CHRONIQUE DE MAREME : WASSANAM
«La vie est faite de choix dont le plus agréable est amer; la conscience est meilleur censeur… » Sidi Lamine Niass
Aïcha : le dilemme
J’ai quitté le bureau de Mme Coulibaly et malgré ses conseils, je ne décolérais pas. C’est vrai que ce boulot est une vraie aubaine, mais travailler avec Malick serait trop dur pour moi. Je n’accepterai pas ses insinuations, moqueries et accusations sans fondement. Mes nerfs étaient à fleurs de peau, alors j’ai dû arrêter plus tôt que prévu le boulot, comme me l’a conseillé Mme Coulibaly. La nuit porte conseil, m’a-t-elle dit. Moi, la seule chose que je veux, c’est trouver une solution et arrêter de travailler dans ce cabinet. Soit je me porte malade tous les jours, soit je sabote mon boulot en faisant de mauvaises traductions. Bref des trucs qui feront que Mme Coulibaly serait dans l’obligation de me remercier à la fin du mois. En entrant dans le bus, j’avais tellement la rage que j’en tremblais. J’en voulais à mort à Malick que je déteste. Comment peut-on juger quelqu’un sans le connaître ? Il ne sait rien de moi, de ma vie. Il fait des conclusions hâtives à chaque fois que l’on se voit. Je devrais rester et lui prouver que je ne suis pas la fille facile qu’il croit. Non, tu n’as rien à lui prouver, me dit une voix. Pourtant, il y a tellement de précisions et de cohérence dans les notes que je traduis que je me demande si ce n’est lui qui les fait. On ne peut pas être aussi intelligent et avoir des idées aussi arrêtées.
Il est 19h quand j’arrive chez moi, mes parents allaient être surpris de me voir rentrer si tôt. D’habitude, je franchis le seuil de la maison vers 22 h. Parcelles assainies est très loin du centre-ville, le trajet peut parfois durer plus de deux heures. Dès fois, je suis si fatiguée quand je reviens du bureau, je ne dîne pas. Pour l’instant, le projet de prendre un studio était en stand bye quand j’ai su que Malick serait mon patron. En plus de ça, je n’ai pas les moyens de me payer une caution pour l’instant. Maintenant que je ne suis plus en colère, je me demande si je dois le suivre dans ses délires. D’après Mme Coulibaly, je n’ai pas le choix, pour rester il faut que je lui présente mes excuses demain à la première heure. Cette opportunité de boulot ne se présentera peut être jamais. Je n’ai aucun contact, aucune qualification, rien. La chance ne me sourira pas deux fois.
J’entre dans l’appartement, avec ce dilemme dans la tête: rester ou partir ?
Je t’ai toujours dit de payer d‘abord le loyer. Maintenant comment on va faire ?
Demain, j’irai voir le propriétaire, c’est la première fois que ça nous arrive. On peut lui donner la moitié et le reste le mois prochain.
– Tout ça ce n’est pas la peine. Aïcha pourra payait les 100 000 avec son salaire.
– Et comment, cria mon père énervé. Tu as vu l’heure qu’elle entre et reparte du bureau. Ici c’est trop loin pour elle. J’ai toujours peur qu’il ne lui arrive quelque chose en rentrant. Les rues ne sont plus sûres la nuit. Elle doit payer deux mois de caution, en plus du transport et de la nourriture, il ne lui restera rien si on prend en compte ce qu’on lui a déjà donné comme avance. Je ne veux pas que ma fille se prive pour nous, alors ne t’avise surtout pas de lui en parler.
J’entre dans le salon sans plus attendre.
– Hé papa, je t’ai entendu. Il sursaute et se prend le cœur ce qui fait rire ma mère.
– Depuis quand tu rentres si tôt ?
– Juste aujourd’hui, c’est peut – être parce que Dieu voulait que j’entende ce que vous vous disiez.
– Ce n’est pas bien d’écouter aux portes ma fille.
