Comme indiqué, WALFNet vous propose les bonnes feuilles de l’ouvrage «L’étranger parmi les siens». Un livre de Sidi Lamine Niass paru simultanément en France et au Sénégal vendredi dernier.
PREMIÈRE PARTIE
LA VOIX DES SANS VOIX
INTRODUCTION
ET L’AURORE S’ANNONCE SOUS FORME DE PROJET
Le présent ouvrage décrit une étape déterminante dans la conduite d’un projet qui remonte à une époque bien lointaine. Il jette aussi un regard sur une œuvre qui a été accomplie grâce à un enthousiasme débordant. Les énergies et les moyens nécessaires ont été fournis pour sa réalisation, et ce pendant plus d’un quart de siècle. Une œuvre qui a été la pierre angulaire d’une démarche professionnelle, qui s’appuie sur une réflexion approfondie. Tout cela traduisait la quête d’une essentielle symbiose entre deux entités divergentes. Entités qu’il fallait pourtant réconcilier en les intégrant l’une dans l’autre afin de susciter entre elles une convergence, voire une complémentarité, en lieu et place de rapports conflictuels. Ces deux entités sont l’Islam et l’africanité. L’aventure de la mise en route du Groupe de Presse Wal Fadjri (qui signifie « l’aurore »), constituant l’objet et le sujet de ce livre, s’appesantit sur le début d’une longue et pénible marche ponctuée par un travail dont on a le sentiment qu’il est encore aux antipodes de la perfection.
Créé dans cette terre africaine enracinée dans une Islamité profonde, le journal a vu le jour en 1984, sous forme d’un bimensuel d’information d’orientation islamique et paraissant en langue française, ce qui laissait transparaître son authenticité et son enracinement dans les valeurs de la culture arabo-islamique du continent noir, comme le reflètent les convictions profondes de son manager général.
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Devant cette farouche résistance de la classe maraboutique, les forces coloniales furent contraintes de se soumettre à la loi de la coexistence pacifique, basée sur le dialogue, et ce en dépit de leur supériorité militaire. C’est ainsi que la classe maraboutique a servi de relai entre les autorités coloniales et les masses populaires, par le biais de son activité littéraire et culturelle débordante.
Au départ, les autorités coloniales ne prenaient que des décisions politiques unilatérales, sans s’en référer à la classe maraboutique ou à celle des ceddos ; mais l’influence grandissante qu’exerçaient les marabouts sur les masses finit par obliger la classe politique, coloniale comme postcoloniale, à courtiser les marabouts qui pesaient de tout leur poids, notamment pour la mobilisation des masses populaires et les amener à accepter les décisions politiques.
Ces positions privilégiées ressemblaient plutôt à un cadeau empoisonné, d’autant que la posture plus ou moins confortable dans laquelle les autorités coloniales avaient installé la classe maraboutique s’est vite muée en une position féodale. Les hommes politiques de la période des indépendances ont tenu à conserver cet héritage colonial afin de mieux contrôler, voire diminuer l’influence des marabouts sur les masses.
Les années 1970 ont coïncidé avec l’émergence d’une nouvelle catégorie dans la classe maraboutique. Elle est constituée d’une élite arabophone réformiste dont la majorité est sortie des universités arabes. Ces nouveaux arabophones entreprennent, à leur retour au pays, d’ouvrir des écoles arabo-Islamiques plus ou moins modernes. Ils étaient porteurs d’idées nouvelles et progressistes quant aux rapports entre l’Islam et le pouvoir politique, Dou leur opposition à la démarche de la classe maraboutique traditionnelle phagocytée. C’est ainsi que le mouvement islamique atteignit très vite son apogée à cette même période. Mais il ne tarda pas à péricliter quelque temps après, suite à la nomination de certains de ses cadres à des postes importants, ce qui les détourna de leurs rôles de meneurs et précipita le mouvement dans une léthargie paralysante.
C’est l’avènement de la Renaissance islamique qui bouleversera la donne ainsi que les tendances dans le monde. Elle devint la nouvelle mode et le cheval de Troie qui perdit ses cavaliers. La Perse n’est faite que pour les esprits perspicaces !
