CHRONIQUE POLITIQUE
S’il s’était agi de connaître qui s’était le plus illustré dans la chasse à courre en vue de réduire Idrissa Seck au silence, le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, aurait, sans nul doute, remporté la palme. Celle de l’excès de zèle. Mais aussi celle du reniement de ses convictions d’hier, notamment quand il défendait bec et ongles l’ancien Premier ministre alors pris dans le piège des chantiers de Thiès. C’est ainsi sur injonction de ses services que le procureur de la République avait décidé de s’autosaisir pour l’ouverture d’une enquête sur le protocole de Rebeuss et avait même fait lancer les convocations. Et c’est sur ordre de la hiérarchie qu’il a tout suspendu. Il donne ainsi raison à ceux qui dénoncent, depuis le déclenchement de la traque des biens supposés mal acquis, une instrumentalisation de la justice à des fins politiciennes. On était, pourtant, en droit de s’attendre à mieux de la part de l’ancien fervent défenseur de l’orphelin et de la veuve qui a été le premier Africain à diriger la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (Fidh) à la tête de laquelle il sera élu en janvier 2001 à Casablanca, puis réélu en 2004 à Quito, toutes les deux fois à l’unanimité de ses 141 organisations membres. Mais le pouvoir ou plutôt la soif de pouvoir peut vous changer un homme, jusque dans ses convictions les plus fortes.
Quant à la palme de l’insolence, de l’outrecuidance, elle devrait revenir à Samuel Sarr. Sur ce point, aucun des professionnels de l’insulte qui gravitent autour du pouvoir, ne lui arrive à la cheville. Le langage est si ordurier, si rebutant qu’on se demande comment un tel individu a pu assumer de si hautes fonctions étatiques dans le passé. Mais qu’a-t-il donc retenu du défunt khalife général des mourides, Serigne Saliou Mbacké, dont il se targue d’être un de ses fidèles ? Tous les talibés authentiques de celui qui a clôturé l’ère des fils de Serigne Touba à la tête du khalifat, ont été éduqués par ce grand érudit dans le culte de la retenue, de la mesure en tout, de la décence et de la sobriété. Ses vrais talibés, à l’instar de Me Madické Niang, ne se hasarderont jamais à descendre dans les caniveaux. C’est à se demander si Samuel Sarr a retenu quelque chose de sa proximité avec cet homme de Dieu qui avait horreur de tout ce qui est excessif, de tout ce qui est opprobre. Sa dernière sortie insultante dans les colonnes du quotidien Libération prouve qu’il n’a rien appris de Serigne Saliou Mbacké.
Dans cette affaire du protocole de Rebeuss, la palme du reniement à ses amitiés passées sur l’autel de la politique partisane revient indubitablement à Me Nafissatou Diop Cissé. N’a-t-elle pas avoué, dans les colonnes de l’Observateur, regretter d’avoir connu celui qui était son «frère» jusqu’à ce qu’elle tourne casaque pour rejoindre le «Macky» et qui l’a rendue célèbre ? Avant qu’Idrissa Seck ne la projette au-devant de la scène politique, qui la connaissait à part ceux qui évoluaient dans le milieu du notariat ? N’empêche qu’elle semblait prête à faire du déballage sur le dos de son ancien mentor devant le procureur de la République si ce dernier n’avait pas fait du rétropédalage.
En effet, Samuel Sarr, Me Nafissatou Diop Cissé et autres Me Ousmane Sèye ne seront, sans doute, pas entendus de sitôt par les enquêteurs sur le protocole de Rebeuss. Parce que le chef de l’Etat pour les beaux yeux de qui tous ont rivalisé d’ardeur pour enfoncer son principal opposant, Idrissa Seck, s’est rendu, très tôt, à l’évidence qu’une telle affaire politico-judiciaire finirait en eau de boudin. Qu’elle remettrait le président de Rewmi sur la sellette dans cette position de victime qu’il recherche tant et qu’il affectionne autant. D’autant que Macky Sall doit connaître un bon bout de cette affaire. N’oublions pas que c’est lui, en tant que Premier ministre, qui avait envoyé, le 26 mars 2005, Idrissa Seck à l’échafaud. Son réquisitoire sans appel prononcé à l’hôtel Méridien Président en présence de tout le corps diplomatique accrédité à Dakar et de la presse nationale et internationale, doit certainement encore raisonner dans les oreilles de l’ancien maire de Thiès.
En outre, Macky Sall n’ignore pas qu’en décidant d’ouvrir une enquête sur le protocole de Rebeuss, le procureur de la République devra inévitablement faire entendre son prédécesseur Abdoulaye Wade dont le statut fait qu’il ne peut connaître que de la Haute Cour de justice. Idrissa Seck lui-même qui était Premier ministre au moment des faits, ne doit pouvoir comparaître que devant cette juridiction en ce qui concerne ce dossier. Et là où Wade et Idy sont entendus dans cette affaire, Macky ne devrait guère être loin pour connaître le même sort. Voilà pourquoi le débat ne pouvait être d’«aucun intérêt» pour le chef de l’Etat et la décision du procureur de s’autosaisir devrait faire long feu.
Par Abdourahmane CAMARA*
*Directeur de publication de Walf Quotidien
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