– Excuse-moi mais toi aussi qu’est-ce que je vais faire avec 400 mille F CFA à moi toute seule. Tu connais la tradition, le premier salaire doit être partagé, si tu veux qu’il se multiplie.
– Ah, c’est des balivernes.
– Comme on dit, tel père telle fille. Moi aussi j’ai chopé ton virus de calculs. Je m’assois devant lui et sors mon bloc-notes. En ville, c’est plus cher qu’ici. Les studios sont loués à 100 mille au minimum. Donc je me suis renseignée et Binta, une collègue, m’a fait savoir qu’il y a des chambres avec douche qu’on loue non loin du centre-ville, entre Médina et Gueule Tapée.
– Combien, demande mon père toujours fâché d’avoir été surpris.
– 40 000 F CFA donc avec le double, je paye la caution.
– Et pour les repas ? Thièye mon père, un vrai policier.
– Binta m’a dit qu’elle dépense en moyenne 60. 000 par mois pour le manger et 10 000 pour l’abonnement du bus, si on ajoute la caution, ça fait un total de 150 000 F FCA ce mois-ci. Si je te donne la moitié de mon salaire, il me restera 50 000 comme argent de poche et tu sais que je ne suis pas une dépensière.
– Tu dois penser à ton avenir ma fille et économiser un peu…
– Papa nak faut pas me fâcher dé. Le mois suivant, j’aurai presque le double puisque je ne payerai pas de caution alors je pourrai garder un peu à la banque. Avec cet argent, vous ne serez plus sur le qui-vive, il vous permettra de payer le loyer, l’eau et l’électricité. Tu sais que le stress tue, alors fin de la discussion et donne-moi cette machine à calculer, tu es devenu myope à force de regarder les chiffres.
– Et vieux aussi, ajoute maman.
– Regardez-moi cette mégère, tu t’es vue ? Attend que je me trouve une jolie disquette, tu vas voir. On éclate de rire et c’est dans cette ambiance que Menoumbé nous rejoint. Les larmes aux yeux, mon père lui répéta notre conversation et, comme à son habitude, il prit ses airs de griot, en chantant mes ancêtres. Et dire qu’il y à peine une heure je réfléchissais sur comment arrêter le boulot. Maintenant, avec ce que je viens de promettre, il n’est plus question de démission. Si je dois me coucher par terre pour demander des excuses, je le ferai car il n’est plus question de moi seulement.
En plus depuis quand j’abandonne aussi facilement. J’ai arrêté d’être cette petite fille qui pleure à la moindre éraflure. Après la mort du maire, je me suis promis de ne plus me laisser écraser. Je n’ai pas laissé cette sombre partie de ma vie me détruire, au contraire. Je me suis accrochée à deux choses : les études et la foi. La prière a allégé mon cœur et les études ont occupé mon esprit. Pour moi dans la vie, pour avancer, il ne faut pas regarder en arrière. Ce boulot, je l’ai eu parce que je le mérite amplement. J’ai sacrifié ma jeunesse, passé des nuits blanches pour avoir ce niveau alors pourquoi démissionner pour cet énergumène. Ce ne sont pas des mots dénués de sens qui vont m’atteindre. Qui se sent morveux, se mouche. Il peut penser ce qu’il veut, l’important c’est que je sais qui je suis et ce que je vaux. Depuis quand je m’occupe des qu’en dira-t-on.
C’est dans cet état d’esprit, que je me suis réveillée, plus que jamais déterminée. Si, à chaque fois que je rencontre un problème, je fuis, alors je ne vais jamais réussir.
Comme à chaque fois, j’arrive au bureau vers 7h et demi. D’habitude, Mme Coulibaly arrive vers neuf heures donc je suis toujours parmi les premiers arrivés. Devant l’immeuble, j’enlève mes escarpins et enfile mes chaussures à talon. Pif, je déteste porter ces trucs, franchement les femmes avec les talons, je ne comprendrai jamais. Pourquoi préférer le confort et la commodité à quelque chose d’aussi inconfortable et dangereux. Je me suis tordue deux fois la cheville ah.