L’un des premiers éclaireurs est le nommé Ayatollah de Kaolack qui voulut profiter du passage fugace du nuage d’été pour assouvir ses ambitions politiciennes et s’en servir comme paravent contre les tempêtes ravageuses qui soufflaient de toutes parts, suite au jeu d’échecs politique auquel il s’était adonné. Les vagues déferlantes allaient finir par le séparer de ses compagnons de route. Il se réfugia derrière une montagne pour échapper à la noyade. C’était, pour lui, une manière de tirer profit de l’opportunité qu’offraient la religion et la politique. L’apprenti politicien arbora la toge du politicien professionnel et emprunta le discours islamique, après s’être assuré de la décision du président chrétien du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, de quitter le pouvoir.
La guerre de succession faisait rage entre le Premier ministre alors, Abdou Diouf, et le ministre des Finances, Babacar Bâ, que les tendances présentaient comme favori, ce qui lui permit de gagner la sympathie de la plupart des acteurs politiques. Parallèlement, depuis 1974, il y avait une autre bataille politique contre Abdoulaye Wade, qui créa le Parti Démocratique Sénégalais et se positionna comme opposant.
Babacar Bâ fut le grand perdant dans la bataille pour la succession de Senghor, et l’enjeu changea de camp entre le successeur désigné et l’opposant conditionné. Moustapha Niass, alors directeur de cabinet du président Senghor, était la botte secrète de ce jeu d’escrime. On lui confia le rôle d’arbitre dans ce pugilat opposant les adversaires suivants : Babacar Bâ, ministre des Finances, Abdou Diouf, Premier ministre, Me Abdoulaye Wade, l’opposant, et les activistes de la classe maraboutique. Babacar Bâ, poussé hors du champ de jeu, fut contraint de chercher un compromis devant un Abdou Diouf mis en orbite.
À la fin du combat, l’ayatollah de Kaolack enfourcha le cheval de la faction islamique en brandissant l’étendard de la révolution islamique, qui s’étendait de l’Iran au Sénégal, avec la Libye, terre des nouvelles aventures, comme terminus. Ce fut le dernier scénario où vinrent s’échouer les rêves d’une longue pièce de théâtre, en attendant le jour où la classe maraboutique mettrait en scène un nouveau jeu à connotation opportuniste dans lequel, religion et politique occuperaient les premiers plans.
C’est ainsi que l’Islam refait subitement irruption sur la scène, à la recherche d’un terrain d’atterrissage qu’il ne trouvera que vers les années 1980, dans le cadre d’un échange d’opinions contradictoires. Il y a eu, tour à tour, la naissance de Jamaatou Ibadou rahmâne (Mouvement des serviteurs de Dieu), du Mouvement des Moustarchidines et de Hizbou Tarqiyat (Parti de la Promotion). Ces deux derniers mouvements sont de tendance soufie, alors que le premier (Ibadou rahmâne) est de tendance salafiste. Ils ont, tous les trois, réussi à marquer leur territoire grâce à un discours élitiste et mobilisateur et, de surcroît, adapté aux préoccupations sociopolitiques du moment.
C’est dans cette ambiance de renouveau qu’est apparue une initiative médiatique pouvant servir de relais au discours islamique, qui semblait avoir atteint ses limites pour franchir les barrières politiques. L’occasion ne pouvait être plus belle pour se positionner dans l’espace médiatique comme la voix des sans voix. Ceci, parce que les pouvoirs politiques avaient réussi à cantonner tous ceux qui tentaient d’élever la voix, dans le cercle vicieux du discours laudatif et élogieux pour le vainqueur. Le Groupe Wal Fadjri, nouvellement installé, devenait ainsi une opportunité et un moyen pour un nouveau projet.
Le but que visait le promoteur de ce projet, depuis trois décennies, était de réconcilier deux mondes inséparables : l’authenticité et la modernité. L’écrivain français Gilles Kepel a évoqué l’expérience du Groupe Wal Fadjri dans son ouvrage Expansion et déclin de l’Islamisme, mais il s’agit là d’un regard venant de l’extérieur, de la perception d’un orientaliste de l’autre bord.
