CHRONIQUE DE PAPE
Grande est la déception chez les corps habillés. Pour cause, des réformes judiciaires au cœur de leurs attentes restent toujours en l’état de vœu pieux. La journée d’imprégnation sur le Code de justice militaire, organisée jeudi dernier, à la caserne Samba Diéry Diallo, a permis d’en faire le constat. Le droit de faire appel est reconnu aux civils. Mais pour les corps habillés, c’est encore une lointaine aspiration dont le défaut foule du pied un droit mondialement reconnu. Il en est de même de la radiation à partir d’une condamnation de 3 mois, même avec sursis. Les voix sollicitant son relèvement à 6 mois sont assez nombreuses, mais restent jusque-là inaudibles. Face à l’emprisonnement en cascade de militaires et de paramilitaires, pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, rares sont ceux d’entre eux qui échappent à une condamnation en deçà de 3 mois.
Mais à côté de ce que la grande muette qualifie d’«injustice», les corps habillés peuvent, toutefois, s’estimer heureux que la suppression des ordres de poursuite, demandée par les magistrats, ne soit pas envisagée. En effet, les juges et procureurs considèrent que l’ordre de poursuite «diminue le pouvoir du procureur de la République dans les enquêtes impliquant des hommes de tenue», à cause du blocage qui peut en résulter. Il peut en être ainsi lorsque la tutelle décide de ne pas livrer son élément en conflit avec la loi, comme ce fut le cas dans l’affaire Mamadou Diop où l’ancien procureur de la République, Ousmane Diagne, avait envoyé trois demandes au ministre de l’Intérieur de l’époque, pour requérir des ordres de poursuite. Des réquisitions qui visaient l’ex-commissaire central, Arona Sy, et les deux policiers conducteurs des dragons de la police : Tamsir Ousmane Thiam et Wagane Soumaré. Voulant faire bénéficier à Arona Sy du privilège de juridiction, en raison de son statut d’Officier de police judiciaire (OPJ), le procureur d’alors souhaitait qu’il comparaisse devant la Chambre d’accusation, pour «complicité de coups mortels». Mais il n’en sera rien puisqu’entre temps, Arona Sy sera remplacé à la tête du Commissariat central de Dakar par son collègue Tamsir Diouf Diakhaté et ce procureur deviendra avocat général près la Cour suprême, à la suite d’une affectation punitive.
Ce retentissant plaidoyer du substitut général, Madiaw Diaw, lors d’un séminaire de la Cour d’appel de Dakar sur la réforme du Code de justice militaire, où il a été question de la suppression des ordres de poursuites, en dit long sur les motivations de la requête des magistrats. «Le procureur, pourtant directeur de la police judiciaire dans son ressort, hérite pour la première fois de procès-verbaux établis hors de son contrôle avant de saisir le juge d’instruction. Il importe de lui restituer ses prérogatives dans la direction de l’enquête en plaçant sous son autorité les officiers militaires enquêteurs même désignés par le ministre des Forces armées ou assimilés. Une telle réforme aura le mérite de mettre le procureur mieux à même de défendre la procédure surtout en matière criminelle où des cas de nullité sont souvent soulevés», avait-il relevé. Aujourd’hui, réduits en minorité sur ce point précis, les magistrats ne peuvent que se consoler de cette brèche faisant que l’obstacle d’un ordre de poursuite pourrait être contourné par le parquet, en cas de «manque de volonté politique»…
Au Sénégal, les dossiers judiciaires impliquant des militaires sont toujours ainsi traités : on emprisonne pour calmer les familles puis on libère en catimini. Plusieurs cas illustrent cela. D’abord, il y a eu l’affaire Moustapha Sarr tué à Soumbédioune (le 5 juillet 2010) par le garde forestier Yakhya Sonko. On n’en saura rien de la suite de cette procédure pourtant instruite par le tribunal militaire. Il en est de même pour les affaires Malick Bâ, Bana Ndiaye, Mamadou Sy, Ousseynou Seck, entre autres. Dans bien des cas, les autorités ont refusé de livrer le sésame au procureur, qu’ils soient des éléments appartenant aux corps militaires (Gendarmerie, Armée et Brigade nationale des sapeurs-pompiers) ou paramilitaires au nombre de six : la Police, la Douane, l’Administration pénitentiaire, le Service national de l’hygiène, la Direction des parcs nationaux et le Service des eaux et forêts.
La question des ordres de poursuite demeure, aujourd’hui, l’une des trois réformes judiciaires proposées par les magistrats, après la «Loi Latif Guèye portant criminalisation du trafic de drogue». Et en matière de délit douanier, lorsque la Douane requiert le mandat de dépôt dans son procès-verbal, ni le procureur ni le juge d’instruction n’ont de pouvoir d’appréciation.
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Par Pape NDIAYE
Chef du desk actualité Walf Quotidien