– Salamou aleycoum Sow poulo. C’est le vigile de l’immeuble, il vous accueille toujours avec un sourire radieux. Je me demande quel âge il a ? Il semble si vieux mais est si dégourdi.
– Maleykoum salam ma fille comment tu vas en cette matinée radieuse que tu illumines par ta beauté.
– Yawe dagua maye nakhe rék (tu me flattes seulement). Il parait que tu dragues toutes les filles de l’immeuble.
– Astakhfiroulah ! Ce sont mes ennemis qui disent ça, tu…. Une grosse et belle voiture 4×4 noire avec des vitres teintées venait de se garer devant moi m’enlevant le sourire. Je vois le visage de Sow poulo se refroidir et il recule d’un pas. Le temps de comprendre, je vois Malick sortir de la voiture et nous fusiller du regard. Il jette la clé de sa voiture au vieux et nous dépasse, sans la moindre salutation. J’oublie vite ce manquement. Subjuguée que je suis par autant de classe et de raffinement. Dans son costume trois pièces impeccable et ses lunettes de soleil, on dirait James Bond. Franchement, Malick est très beau, il dégage tellement de… Stop petite idiote, m’interrompt une voix intérieure. Il ne t’a même pas saluée et tu es là à baver. Je me dépêche d’entrer dans l’immeuble, en traînant le pas. Je ne veux surtout pas le rencontrer devant l’ascenseur, encore moins dans le couloir de l’étage. Quand j’arrive dans les locaux, je m’engouffre dans notre bureau tout en épiant le sien. Je me demande comment je vais lui présenter mes excuses avec cette façon détestable qu’il a à me regarder. Je vais rédiger quelques mots et les mémoriser. Ce sera facile, j’entre, je récite et je ressors, aussi simple que ça.
Malick : L’obsession
Pourquoi Dieu me met si rudement à l’épreuve ? J’ai passé une mauvaise nuit et il ne faut pas chercher loin pour trouver la cause. C’est la première fois qu’une femme me regarde avec autant de dédain et ose lever le ton. Hier, j’avais l’impression d’être en face d’une autre Aicha. Elle m’a donné le nom d’Hitler. Cette dernière pensée me fait rire.
Quand mes yeux se sont posés sur elle à la cafétéria, mon cœur a raté un battement. Je ne sais même pas d’où est ce que j’ai puisé cette force de contrôle en la voyant. Et quand Suzanne m’a dit que c’était la nouvelle traductrice, j’étais encore plus choqué que je ne l’étais déjà. Ce choc passé, place à la panique. Impensable que je travaille avec elle, je cours tout droit à la catastrophe. Je sais d’avance que je ne pourrai pas la résister. Déjà que ça fait une semaine qu’elle m’obsède, depuis que je l’ai embrassée en gouttant à ses lèvres si exquises. J’ai peur pour tout ce qu’elle réveille en moi. Avec elle, mes émotions s’intensifient, mes jugements se brouillent et je ne réfléchis plus clairement.
Je ne sais pas pourquoi le destin s’acharne à nous mettre sur le même chemin. Une chance sur mille qu’elle trouve un travail ; mais il a fallu que ça soit dans ma boite qu’elle tombe. Est- ce un signe du destin ? Je n’ai rien partagé avec Aïcha à part une journée et pourtant je ne l’ai jamais oubliée. Il suffit que je la vois pour que tous mes sens se réveillent et que je n’arrive plus à contrôler les battements de mon cœur. Elle me touche au plus profond de mon âme et ça depuis toujours. Mais comment expliquer à Suzanne, l’inexplicable. Cette dernière défend cette petite comme si sa vie en dépendait. Il y a cinq ans, je lui ai raconté mon histoire avec Aïcha. Aujourd’hui, je ne sais pas quoi lui dire.