Ce récit est alors un témoignage vivant de l’intérieur, pour retracer brièvement les circonstances qui ont vu naître Wal Fadjri et son évolution, décrivant avec précision les dimensions philosophique et éthique qui lui servent de socle. Il s’agit d’une contribution supplémentaire à ce que l’Islam a offert en termes d’apports civilisationnels aux populations de ce continent.
Après une longue marche, l’Islam a fini par s’enraciner en terre africaine et assurer sa continuité avec le temps, en attendant qu’arrive le jour où le bon grain sera séparé de l’ivraie. Il est évident que l’Islam fait partie des réalités africaines dont il constitue une des composantes essentielles. Adopté par les Africains depuis plusieurs siècles, il fait désormais partie intégrante de son patrimoine socioculturel, particulièrement au Sénégal. Solidement implanté, en dépit des aléas de la vie, l’Islam inscrit sa dynamique dans un long et pénible processus d’évolution, à la fois doux et amer.
Le sentiment collectif qui habite tout Africain face à l’agression des crises nombreuses et multiformes et qui le remplit de tristesse et de désarroi au quotidien n’est finalement que le fruit d’une opération d’acculturation avancée, née des campagnes d’évangélisation. Il résulte également de l’ignorance de la dimension islamique qui transcende le temps et l’espace, notamment dans ce continent noir qui a eu honneur de découvrir l’Islam au moment où celui-ci était encore dans ses débuts.
Lancien président-poète, Léopold Sédar Senghor, avait habitude de dire qu’en l’an 2000, Dakar serait comme Paris et il avait fait de son mieux pour que le Sénégal se transformât en un département d’outre-mer, sous la coupe totale de la France, ce qui en ferait un champ d’expérimentation pour la matérialisation de ses vœux et souhaits. La démarche de Senghor et son régime visait à faire du Sénégal un pays qui tournerait le dos à son riche patrimoine arabo-islamique. Un patrimoine qui a pourtant permis au Sénégal de retrouver la place qui lui convient dans le concert des nations.
Senghor a pu façonner, pour le Sénégal, un mode de vie et de pensée ainsi qu’une conception du monde à travers une vision occidentale, fondée sur le dogme judéo-chrétien et gréco-romain. Il théorisa sa fameuse « négritude » qui n’est que le prolongement de ces différentes doctrines, d’autant que la noirceur d’ébène n’est presque conforme à aucune couleur humaine.
Il y a, au Sénégal, des patriotes qui, depuis leur tendre enfance, se battent pour que le pays ne bascule pas dans le camp occidental, tel que Senghor et bien d’autres l’avaient voulu. Ces patriotes restent convaincus que la civilisation arabo-islamique fait partie intégrante du patrimoine de ce pays, comme en témoignent son histoire et sa culture.
Cette élite conformiste n’a pas voulu déroger à la règle. Elle respecta les consignes d’usage, s’engouffra dans l’arène des médias et de l’information par la porte principale. Un véritable raccourci pour accéder autant aux masses populaires qu’à l’élite des décideurs. Munie d’une offre aussi désuète que la langue arabe et la culture islamique, dont les dernières traces ont été emportées par la vague des bataillons conquérants, l’élite arabisante se retrouve tenaillée entre l’ennemi agresseur et la mer houleuse. Elle n’hésita pas à recourir à ses armes de prédilection que sont la volonté et la patience.
Il faut avouer que la voie était parsemée d’embuches, mais la volonté de ne jamais céder devant les difficultés était très forte, d’autant qu’elle s’appuyait sur cette remarquable expérience acquise des daaras dont la quintessence reposait sur l’endurance et la persévérance, en plus des activités quotidiennes d’apprentissage et de mémorisation. Le passage par la porte de l’information et des médias représentait, certes, une aventure sans précédent, mais elle était en même temps incontournable.
