Chez les Wade, père et fils, l’attitude de défiance aux institutions judiciaires, en général, le Conseil constitutionnel, en particulier, c’est une affaire de famille. Ce n’est, en effet, pas la première fois qu’ils rament à contre-courant de décisions frappées de l’autorité de la chose jugée. Il ne suffit que de rappeler la sombre année 1993 où des personnalités haut placées du Pds de Me Wade ont demandé à des magistrats du Conseil constitutionnel de «préparer leurs linceuls» si toutefois les décisions de ces derniers allaient à l’encontre de leurs intérêts. La suite est connue de tous: dans la foulée de ces menaces de mort, des énergumènes qui ont leurs entrées au domicile des Wade, au Point E, ont été arrêtés, poursuivis et déclarés coupables de l’assassinat de Me Babacar Sèye. Lui et son parti ont-ils partie liée avec cet assassinat ? On n’en saura pas davantage, la procédure ayant été stoppée net à la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar qui décerna un non-lieu en faveur de Me Wade pour insuffisance de preuves. Et imaginez qui présidait l’audience ? Le juge Cheikh Tidiane Coulibaly, celui-là même que Karim Wade et ses soutiens accusent aujourd’hui de «corruption», de «conflits d’intérêts» et de «connexions douteuses» avec le candidat du pouvoir, Amadou Bâ. C’est donc ce juge, aujourd’hui jeté en pâture, qui permit à Wade d’échapper au rouleau compresseur du Parti socialiste (Ps) qui, inéluctablement, allait l’envoyer dans un cachot pour un bail longue durée.
Me Wade au pouvoir, c’est l’opposant qui s’installe au Palais, pour paraphraser Latif Coulibaly. Alors que le Conseil constitutionnel lui interdit de faire figurer son effigie sur les listes de la coalition Sopi aux élections législatives de 2001, le président de la République qu’il est, Gardien de la Constitution et garant du fonctionnement régulier des institutions, au lieu d’aider à faire appliquer cette décision et à faire entendre raison à ses partisans, prit sa plume pour se fendre d’une si longue lettre qu’il adressera au Président du Conseil constitutionnel de l’époque, le juge Youssou Ndiaye. S’ensuit un bras de fer juridique avec l’instance juridictionnelle. Les cinq sages de l’époque avaient aussi statué sur la requête du Ps, de l’Urd et de l’Afp sur l’investiture de Alé Lô à la fois sur la liste du Ps et celle de la mouvance présidentielle. «Je constate une double violation : celle de la Constitution et celle de la loi», avait fait remarquer Wade au Conseil constitutionnel qui, selon lui, est «tenu lui-même au respect de la Constitution et de la loi», comme l’Exécutif et le Législatif. Pour simplement dire que, du point de vue des éléments de langage, au Pds, ils ont de qui tenir.
Et cette correspondance avait le ton d’une demande d’explications. «Je souhaite avoir vos explications et vos commentaires», a-t-il dit au président du Conseil constitutionnel. La juridiction s’expliquera et argumentera avec des articles à l’appui, concluant que «telle est la pratique qui s’est instaurée depuis la Cour suprême et qui s’est poursuivie au Conseil constitutionnel depuis sa création». Cela n’a pas suffi à satisfaire les désirs du nouveau locataire du Palais. «Je n’ai pas la même interprétation que vous du contentieux soulevé», leur a-t-il signifié, relevant un texte des magistrats cité «de façon erronée».
«Karim, ça passe ou ça casse»
Retourné dans l’opposition, Wade garde intactes ses habitudes de persiflage contre les juges. A la Présidentielle de 2019, Abdoulaye Wade dont le fils a vu sa candidature invalidée par le Conseil constitutionnel enrage et entreprend un plan de sabotage de l’élection présidentielle. A ses inconditionnels, agglutinés à la Permanence Oumar Lamine Badji pour boire ses paroles, Wade donnera ce mot d’ordre : «Brûlez vos cartes d’électeur ! Saccagez le matériel électoral ! Regroupez les cartes de vos parents et mettez-y de l’essence. Je ne veux voir aucune carte. Ce sont des cartes de la fraude.» Il persiste et signe qu’il n’y aura pas d’élection au Sénégal
Le «Pape du Sopi» prévient que des marches et meetings seront organisés à travers l’ensemble du territoire national. Et par des gestes, il montrait aux jeunes comment ils doivent faire face aux tirs de grenades lacrymogènes dont ils font l’objet à chaque manifestation interdite. Une façon d’appeler à résister aux forces de l’ordre. Message reçu cinq sur cinq par le Mouvement des élèves et étudiants libéraux (Meel). «Karim, ça passe ou ça casse ! Pas d’élection sans Karim, nous le garantissons», pouvait-on lire sur leurs pancartes. Il a fallu ce qu’il est convenu d’appeler le «Protocole de Conakry» pour que le Vieux revienne à la raison. Pour simplement dire que, entre les Wade et le Conseil constitutionnel, la haine est une histoire de sang.
Ibrahima ANNE