Il y a tant de questions que je me pose. Quand je l’ai connue, elle parlait déjà bien l’anglais mais pour atteindre son niveau, il faut au moins avoir le master. En regardant son parcours, je vois qu’elle a aussi passé sa licence de droit cette année et d’après ses notes c’est sûr qu’elle l’aura. Je commence à douter des dires de ses amies, on ne peut mener une vie de débauchée et réussir si brillamment ses études. En plus elle porte le même habillement bon marché qu’hier: pantalon noir évasé, chemise marron sombre sans aucun pli. Trop simpliste, qui cache bien ses formes. C’est sûr qu’avec cette tenue, elle ne cherche pas l’attention. Peut – être que je me suis focalisé un peu trop sur son passé. Peut-être qu’elle a changé ? Que s’est- il passé après la mort de son mari. D’après ce que j’avais lu dans la presse et ce que j’avais constaté dans la soirée, ce Wilane était son amant. Et avec cet homme, son avenir était assuré. Tant de questions….
Toc toc toc. Je regarde ma montre : 8 H 04 mn, ça doit être Aïcha car personne ne me dérange à cette heure-ci.
– OUI, dis- je d’une voix que je voulais aussi dure que possible alors que mon cœur commence à s’emballer. Elle ouvre la porte et entre, hésitante. Je lui fais signe d’approcher. Elle avance à peine de deux pas en regardant autour d’elle. Moi, j’en profite pour la contempler mieux. Nos regards se croisent et comme à chaque fois le temps s’arrête. Je retrouve la Aicha d’autrefois, légèrement maquillée, avec son visage de porcelaine qui te donne envie de la protéger. Ma poitrine se gonfle, l’atmosphère devient lourde. Finalement elle baisse les yeux avant de parler rapidement comme si elle récitait une leçon d’histoire devant son maître.
– Je voudrais vous présenter mes excuses pour avoir tenu des propos inappropriés à votre égard. A l’avenir je tacherais de ne plus reproduire un tel comportement.
– Dix sur dix, dis-je. Surprise, elle lève les yeux. Je lui souris sans le faire express. Je n’ai plus envie d’être dur avec elle. Assieds-toi s’il te plaît dis- je, sans réfléchir. Il faut que je sache un peu plus sur elle. Elle hésite avant de s’exécuter et de croiser les mains sur sa poitrine en position de défense.
– J’ai beaucoup de boulot monsieur…
– Monsieur ? Je préfère que tu me tutoies. Cette fois elle lève les yeux qui jettent des éclairs. Cela me fait tressaillir, j’ai l’impression qu’elle me déteste.
– A quoi vous jouez Monsieur le directeur, siffla-t-elle entre les dents.
– A rien Aïcha, je veux juste te donner l’occasion de me parler ouvertement. Ton parcours depuis la dernière fois. Je sais que ton mari est mort et….elle fait une grimace de dégoût avant de se lever.
– Excusez-moi monsieur mais ma vie en dehors d’ici ne vous regarde pas.
Je suis gentille et madame se croit tout permis.
– Est-ce que je t’ai donné l’autorisation de prendre congé. Assieds-toi, dis- je d’un ton sec. Elle remue la tête avant de s’exécuter et de s’emmurer dans le silence. Je sens la moutarde me monter mais je me retiens.
– Alors ?
– Alors quoi ? Cria t- elle presque.
– Écoute, tu auras à travailler sur des dossiers très sensibles et il y a des hommes qui sont prêts à tout pour avoir la mainmise sur certains documents. Étant donné que je connais ton goût très prononcé pour l’argent….
– Mon quoi ? Non mais je rêve, dit- elle en se levant avec une telle force que sa chaise tombe avec fracas. J’en fais de même en contournant rapidement le bureau et, lui prenant la main, je la tire de force vers moi. Elle essaye de se dégager mais je la maintiens si fort contre moi qu’elle ne peut bouger. Elle est si frêle.
