CHRONIQUE POLITIQUE
Ce qui s’est passé le 20 septembre dernier à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss n’est pas une simple tentative d’évasion vite réprimée. Ce fut plutôt un carnage, une véritable hécatombe que les autorités, aussi bien la direction générale de l’administration pénitentiaire que le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, tentent de minimiser. On était en droit d’attendre de Sidiki Kaba qu’il prenne tout de suite des mesures conservatoires face à cette hécatombe dans les rangs d’hommes qui étaient, au moment des faits, des présumés innocents en attente de jugement dans la plupart des cas. Au lieu de relever de leurs fonctions aussi bien le régisseur de la prison de Rebeuss que le directeur de l’administration pénitentiaire, en attendant les résultats de l’enquête confiée à la Dic, comme cela se serait fait dans tout Etat respectueux des droits de l’homme, il a préféré les maintenir à leurs postes, qu’importe si cela pourrait influer sur les investigations des enquêteurs.
C’est parce que ce fut une boucherie, nombre de détenus admis au Pavillon spécial du Centre hospitalier universitaire (Chu) Aristide Le Dantec présentent des blessures de guerre. Certains ont perdu l’usage de leurs jambes, d’autres sont paralysés, alors que d’autres encore ont le visage tellement défiguré que l’on se croirait dans une infirmerie pour mutilés de guerre, ainsi que l’a constaté sur place un de nos reporters. Autre constat fait sur place : les blessés ont été atteints par balle à la tête, au thorax, aux pieds, mais également aux reins ou encore à l’œil. C’est dire combien aura été disproportionnée la réaction des matons chargés de réprimer les mutins, qui auront plus cherché à tuer qu’à blesser. Et le ministre de la Justice lui-même a avoué qu’Ibrahima Mbow alias Ibrahima Fall, le détenu mort au cours de cette mutinerie, s’est fait éclater la cervelle puisque, soutient le Garde des Sceaux, il a succombé à une balle de pistolet automatique de calibre 9 millimètres qui est entrée par le front pour sortir par la nuque.
Mais qui a tiré pour tuer ? Des matons bien sûr, des élèves adjudants, nous précise-t-on, ayant à peine terminé leur formation. Sur ordre de qui ? Du régisseur de la prison de Rebeuss, Agnès Ndiogoye qui, elle-même, a dû, sans nul doute, avoir pris au préalable ses ordres de la Direction de l’administration pénitentiaire. Et malgré de l’urgence qu’il y avait à réagir face aux menaces des mutins, le régisseur ne pouvait ignorer que les matons entre les mains desquels elle avait mis des armes, n’avaient pas l’expérience requise pour sévir sans tuer inutilement. A la Direction de l’administration pénitentiaire, on ne pouvait non plus ne pas le savoir. Voilà pourquoi il ne serait que justice de prendre des mesures conservatoires à ces deux niveaux de responsabilité.
Le silence des parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, sur ce drame est inadmissible. Plutôt que de se préoccuper du triste sort de ces blessés, dont certains ont été canardés jusque dans leur cellule, les députés de Benno Bokk Yakaar sont obnubilés par les postes de sinécure à conserver ou à arracher lors du renouvellement du bureau de l’Assemblée nationale. Ceux de l’opposition ne font guère mieux, obsédés qu’ils sont par l’affaire Pétro Tim et le parfum de scandale qui semble s’en dégager et, de manière tout à fait subsidiaire, par leur marche de ce vendredi 14 octobre. Tout aussi incompréhensible est la réaction timorée des organisations de défense des droits de l’homme qui, à la notable exception de l’Association pour le soutien et la réinsertion des détenus (Asred), s’intéressent plus à Frank Timis qu’au sort de ces pauvres hères. Ignorés de tous, il ne leur reste plus que la justice. Mais que peuvent-ils attendre d’une justice qui les a maintenus en prison beaucoup plus longtemps qu’il n’en fallait et dont les décisions les concernant et prolongeant à l’infini leur détention ont été à l’origine de leur mutinerie ?
Par Abdourahmane CAMARA*
* Directeur de publication de Wal Fadjri Quotidien
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