L’unique approche qui s’imposait à tout candidat à l’aventure était de s’éloigner des sentiers battus, ce qui ne manquerait guère de susciter la curiosité des observateurs, qui se posent des questions sur le secret de cette race d’élite arabophone qui réussit à vaincre les difficultés, en dépit des barrières linguistiques dressées sur leur chemin. La langue arabe qu’ils manient avec aisance, est vouée, dans notre pays, au musée des oubliettes, mais leur fermeté face aux défis à relever n’a d’égale que la subtilité de Shéhérazade.
Chaque étape de cette longue marche était jalonnée de nombreux obstacles, au point que certains mauvais esprits s’attendaient à une fin rapide de l’aventure, mais la marche se prolongeait encore et finissait par ressembler à du miracle. Les caravaniers, étant sûrs de la continuité de la marche, avaient annoncé dès la parution du premier numéro du bimensuel, qu’il ne tarderait pas à devenir un quotidien, révélant du coup, le défi en gestation, et qui ressemble à un conte médiatique des Mille et Une Nuits.
Comme nous l’avons déjà indiqué, les défis étaient très nombreux et celui de la langue en constituait la pierre angulaire. Le promoteur, Sidi Lamine Niass, était ainsi obligé de travailler dans ce nouveau projet avec une langue qui n’était pas la sienne. La langue française, devenue langue officielle du pays, a conquis sa place grâce à la force des chars de combat et autres canons de guerre et a relégué les autres langues locales au second plan, en faisant des dialectes ou de simples idiomes. Il en est de même de la langue arabe. Celle-ci utilisée par la majorité des Arabes qui sont Africains, l’avait pourtant précédée sur le terrain de plusieurs siècles.
La nouvelle expérience était d’autant plus importante qu’aucune des tentatives de mise en route d’une presse en langues locales ou arabe n’avait prospéré, ni au niveau de son tirage, ni de sa distribution ou de son impact sur les cercles de prise de décision. Les oreilles des décideurs n’étaient réceptives qu’A discours francophone. Autant d’obstacles qui s’ajoutent à celui du financement. Car, Sidi Lamine Niass n’avait qu’une vision et des idées !
Le terrain était déjà miné pour le promoteur et fils de marabout qu’il était. Les circonstances ont rendu la tâche plus complexe, car les années 80 ont coïncidé avec l’avènement d’une sorte de big-bang dans lequel la classe maraboutique, son accoutrement, l’Islam et la langue arabe étaient devenus la cible des accusateurs. La Renaissance islamique faisait peur aux pays occidentaux et a fortiori aux États satellites qui vivaient selon le système occidental qu’on leur avait imposé, mais la domination, jadis exercée sur les populations, commençait à montrer ses limites avec le déclenchement d’une lutte entre l’autochtone et l’expatrié.
Comment se fait-il que le promoteur, qui était perçu comme un revenant du Moyen Âge, aux gestes et comportements extravagants, pou-vait-il se lancer dans un combat civilisationnel sans merci ? Ceci, d’autant que les précurseurs arabisants, dans ce monde compliqué des médias, n’avaient pas laissé de traces pouvant servir de repères aux autres générations. Il ne restait alors au promoteur du projet d’autre issue que d’escalader à mains nues cette haute montagne.
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TROISIÈME PARTIE
LA POLITIQUE DE PARTAGE DU GÂTEAU (L’EXEMPLE DU SÉNÉGAL)
Tout est possible, certes, en politique. Mais aucun observateur ne pouvait imaginer que, cinq ans après leur arrivée au pouvoir, à un an des élections législatives initialement prévues pour l’année 2006, Abdoulaye Wade et Idrissa Seck allaient s’affronter dans un duel à mort qui conduirait à l’arrestation du dernier nommé, à son embastillement et à son exclusion du Parti Démocratique Sénégalais (PDS). Et que ce parti allait être secoué par une grave crise avec des répercussions dans la marche de l’État du Sénégal, rythmée pendant de longs mois par ce dossier politico-judiciaire d’une telle gravité. Cette tournure était d’autant moins envisageable que le long compagnonnage politique des deux hommes avait fortifié leurs relations personnelles, devenues quasi familiales. Avec une complicité entre deux hommes, et une complémentarité entre deux acteurs politiques.
