Le Prix Nobel de la Littérature 2016 est attribué au chanteur américain Bob Dylan. Un choix contesté par certains écrivains à travers le monde.
L’Académie suédoise pour la première fois dans l’histoire centenaire du prix Nobel de littérature a attribué cette distinction à un chanteur. Le choix hier est tombé sur le chanteur américain Bob Dylan «pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouveaux modes d’expression poétique». En hissant au même niveau littéraire les textes de Toni Morrison, la dernière américaine qui avait reçu le prix Nobel de littérature (1993), et les paroles de chanson de Bob Dylan, l’Académie suédoise a déclenché une petite révolution littéraire occasionnant une contestation de la part de certains écrivains.
Pour les auteurs contestataires, ce choix de l’Académie suédoise pousse à s’interroger sur la définition de l’écrivain. Car ces derniers trouvent «méprisant de primer quelqu’un qui n’a pas d’œuvre». «Bob Dylan ? Pourquoi ? Alors Murakami peut gagner le Ballon d’or», se demande l’écrivain français Pierre Michon. Pour eux, il y a d’autres qui méritent aussi cette distinction que l’on a laissé en rade, notamment le poète d’origine syrienne Adonis ou l’écrivain kényan Ngugi Wa Thiong’o, Philip Roth, Joyce Carol Oates ou Don De Lillo.
Salman Rushdie, lui-même l’un des grands favoris du prix, a félicité sur Twitter «un super choix» en qualifiant Bob Dylan un «brillant héritier de la tradition des bardes». «Les puristes et autres râleurs crieront certainement au sacrilège, au dévoiement de l’esprit du Nobel, mais je suis heureux que la littérature soit aussi reconnue dans la Parole, au sens poétique de ce terme», réagit l’écrivain Alain Mabanckou sur Culturebox. Pour lui, «Georges Brassens l’aurait mérité aussi», ajoute-t-il.
Mais, en critiquant une confusion des genres, on risque de rater la dimension historique de cette décision. Avec Bob Dylan, ce n’est pas la musicalité des mots, mais surtout les mots entourés et imprégnés de musique qui font leur entrée dans les critères du prix Nobel de littérature. Du coup, de nouveaux horizons s’ouvrent pour la littérature : après les paroles de musique, peut-être il y a bientôt des mots sur des photographies ou des peintures, des graffitis sur des murs ou des poèmes dansés nobélisables ? Pourquoi pas ?
L’icône d’une musique folk et engagée
Né sous le nom de Robert Allen Zimmermann, le 24 mai 1941 à Duluth, dans le Minnesota, descendant de grands-parents juifs originaires de l’Europe de l’Est fuyant les pogroms antisémites, il s’inscrit d’abord aux cours d’art à l’université de Minnesota avant de déménager en 1961 à New York pour rejoindre la scène expérimentale de Greenwich Village et de plonger ainsi sous le nom d’artiste Bob Dylan dans l’aventure de la Beat Generation.
Aujourd’hui, Dylan représente le chanteur américain par excellence. Il est devenu l’icône d’une musique folk, populaire et engagée des années 1960 et 1970, une époque marquée par la guerre de Vietnam, les mouvements civils et la contre-culture. Dylan a écrit, composé et interprété de véritables hymnes anti-guerre et des chansons restées jusqu’à aujourd’hui vivantes et virulentes dans la culture occidentale : Blowin’ in the Wind, Like a Rolling Stone, Mr. Tambourine Man, Forever Young, Knockin’ on Heaven’s Door.
Bob Dylan, de Victor Hugo à la Beat Generation
Avec son choix, pour le moins inattendu, le comité du prix Nobel souligne la dimension littéraire d’un poète-chanteur, admirateur d’Arthur Rimbaud et de Bertolt Brecht, mais aussi de Victor Hugo dont il a lu et admiré dans sa jeunesse Notre-Dame de Paris. Il a même rendu hommage à l’écrivain français sous forme d’un «bossu» qui hante sa chanson Desolation Row (1965). Sur le dos de l’album Another Side of Bob Dylan, le chanteur a même publié un poème dédié à la chanteuse Françoise Hardy, rencontrée lors de son séjour parisien en 1964. Et bien sûr, Bob Dylan a été fortement influencé par les écrivains de la fameuse Beat Generation, à l’image d’un Allen Ginsberg devenu superstar. Une génération qui vit actuellement une forte réévaluation dans le monde des arts. Il y a, par exemple, le film réalisé par le Brésilien Walter Salles, Sur la route, une mise en image du livre culte de Jack Kerouac. (…).
- K. SENE
(Avec Rfi)