CHRONIQUE POLITIQUE
Il est désormais interdit de faire des révélations fracassantes sur les explorations pétrolières et gazières au Sénégal. L’homme politique qui s’y aventurera, qu’il s’appelle Ousmane Sonko ou Abdoul Mbaye, tout ancien Premier ministre de Macky Sall qu’est ce dernier, verra se refermer sur lui les portes de la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss. Et il y séjournera au minimum six mois, à moins qu’il ne fasse des génuflexions devant le nouveau Grand Vizir du Roi Macky en vue de s’amender. Parce que les articles du Code pénal réprimant tout acte tendant à jeter le discrédit sur les institutions de la République ainsi que la diffusion de fausses nouvelles, brandis avant-hier par Mahammad Boun Abdallah Dionne à l’endroit de tous ceux qui sont à l’origine «des bruits visant à salir la réputation de la gouvernance» du régime, les mèneront tout droit à 100 mètres.
Les hommes politiques sont prévenus, de même que les membres de la société civile : leurs défilés à Rebeuss pourraient reprendre comme à l’époque de la chasse aux sorcières déclenchée contre les responsables du Pds. A moins qu’ils ne prennent au sérieux les menaces du nouveau Grand Vizir du Roi Macky. Pour s’éviter son courroux, ils devront à l’avenir se garder de parler des milliards de francs Cfa empochés par le jeune frère du Roi grâce à Petrotim et des recettes fiscales perdues par le Trésor dans ces transactions. Quand ils parleront désormais d’Aliou Sall, défense de s’intéresser à tout ce qui est dividende sentant le pétrole perçu par le maire de Guédiawaye. Sinon ils tomberont sous le coup de la diffusion de fausses nouvelles réprimée par l’article 255 du Code pénal.
Qu’ils se tiennent aussi pour dit : les imputations portant sur la mauvaise gestion des permis d’exploration ou l’existence de nébuleuse dans les contrats pétroliers les exposent à des poursuites pour «attaques malveillantes tendant à jeter le discrédit sur les institutions de la République» qui renvoient à l’article 80 fourre-tout du Code pénal. Par conséquent, qu’ils ne cherchent pas ce qui se cache derrière les contrats pétroliers publiés hier sur injonction du nouveau Grand Vizir du Roi et qu’ils ne s’aventurent surtout pas à aller à la découverte de transactions secrètes dans l’octroi de permis d’exploration.
Jamais sous Abdoulaye Wade, encore moins sous son prédécesseur Abdou Diouf, la simple critique de l’absence de transparence dans la gestion des affaires publiques n’avait été érigée en délit. Il a fallu attendre trois décennies plus tard, pour que cela se fasse sous le couvert de la diffusion de fausses nouvelles. Y a-t-il preuve plus patente du recul démocratique sans précédent que dénonce avec véhémence l’opposition (Front pour la défense du Sénégal/Fds/Mankoo Wattu Sénégal) aussi bien à l’intérieur du pays qu’au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique ? C’est également la preuve qu’on a un autocrate au Palais de la République. Il a une sainte horreur des critiques, surtout si elles touchent à sa famille. Il exècre toute remise en cause de la sobriété et de la transparence dont il pare sa gouvernance. Il s’accommode mieux avec les louangeurs qu’avec les empêcheurs de tourner en rond. Quand les arguments lui font défaut, il use de la force. Et c’est le cas dans cette affaire des permis d’exploration pétrolière où, plutôt que d’user de la force de ses arguments, son nouveau Grand Vizir agite les arguments de la force que lui confère une loi taillée sur mesure.
Au moment où le Grand Vizir Dionne menaçait d’envoyer à Rebeuss Abdoul Mbaye, Ousmane Sonko, Birahim Seck du Forum civil et autres détracteurs du régime, s’ils ne se conforment pas à son oukaze, cette maison d’arrêt et de correction nichée au cœur de la capitale était aux prises à une mutinerie. Une situation due à l’incurie du régime qui a été incapable d’anticiper cette grave crise que tout le monde voyait venir, sauf les autorités publiques. Elles sont restées sourdes aux suppliques de tous ces milliers de prévenus qui attendent d’être jugés depuis des années. Pire, les gardes pénitentiaires leur ont tiré dessus, en tuant un et blessant gravement plusieurs d’entre ces détenus qui sont présumés innocents dans leur écrasante majorité et qui n’avaient d’autre arme que leurs mains nues. Plutôt que de chercher à augmenter sa population carcérale par la mise sous mandat de dépôt de lanceurs d’alertes, le Grand Vizir Dionne ferait mieux de trouver rapidement une solution définitive à la surpopulation de Rebeuss et aux longues détentions préventives. Puisque ce pénitencier, c’est une bombe. Il faut la désamorcer au plus vite.
Par Abdourahmane CAMARA
Directeur de publication de Wal Fadjri Quotidien
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