète. En prenant l’ascenseur, mon esprit tourne cent à l’heure, je ne sais même pas quoi lui dire. Devant la porte, mon cœur bat très fort. Je prends un grand air et sonne. Il n’y a plus de retour en arrière.
Comme soupçonnée, sa première réaction quand elle ouvre la porte est d’essayer de la refermer au plus vite. Je me dépêche de lui en empêcher et de la pousser très fort avec la porte. Elle court derrière le comptoir et prend un couteau.
Moi (levant les mains) : Je viens en paix Marianne, je veux juste trouver un terrain d’entente avec toi.
Elle (hystérique) : Tu ne me convaincras pas, j’irais jusqu’au bout.
Moi (croisant les mains) : Tes conditions sont les miennes. Je ferais tout ce que tu voudras.
Elle (fronçant les cils) : C’est un piège.
Moi : Tu as ma parole d’honneur que…
Elle : Je n’en ai rien à foutre de ta parole. Je suis sûre que tu as un micro sur toi.
Moi : Mais non. Je te jure que je n’ai rien sur moi. Elle me fait signe d’approcher. Après cinq minutes de fouilles méticuleuses, elle accepte enfin de me parler.
Elle : Bon qu’est-ce que tu me veux ?
Moi : C’est à toi de me dire ce que tu veux, répondis – je en venant m’assoir en face d’elle.
Elle (sourire machiavélique) : Je veux lui rendre la monnaie de sa pièce, le faire souffrir.
Moi (bouillant de l’intérieur) : Tu ne crois pas qu’il a déjà assez payé. Cela fait un mois qu’il est prison maintenant et cela va s’en dire que cela porte gravement atteinte à son entreprise. Déjà qu’il était en difficulté, cette publicité mensongère va carrément le faire sombrer.
Elle (rictus amère) : Vous savez aussi bien que moi que Malick saura se relever facilement, il est doué dans ce qu’il fait. D’ailleurs il est doué en tout surtout au lit finit-elle en éclatant de rire. J’ai juste envie de l’étrangler. Elle se relève et va se servir un verre de jus d’orange qu’elle boit d’un trait. Ses mains tremblent légèrement montrant ainsi son trouble qu’elle essaye tant bien que mal de cacher. Elle est bien décidée à aller jusqu’au bout cette sorcière. Je sors ma deuxième arme.
Moi (la rejoignant) : Et si je te donnais l’occasion de te venger sans que vous ayez à vous entredéchirer dans un procès. Car il en va sans dire que ça ne sera pas seulement lui qui sera au-devant de la scène. Aux yeux de la société, tu es la maitresse, l’infidèle et encore. Les avocats de Malick vont….
Elle (énervée) : Tant pis, il a déjà détruit ma vie alors ne te fatigue pas, je ne vais pas reculer dit – elle, les yeux noirs de colère.
Moi : Même si je le quitte. Une lueur de joie traverse ses yeux avant de reprendre son sérieux
Elle : Tu bluffes.
Moi (décisive) : Pas le moins du monde. Si tu acceptes mon marché, je t’enverrais au plus tard jeudi mes papiers de divorce.
Elle : Malick ne va jamais accepté de signer les papiers.
Moi : cela dépend de comment je vais le lui présenter. Tu le connais, il a une égo surdimensionné, si je lui fais croire que j’ai honte d’être la femme d’un meurtrier, il signera et ne cherchera plus à me voir. Alors ?
Elle : Et qui me dit qu’après tu ne vas pas revenir et tout lui expliquer ? Tu me prends pour qui ?
Moi : Parce que je ne veux plus de lui. Elle éclate de rire jusqu’à se tenir le ventre mais voyant que je reste de marbre, elle reprend son sérieux.
Elle : Pourquoi ?
Moi : C’est personnel. Je t’enverrais aussi la photocopie de mon billet d’avion car je quitte le pays au plus tard jeudi. Je prends mon sac et en sort la carte de visite de Michal. Voici mon adjoint, appelle-le pour récupérer pour disposer de la somme d’un million de dollars que je t’ai allouée. Cette fois ses yeux s’éclaircissent de joie. Tout ce que je veux c’est que tu disparais de la vie de Malick. Si tu ne changes pas ta déposition d’ici la fin de la semaine, je considérerais ce contrat nul et non avenu. Adieu Marianne. Je tourne les talons et sors de son appartement sans me retourner. Maintenant à moi de respecter mon contrat.
Par Madame Ndèye Marème DIOP
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