Abdoulaye Wade aura été un mentor politique et un soutien financier pour Idrissa Seck, dans ses études et sa formation. Ce dernier a travaillé à mériter cela, par une fidélité et une constance éprouvées, durant des moments difficiles dans l’opposition. Voilà que, une fois au pouvoir, alors qu’ils ne sont plus l’objet d’intimidation ou de tentative de corruption et de déstabilisation de leur parti, éclate entre eux une telle crise.
L’affaire Wade-Idy n’est pourtant pas inédite dans histoire de notre jeune pays, si on la considère sous l’angle d’un duo qui se transforme en duel, en guerre ouverte, aux relations devenues aussi violentes quelles ont été profondes entre les deux hommes. Selon les époques, les contextes et les personnalités qui s’opposent, chaque épisode offre une lecture particulière à histoire, mais quelque part, des similitudes subsistent.
Avant cette affaire Wade-Idy, il y a eu Senghor-Lamine Guèye (1948) ou encore Senghor-Mamadou Dia en 1962, chacun de ces dossiers ayant, cependant, des aspects propres qui les différencient les uns des autres.
Entre Léopold Sédar Senghor et Maître Lamine Guèye (1945), les choses commencent par une lune de miel. C’est Lamine Gueye qui présente Senghor, politiquement s’entend, aux Sénégalais. L’enfant de Joal revenait de France où il était allé poursuivre ses études. L’avocat se fait parrain du jeune agrégé de grammaire à une époque où, à de très rares exceptions, le parchemin le plus élevé pour un Africain était le Certificat de fin d’études primaires.
Des divergences naîtront entre les deux hommes et ils se retrancheront chacun dans son parti politique : Senghor au Bloc Démocratique Sénégalais (BDS), Lamine Guèye à la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO). Les dernières années du combat pour l’accession du pays à la souveraineté internationale seront marquées par cette confrontation politique. Le jeune État en construction fut secoué dans ses fondements, mais resta debout.
La querelle entre les deux camps, d’un côté les Senghoristes, et de l’autre, les Laministes, allait être rude et violente. Des maisons furent brûlées, des épouses répudiées, des scènes de bagarres violentes se multiplièrent… Cette adversité tracera une ligne de fracture nette dans le pays, divisant notamment les familles religieuses. À Kaolack est née l’existence de deux pôles : Médina Baye d’un côté, avec l’oncle du Promoteur, El Hadj Ibrahima Niass, Léona Niassène de l’autre, avec le père du Promoteur, Khalifa El Hadji Mouhamed Niass. À Tivaouane, El Hadji Mansour Sy symbolisait un camp politique, alors que Khalifa Ababacar Sy était dans celui d’en face, ce qui est à l’origine de l’existence des deux mosquées de cette ville. La même division était notable à Touba : les intérêts politiques de Serigne Fallou Mbacké et ceux de Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma ne se recoupaient pas.
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La seconde fut Keur Madiabel, où Maguette Thiam remplaça Dansokho. Mais cette brève expérience de l’activité politique fut révélatrice pour le promoteur : elle le conforta dans l’idée que ce n’était pas là sa vocation.
Sidi Lamine Niass n’était cependant pas la seule personnalité religieuse avec qui Abdoulaye Wade allait engager un compagnonnage politique. Avant lui, il avait multiplié les initiatives dans ce sens. Il comprenait, en effet, toute la portée d’un tel soutien. Ce fut en particulier le cas avec Serigne Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma, dignitaire de la confrérie mouride qui, depuis les démêlés de Cheikh Ahmadou Bamba avec le colonisateur dans les années 20, se présentait en communauté martyre, de laissé-pour-compte du système de gouvernement issu de la colonisation.
Wade savait, en effet, qu’il ne devait rien espérer de l’Eglise. Celle-ci lui apparaissait comme un héritage de l’ancien ordre colonial. De même que Tivaouane, du fait de ses relations privilégiées avec le pouvoir socialiste, n’était pas le pôle sur lequel il pouvait compter de sitôt.
