CHRONIQUE DE WATHIE
Si la démocratie se manifeste par une égale dignité entre les Pouvoirs Exécutif, Législatif et Judicaire, alors le Sénégal ne peut s’en targuer. Le chef de l’Etat est président du Conseil supérieur de la Magistrature et décide de la nomination des juges. Il désigne le ministre de la Justice sous la tutelle de qui est le procureur de la République, maîtres des poursuites à qui les policiers obéissent. Le président de la République est le leader incontesté de son parti et décide de qui doit être investi sur les listes de son camp aux élections législatives. Les députés de sa mouvance, élus à l’issue de ces joutes électorales, lui étant anormalement redevables, font plus qu’applaudir les ministres que contrôler l’action du gouvernement. Depuis plusieurs décennies, le Sénégal fonctionne ainsi.
Elu pour impulser le changement pour lequel les Sénégalais l’ont presque plébiscité, Macky SALL, dont les souteneurs aiment à rappeler qu’il est né après les indépendances, se sent tout à son aise dans ce système. «Ceux qui disent que le président de la République n’a pas à se mêler de la vie parlementaire et des élections législatives font une mauvaise lecture de notre Constitution qui stipule que le président défini la politique de la nation et gouverne le pays. Mais sans majorité à l’Assemblée nationale, peut-on gouverner correctement le pays ? », a soutenu le président SALL en visite en Gambie, en marge de la fête d’indépendance de ce pays voisin. Le leader de l’APR demande ainsi une « forte majorité » à l’Assemblée nationale pour, insiste-t-il, gouverner « sans problème». Une restriction de la fonction de député à l’assurance au président d’une gouvernance sans anicroche. Voilà comment Macky conçoit la séparation des Pouvoirs. Pourtant, Ousmane Tanor DIENG et Moustapha NIASS, deux des principales personnalités qui avaient conduit les Assises nationales et qui, aujourd’hui, gouvernent à ses côtés, chacun trônant sur une Institution, entonnaient, comme lui, un autre refrain. «Non-cumul des fonctions de président de la République et de chef de parti ; dépolitisation du ministère de l’Intérieur ; passage du régime présidentiel au régime parlementaire», aucune de ces conclusions des Assises nationales n’est effective. Mbaye NDIAYE, ministre de l’Intérieur et directeur des structures de l’APR, a organisé les législatives qui ont suivi l’élection de Macky SALL à la tête de l’Etat. Celles qui sont fixées au 30 juillet prochain seront, en dépit de toutes les récusations, organisées par Abdoulaye Daouda DIALLO, responsable de la coordination départementale de l’APR de Podor et maire de Boké Dialoubé. A défaut de tripatouiller le scrutin, comme l’en accuse régulièrement l’opposition, le ministre, juge et partisan, porte un sacré coup à l’équilibre, l’équité, l’équidistance…, caractéristiques de l’Etat devant tous les citoyens. Au début du mois d’aout dernier, c’est dans les locaux du ministère de l’Intérieur que les membres de l’APR Podor devant siéger au HCCT ont été choisis. En outre, membre du parti au pouvoir et commandant des forces de sécurité, le ministre ne rechigne guère à opposer aux marches des opposants des matraques et autres grenades lacrymogènes.
Le Législatif n’est pas le seul pouvoir que Macky a assujetti. Ils sont nombreux les opposants à faire le pied de grue entre le palais de Justice et les commissariats de police. Le dossier du maire de la Médina et de ses huit camarades de parti a été corsé par le procureur de la République qui a ajouté aux griefs qui leur sont reprochés « tentative d’assassinat ». Un chef d’accusation qui criminalise l’affaire qui a fini par atterrir sur la table du doyen des juges. Ce dernier envoie les mis en cause à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss sans qu’un procès ne soit à l’ordre du jour. Le même schéma pourrait se dessiner pour Khalifa SALL dont le dossier, concernant la caisse d’avance de la mairie de Dakar, est en phase d’être transmis à un juge d’instruction, comme l’a indiqué le procureur. Qui peut mieux faire l’affaire que le juge Samba SALL, nommé Doyen des juges d’instruction le 16 octobre 2015 lors du Conseil supérieur de la Magistrature présidé par Macky SALL. C’est au cours du même Conseil que Serigne Bassirou GUEYE a été reconduit procureur de la République. Les deux hommes en plus d’être des amis de longue date constituent un duo donnant des sueurs froides aux opposants. C’est le juge Samba SALL qui a confisqué le passeport d’Abdoul MBAYE, c’est lui a placé sous mandat de dépôt Samuel SARR, Bamba FALL et autres, après que Serigne Bassirou GUEYE lui a transmis leur dossier. Des dossiers sur lesquels Macky SALL n’a pas mis le coude. Une dépendance de la Justice instrumentalisée que le magistrat Ibrahima Harouna DEME a dénoncé en démissionnant du Conseil supérieur de la Magistrature. «Monsieur le président de la République, la Justice traverse aujourd’hui une crise profonde, étroitement liée au manque de transparence dans le choix des magistrats. Ainsi constate-t-on, un traitement de certaines affaires, qui renforce le sentiment d’une justice instrumentalisée et affaiblit considérablement l’autorité des magistrats. Bien évidemment, la vitrine de la Justice ne doit pas être une magistrature sous influence, mais plutôt une magistrature indépendante et impartiale, démontrant constamment dans ses décisions, que la justice est exclusivement au service de la vérité », a écrit, à Macky SALL, le Substitut général à la Cour d’appel de Dakar dans sa lettre de démission.
.
La démocratie dont se gargarisent les tenants du pouvoir n’est qu’une grosse arnaque. Celle-ci ne saurait se résumer en l’organisation d’élections même transparentes. Macky, avec ses députés, ses magistrats et ses policiers, s’est accaparé de tous les pouvoirs et de l’essentiel des richesses. Plus que celle du monarque, il arpente la voie du dictateur.
Par Mame Birame WAHIE