– Pourquoi te mettre tout de suite sur tes grands chevaux. Tu avais 16 ans quand tu as décidé de te marier à ce vieux et ne me dis pas que c’était pour ses beaux yeux, hurlais- je. Je suis tellement en colère contre elle, contre moi qui sens mes défenses partir depuis que je la tiens si fort dans mes bras. J’entends les battements de son cœur, son corps qui tremble comme quand je l’embrassais dans le restaurant.
– S’il vous plait, laissez-moi partir, dit- elle d’une voix attendrie annonçant des larmes. Je recule d’un pas et effectivement son visage est dévasté par les larmes. Dans ses yeux, un mélange de tristesse et de rage. Je ne sais plus quoi penser ni quoi faire face à un tel bouleversement. J’essaye de la prendre encore dans mes bras mais cette fois elle me pousse violemment avant d’ouvrir la porte et de s’enfuir.
– Aïcha, ma voix se casse. J’ai l’impression d’avoir raté un truc. Dès que je sors du bureau, je rencontre le regard noir de Fadel.
– Ce n’est pas ce que vous croyez, lui criais- je. Quand j’arrive devant la porte d’Aicha, j’hésite à entrer. Finalement je toque et attends. Rien, je tente d’ouvrir, c’est fermé. Aïcha, appelle- je tout bas.
– Vous devriez lui laisser le temps de se remettre de ses émotions, dit Fadel d’un ton hésitant.
– Est-ce que je vous ai sonné, hurlais- je. Je suis vraiment à cran car c’est la première fois que je suis devant une situation qui m’échappe. Merde dis- je, à voix haute avant de rebrousser chemin et de claquer la porte de mon bureau. Pour être perdu, je suis vraiment perdu.
Suzanne : Mme Ping-pong
Je prends l’ascenseur en chantonnant. Enfin je me suis réconciliée avec mon mari. Chi, les hommes avec leurs caprices, il faut vraiment se serrer le cœur pour ne pas les suivre dans leurs délires. De vrai bébé ronchon ish.
– Bonjour Fadel, je lui sors mes trente-deux dents. Il se lève précipitamment pour me suivre. Que se passe-t-il encore ?
– Entrons d’abord ! Son visage devient plus austère, alors je presse le pas.
– Tu me fais peur, raconte-moi, dis-je en fermant la porte.
– Je ne sais pas exactement mais c’est la catastrophe entre ton patron et ta protégée.
– Ah bon ? Dis-moi !
– Tout ce que je sais c’est qu’elle avait le visage complètement dévasté en sortant du bureau du patron. Tu crois que….
– Que quoi ? Tu es fou de penser cela de Malick. Plus intègre que lui tu meurs. Tu veux être renvoyé.
– Tu as raison, c’est juste que je n’ai entendu aucun cri en arrivant. Ensuite elle sort de son bureau comme une fusée avant de s’enfermer dans le sien. Il s’approche de moi en murmurant. Mais le plus bizarre dans tout ça, c’est la réaction du patron quand il était devant la porte de Mlle. C’est la première fois que je le vois perdre sa contenance comme s’il cherchait ses mots.
– On dirait que ça te fait plaisir ?
– C’est l’histoire même de ces deux-là qui m’émoustille. D’abord hier, elle lui crie dessus, et aujourd’hui je vois monsieur complètement perdu devant sa porte. On aurait dit un chien battu qui cherche son maître. Il a appelé son nom d’un ton si mielleux, pouffa t- il.
– Fais attention à toi. En tout cas, tout ça est bizarre. Je sais qu’ils se sont connus mais…
– C’est sûr et certain qu’il y a eu quelque chose entre eux, dit-il en tapant les mains comme un enfant. – Au fait, le prénom de cette fille ce n’est pas Fanta ? J’ai entendu le patron l’appeler par Aicha.
– Ah bon, dis- je surpris.
– Fadel, cria Malick, nous faisant sursauter tous les deux
– Dis-lui que tu me remettais mes courriers, vas- y. Il sort en hésitant. Le temps que je m’assois, mon fixe sonne. Je décroche sachant déjà qui c’était.