Observant bien l’évolution de la politique, Wade, tout comme Diouf, appréhendait le potentiel de sympathie, donc d’électeurs, que renfermait le « créneau » religieux. Il avait perçu, par exemple, que Me Babacar Niang, par ses liens familiaux avec Touba, Kaolack et Tivaouane, était parvenu à s’ouvrir d’intéressantes pistes, et que cet élan n’avait été brisé que par son exclusion du RND (Rassemblement National Démocratique) de Cheikh Anta Diop, en 1983.
Le constat s’impose : les Sénégalais ne sont pas très réceptifs aux hommes politiques qui démissionnent ou qui tournent le dos à un parti faisant face à l’adversité du pouvoir. Ils préfèrent les « martyrs », les exclus. Devant un conflit, leur réflexe consiste à classer les partis en lice entre le fort et le faible, et non de savoir qui a tort ou qui a raison.
L’évolution confirmera ce phénomène, avec les cas de Serigne Diop, Ousmane Ngom, Jean-Paul Dias, qui pâtiront de leur divorce d’avec le PDS, exclus ou démissionnaires, en passant pour des « traîtres ». Alors que Djibo Kâ ou même Moustapha Niass ont récolté, quelque part, les retombées de leur sort d’« exclus ».
Idrissa Seck, tirant cet enseignement, se refusera à démissionner du PDS, même au plus fort de la crise, lorsqu’il a été arrêté et mis en prison. Il restera sur cette option jusqu’à son exclusion du parti.
Le contentieux Wade-Idy naîtra du livre d’Abdou Latif Coulibaly (Wade, un opposant au pouvoir – L’Alternance piégée ?), en juin 2004. Abdoulaye Wade y voit la main de son premier collaborateur. Il lit le livre, le décrypte et se prépare par conséquent au combat.
Tout laisse à croire que ce sont quatre points essentiels qui retiennent son attention et sonnent l’alerte chez lui. Des points sur lesquels il n’entend pas laisser l’initiative à Idrissa Seck qui apparaît, désormais, à ses yeux, comme son principal adversaire, dans un combat politique au couteau.
1 – D’abord, Wade semble se dire qu’il est présenté dans le livre comme un homme du passé, dont on doit tourner la page, peut-être même en l’y aidant un peu.
2 – Ensuite, la dénonciation du mode de financement de la réfection de l’avion de commandement lui apparaît comme une accusation de violation de son serment présidentiel.
3 – L’affaire de l’assassinat de Me Babacar Sèye, récurrente dans le livre et dans les analyses politiques, notamment chez les adversaires, risquait de le poursuivre pour longtemps encore.
4 – Enfin, Maître Wade réalise aussi, à travers ce livre, que sa famille, tenue à l’écart de ses activités politiques pendant qu’il était dans l’opposition, est devenue une cible, maintenant qu’il est au pouvoir et que les siens s’impliquent dans les affaires publiques.
L’attaque perçue dans le livre lui fait très mal. Il n’agira pas comme Lhomme impulsif sous les traits duquel le décrit une certaine opinion. Il considère sereinement les problèmes, établit sa stratégie et engage froidement le combat qui s’annonce long et dur. Il mûrit son plan de contre-attaque, se prépare méthodiquement, s’aménage l’initiative de l’action. Avant de passer à l’offensive, il travaille à fortifier ses positions, à combler les failles apparues dans sa défense. Pour cela, il met à contribution sa majorité à l’assemblée nationale.
Il commence par clarifier l’affaire du financement de l’avion présidentiel. Objectif : faire en sorte qu’on ne puisse pas l’attaquer sur un tel dossier. Pour cela, une commission d’enquête de l’assemblée nationale est mise sur pied (2003). Les conclusions déposées diront qu’aucune illégalité n’a été commise par le président de la République dans cette affaire.
