CHRONIQUE DE WATHIE
Les Gambiens étaient appelés aux urnes jeudi dernier pour élire l’homme devant prendre en charge leurs destinées pour les cinq prochaines années. Un scrutin très peu suivi par une communauté internationale qui ne s’est jamais préoccupée par ce qui se passe dans ce pays de moins de 2millions d’habitants. La petitesse du territoire gambien ne suscite guère ce désintéressement. Mais, pour ce coup-ci, nul ne voulait, à en parlant, donner son onction à ce qui passait pour une simple formalité devant permettre au président sortant de rempiler pour un cinquième mandat. A l’arrivée, son Excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur Yahya Abdul-Aziz Jemus Junkung Jammeh n’a pas seulement mis son pays sous le feu des projecteurs, il a aussi dérouté plus d’un observateur.
Aucun bookmaker ne s’est révélé assez perspicace pour tabler sur la défaite de Yahya Jammeh à l’élection présidentielle gambienne. Le suspense n’était pas prévu. L’issue sans incertitude avait fini par occulter l’enjeu. Comme les autres fois où il avait mobilisé ses compatriotes, Yahya Jammeh semblait chercher une légitimation lui permettant de pouvoir se mettre autour d’une même table avec ses homologues africains. Sa déconfiture, les rares qui en ont fait état, conjecturaient d’autres jours sombres pour des Gambiens longtemps dans les ténèbres. Les premières tendances ont commencé par afficher un ballotage tournant progressivement en faveur de l’opposant, sans qu’un revers de Yahya Jammeh ne soit réellement envisagé. Et si personne n’y a cru, c’est que son excellence aussi imprévisible qu’impulsif, est un habitué des coups foireux qui laissent indifférente la communauté internationale.
Un jour à retenir sur 22 ans de dictature
Quand, le 22 juillet 1994, à la tête d’un groupe de quatre officiers, Yahya Jammeh prit le pouvoir, en débarquant Dawda Jawara, le monde entier s’était détourné de la Gambie, ne se préoccupant guère du sort des populations qui tombaient sous le joug d’un officier âgé 29 ans. Quand Jammeh promit de rendre le pouvoir aux civils en 1998, personne n’a trouvé à redire quand il a décidé d’organiser une présidentielle en 1996, après avoir fondé son parti. Il n’est pas besoin de revenir sur sa gestion du pouvoir marquée par le changement de la langue officielle du pays de l’anglais à l’arabe, de l’instauration d’une république islamique. Ni sur toutes les couleurs qu’il en a fait voir aux autorités sénégalaises qu’il semblait avoir totalement hypnotisées. Les conditions dans lesquelles cette dernière élection s’est déroulée suffisaient à enlever toute chance aux opposants qui croyaient eux-mêmes à peine à la victoire. Après avoir modifié la loi électorale qui dispose que tout candidat doit verser 500 000 dalasi (environ 11 700 euros), recueillir 10 000 signatures etc., pour faire enregistrer sa candidature, Yahya Jammeh n’a même pas laissé les opposants pleurer sur leur sort. Quand jeudi 14 avril 2016, ils ont arpenté les rues de Serrekunda pour maudire le président dictateur, la police leur est tombée dessus. Plusieurs d’entre eux ont été appréhendés et torturés. Solo Sandeng va laisser sa vie dans les geôles de Jammeh, d’autres vont longtemps y demeurer. Plus tard, samedi 20 août 2016, un autre opposant, Ebrima Kurumah, meurt à l’hôpital Royal Victoria Teaching Hospital de Banjul. Emprisonné depuis le 9 mai dernier 2016, à la suite d’une manifestation, il avait quitté la prison Mile Two pour une opération chirurgicale qui aurait mal tourné. Ebrima Kurumah a été arrêté en même temps qu’Ousainou Darboe, principal leader de l’opposition. Le leader du Parti démocratique uni (Udp), celui qui était annoncé comme pouvant tenir tête à Yahya Jammeh, est condamné à trois ans de prison, à quelques mois de l’élection présidentielle. Contre cette nouvelle forfaiture, aucune voix la condamnant n’a raisonné. Comme aucune autre ne s’est plainte quand Jammeh a décidé qu’il n’y aurait aucun observateur. Et c’est parce qu’Ousainou Darboe était en prison que les autres leaders de l’opposition ont jeté leur dévolu sur Adama Barrow qui sans grande conviction s’est lancé à la quête des suffrages de ses compatriotes. Au dépouillement, Yahya Jammeh n’a que 212 099 voix contre 263 515 pour le candidat de substitution.
Que Yahya Jammeh perde une élection plus ou moins transparente n’est pas une surprise. Les manifestations que sa police a matées ont été nombreuses pour témoigner de son impopularité. La surprise (c’est la période), c’est sa reconnaissance de sa défaite et son coup de fil à son adversaire. Que cherche Jammeh en agissant ainsi ? Sortir par la grande porte ? Faire oublier un long et mortuaire règne ? Son coup de fil, conjugué au décès de sa mère, annoncé dans la foulée, semble l’avoir totalement absout au vu des premières réactions magnifiant son geste. Ainsi, Yahya Jammeh décroche son vendredi saint !
Par Mame Birame WATHIE
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