– Viens tout de suite ! Entre lui et mon mari, je ne sais pas qui va me tuer en premier.
Je traverse le couloir et aperçois Fadel qui me lance des yeux apeurés. Je prends un grand air avant d’entrer.
– Amène-moi le contrat de Fadel, dit-il d’un ton sec.
– Donc c’est elle ? C’est elle la fameuse Aïcha d’il y’a cinq ans.
– C’est pour ça que je vais renvoyer ce colporteur.
– Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
– Je ne suis pas d’humeur Suzanne.
– Tu devrais te calmer avant de faire quelque chose que tu risques de regretter. Fadel a deux femmes et pleins d’enfants de bas âges. Le regard noir qu’il me lance me fait taire un moment. D’accord, il aime colporter, mais il le fait juste avec moi. Ce n’est pas une raison pour le renvoyer.
– Tu peux disposer, conclut- il en faisant semblant de travailler.
– Tu devrais m’en parler au lieu de t’emmurer dans le silence. Tes jugements ne sont plus objectifs et renvoyer Fadel ne te servirait à rien. Je n’ai plus l’intention de rester au bureau jusqu’à 20h passé pour finir le boulot des autres. Contrairement à d’autres, moi je suis heureuse en ménage. Il me fusille du regard à ces derniers mots. Quand il est dans cet état, mieux vaut le laisser seul. Je sors du bureau et me dirige vers celui de Fanta ou Aïcha. Depuis hier, j’ai l’impression d’être entre deux volcans. Elle lève la tête de son ordinateur.
– Bonjour Mme Coulibaly, dit- elle en se levant et en me tendant la main. Elle est si polie. Je la regarde de plus près en prenant sa main tendue. Ces yeux sont rouges mais elle adopte un sourire forcé.
– Assieds-toi s’il te plait. Je vais aller droit au but. Qu’est-ce qu’il y a entre toi et Malick ?
– Rien du tout, répond-elle sur un ton hargneux.
– Comment ça rien du tout. Donc vous n’avez pas eu un début d’histoire il y a cinq ans. Elle ouvre grand les yeux. Oui, je suis au courant et comme lui ne veut pas en parler, j’ose espérer que tu le feras.
– Parler de quoi exactement, s’énerve-t-elle.
– De ce qui s’est passé entre vous il y’a cinq ans. Tu sais, ça l’avait vraiment affecté à cette époque….
– Si son petit cœur d’artichaut a été affecté, le mien a été broyé jusqu’à ne ressentir que du dégoût envers les hommes. Lui, au moins, il a refait sa vie. Ces yeux sont voilés de tristesse.
– Je peux savoir pourquoi tu es si dégoutée par les hommes ?
– Non. Je ne suis pas venue ici pour être jugée ou pour me faire valoir. En venant à Dakar, j’ai enterré ma vie d’avant et le Malick que j’ai connu avec. Aujourd’hui, rien ne nous lie à part le boulot. Je n’ai de compte à rendre à personne à part Dieu et je suis quitte avec ma conscience. Maintenant de deux choses soit vous me virez, soit vous me laissez travailler en paix. Mais, il est hors de question que je vous parle de ce salaud de maire que Dieu n’est pas pitié de son âme. C’est clair, conclut- elle d’un ton menaçant, la poitrine bombée. Et moi qui croyais qu’il y avait que Malick qui pouvait me faire peur.
– C’est très clair, répondis- je en me levant. En sortant, je me redirige encore vers le bureau de volcan numéro un. Thieuye natou mo gawe (ho quel malheur). Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’on ne peut jamais avoir la paix. Tu résous un problème et tu vois tout de suite un autre se pointer. En venant ce matin, j’étais toute heureuse d’avoir retrouvé la tranquillité chez moi et voilà qu’au bureau c’est la tornade.
– Alors Mme ping-pong ça avance, me raille Fadel.
– Sors-moi ton dossier, Malick le demande. Le sang quitte son visage. Je me dépêche de le dépasser avant qu’il ne voit mon sourire. Dès que j’entre, je lance.