La seconde séquence de fortification des positions présidentielles a été le vote (17 février 2005) de la loi Ezzan. Nul ne devait plus pouvoir, même par allusion, mêler le nom du président à l’assassinat de Me Sèye : une loi d’amnistie fait l’affaire, en ce qu’elle efface l’existence même du crime visé.
Ces deux préalables réglés, Abdoulaye Wade pouvait se faire entendre de ses adversaires, déclencher sa riposte dont la violence allait être à la mesure de la douleur ressentie. Se retroussant les manches, Wade prend à témoin l’opinion, en wolof, sa langue préférée lorsqu’il veut atteindre les Sénégalais et se faire comprendre. Profitant d’une tribune politique dans les locaux du CICES (13 juillet 2005), il sonne la charge, par une mise en accusation publique de son ancien plus proche collaborateur…
QUATRIÈME PARTIE
UN ISLAM TANT ATTENDU
INTRODUCTION
L’ISLAM SANS FRONTIÈRES… DE L’EXISTANT À L’UNIVERSEL
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SUR LE PLAN POLITIQUE
La division du monde islamique est aussi politique, morcelé qu’il est en plusieurs minuscules États, revendiquant chacun une pleine souveraineté. Ces États balkanisés appartiennent également à différents courants politiques, notamment, le libéralisme et le socialisme. Ce morcellement leur a fait perdre leur solidarité, leur force mais aussi leur influence sur les décisions internationales.
Le musulman engagé s’insurge contre cette situation. Une situation dont a profité, pour s’imposer, un virus transplanté dans le cœur du monde islamique, allant de Dakar à Jakarta. Ce virus, c’est l’Etat sioniste. Il a tiré profit de l’affaiblissement du monde musulman à la suite de son morcellement par des plans comme celui de Sykes-Picot. Un monde musulman aussi affaibli par l’émergence de doctrines et idéologies, telles que la laïcité qui a séparé l’Islam de son système juridico-politique et socio-économique pour établir un modèle anti-islamique évoluant en contre-sens des interdits et recommandations de l’Islam.
C’est ainsi que la plupart des législations et règlements de ces pays balkanisés autorisent la vente et l’usage publics des boissons alcoolisées et interdisent l’usage de la drogue, alors que celles-ci ont le même impact sur la santé, la stabilité et la sécurité des populations. Aussi, ces législations n’interdisent pas la prostitution de même que l’enrichissement par l’usure. Elles en font plutôt un socle sur lequel reposent les relations et transactions humaines, une base de relations où l’être humain n’est qu’un être instinctif, guidé par l’intérêt et obnubilé par le plaisir, ce qui conduit à la dégradation des mœurs et de la foi.
De la même manière, ces pays adoptent une législation en faveur des intérêts des plus forts ; et l’exploitation de L’homme par Lhomme de se faire de plus en plus de manière déguisée, alors que le travail sincère se raréfie au profit de la corruption. Et le discours prend la place de l’action sérieuse. La ruse, le détournement de l’argent public et la faillite de l’Etat deviennent monnaie courante. Ce qui fait que la terre de l’Islam abrite désormais deux types de citoyens que tout oppose : les dominants arrogants et les opprimés affaiblis.
Les despotes ont travesti les constitutions, lois fondamentales et décrets en les soumettant au service exclusif des gouvernants qui se transforment ainsi en idoles, comme l’ont été ces idoles qui entouraient la Kaaba de l’Antiquité. Et les institutions sont devenues les idoles du monde contemporain. Mais le musulman engagé, de par sa foi, refuse cette forme d’idolâtrie, en disant « NON » aux gouvernants et aux institutions sur lesquels elle s’appuie. Il entend préserver la pureté de son cœur. Cette foi ardente le pousse à vouer à sa patrie (l’étendue qui va de Dakar à Jakarta, perçue comme socle pour un Islam modèle d’humanité et du globe), terre de l’Islam, un amour ardent au point de placer cet amour au-dessus de celui qu’il voue à l’Etat balkanisé et à toute appartenance régionale et ethnique, considérant ainsi que son peuple, c’est l’ensemble de la Umma…
Bonne lecture…