– J’ai un message d’Aïcha pour toi. Tout de suite, il lève la tête avec une émotion furtive au visage. Je répète mot à mot ce qu’elle venait de me dire. Je tourne les talons et avant que je n’atteigne la porte il dit.
– Attend une minute, qu’est-ce que tu me conseilles ?
– Han, maintenant tu demandes mon avis. Il fait une grimace.
– Je ne sais plus quoi penser ni quoi faire.
– Depuis que tu connais cette fille, tu ne fais que la juger. Lui as-tu, ne serait-ce qu’un jour donné le bénéfice du doute. Tu t’es contenté de la condamner sans l’avoir jamais écouté. Pourtant avec ton métier, tu devrais savoir que tout ce qui brille n’est pas de l’or. Moi en tout cas, durant ces deux semaines passées avec elle, s’il y a une chose dont je suis sûre, c’est qu’elle est loin d’être la fille opportuniste que tu m’as décrite il y a cinq ans. Et avec ce qu’elle vient de dire, elle a eu un passé lourd. Il fait encore une grimace avant de se lever.
– Pourquoi elle ne veut pas m’en parler ? Je lui ai tendu la perche ce matin.
– Hi, en l’accusant ?
– Tu crois que j’ai vraiment merdé ?
– Sur ce coup, oui. Pour l’instant, la seule chose à faire c’est de la laisser tranquille.
– Je ne peux pas, il faut que je sache ce qui s’est passé dans sa vie ?
– En amour, tu es trop impulsif.
– Il n’est pas question d’amour ici, juste d’attirance.
– Une attirance très forte qui te brouille l’esprit et te pousse à faire du je ne sais quoi.
– Tu es psy ou quoi ? Il ne se passera jamais quelque chose entre elle et moi maintenant qu’elle travaille ici….
– Alors pourquoi sa vie privée t’intéresse autant.
– Parce qu’elle travaille sur des dossiers sensibles et…. J’éclate d’un grand rire ce qui le fait taire en se renfrognant. J’ouvre la porte de son bureau avant de lui lancer.
– Si tu continues sur cette lancée, je te jure qu’elle va t’étriper. Le jour où tu arrêteras de te voiler la face, je suis à côté.
Je m’asseye enfin sur ma chaise en allumant mon ordinateur. Aïcha m’a touchée et je suis bien curieuse de savoir ce qui lui est arrivé et pour ça, il faudra sue l’on soit plus que collègue. Quant à Malick, il se braque et devient agressif parce qu’il éprouve toujours des sentiments pour cette fille. Comme dit Fadel, ça devient de plus en plus intéressant entre ces deux-là.
Quelques heures plus tard, je regarde ma montre, c’est l’heure de déjeuner. Il est temps que je lance l’opération séduction. Je pars voir Aïcha pour qu’on aille ensemble au restaurant. Elle hésite et je lui lance.
– Tu as était très claire, alors ne t’inquiète pas, je ne te pose plus de questions, ni moi ni Malick. Alors tu viens ? Elle me sourit et prend ses clés.
Ainsi, nous prenons l’ascenseur, j’entends des pas de course. J’appuie sur le bouton pour ne pas que la porte se referme et Malick apparait. Il regarde fixement Aïcha avant d’entrer. Je vois celle – ci reculer jusqu’au fond et faire semblant de ne pas le voir. Malick vient se mettre en face d’elle et lance les hostilités.
– Ce matin, je voulais te donner une chance de me reconquérir mais vu que tu t’es braquée alors tant pis pour toi. J’ouvre grand les yeux. Oh, qu’est ce qui lui prend ? Il est vraiment nul pour les relations. Aïcha réplique d’un ton encore plus sec.
– Tans-pis pour vous même. Vous seriez le seul homme sur terre, je n’en veux pas. Pif !
Je les regarde se défier et je souris. Ne dit- on pas que l’amour commence par la haine.
A lire tous les lundis…
Par Madame Ndèye Marème DIOP
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