CHRONIQUE DE MARIEME
«Gardons à l’esprit que les apparences sont parfois trompeuses et que contrairement à une photo, la réalité, elle, grouille de sens.»
Le temps d’une rose, Aicha
Vous est-il déjà arrivé d’aimer quelqu’un dès le premier regard ? Depuis hier, je ressens un profond sentiment à la fois d’insouciance et de béatitude qui me procure un véritable bien-être lorsque je me trouve en sa présence. Malick, il s’appelle. Devant lui, la sérénité abandonne mon esprit qui laisse place à une maladresse circonstancielle ponctuée d’une étourderie incompréhensive. Quel nom donné à ce sentiment nouveau qui me procure autant l’allégresse ?
La première chose qui me fait deviner sa présence, c’est son parfum. Mon cœur commence à battre très fort avant même que mes yeux ne rencontrent son visage. Quand je le fais, c’est lui, en chair et en os, encore plus beau qu’hier avec son regard endiablé. Debout, il domine tout l’espace, m’empêchant de regarder ailleurs. Comme hier, l’atmosphère devient électrique et sa façon de me regarder ne fait qu’accélérer le rythme de ma respiration.
J’ai passé toute la nuit à penser à lui. Je crois que je suis entrée dans le pays des ‘je t’aime moi non plus ’. Et moi qui m’étais décidé à finir d’abord mes études avant de m’amouracher. Hi, c’est foutu. Voilà que je suis complétement tombée sous le charme de cet homme. Je ne sais pas comment un si parfait inconnu peut me faire autant d’effets. Je peinais à comprendre pourquoi mes amies avaient toujours cette envie de se faire belle. Aujourd’hui, je le comprends aisément. J’éprouve l’envie folle de plaire, de séduire et que sais-je encore. A cette pensée, je souris, ce qui va le pousser à réagir en avançant vers moi. Les battements de mon cœur s’accélèrent. Il s’assied à côté de moi, trop près de moi. Je baisse la tête comme une autruche et n’ose pas le regarder. Il me fait vraiment de l’effet.
- Salut, dit-il d’une voix sensuelle.
Je fonds comme une glace. Comme hier, les mots me manquent. Je veux répondre mais sachant que ma voix va trembler, je me tais. Face à mon silence, il continue.
- Hier, nous n’avons pas vraiment échangé même si j’avais très envie de mieux te connaître, explique-t-il. Est-ce que je te fais peur?
Je m’empresse de le regarder et de dire non de la tête. Ce qui le fait sourire. De prêt, il est encore plus beau, donc diablement plus dangereux. Je me demande quel âge il a. Comme s’il avait lu en moi, il dit :
- Tu sais que j’ai le double de ton âge, ce qui est fort embêtant pour moi. Mais, c’est la première fois qu’une fille me laisse cette impression et je sens que si je ne fais rien, je risque de le regretter après.
A ces paroles, j’ai envie de sauter au plafond.
- Et si on apprenait à se connaître pour commencer. Moi, c’est Malick Kane, j’ai trente-deux ans, je ne suis pas marié…
Et c’était parti pour une heure de conversation. Au début, c’est lui qui parlait le plus, mais au fur et à mesure, ma langue s’est déliée. Je ne sais pas comment mais il a su me mettre à l’aise. Plus les minutes passaient, plus je me détendais et arrivais à me débarrasser du complexe. Il y avait quelque chose de familier en lui qui faisait que j’étais en confiance. Nous avons commencé à communiquer sans gêne, à nous taquiner et à rire de quelques blagues. J’avais l’impression de le connaître depuis longtemps. C’était magique et cela me faisait en même temps peur. Cet homme a le double de mon âge donc bien assez expérimenté avec les femmes pour pouvoir facilement les amadouer. Comme mon frère le dit si bien, c’est sûrement un prédateur qui sait attirer sa proie. Mais je n’arrive pas à prendre congé de lui, ni à me méfier.
- Aicha, Aicha, crie d’un coup mon frère avec colère.
Je me lève d’un bond et avant de m’élancer vers Menoumbé, Malick me retient la main. – On se voit tout à l’heure ? Le contact de sa main me brûle.
- Oui bien sûr, réponds-je, le sourire aux lèvres.
- Tu es très belle tu sais, dit-il en se relevant.
Il me dépasse largement des épaules et j’ai l’impression d’être toute petite devant lui. J’ai très envie de me blottir dans ses bras puissants. Aicha Ndiaye yémal (reste tranquille). Je devrais me pincer à chaque fois que je suis avec cet homme.
- Aicha Ndiaye, crie encore mon frère avec hargne. Si je ne fais pas attention, il va exécuter sa menace en me dénonçant à papa. Je m’empresse d’aller le rejoindre. S’en est suivi une dispute violente. Mon frère disait qu’il était hors de question que je parte avec eux. Il n’avait pas confiance en cet homme à la peau couleur or et au regard dévastateur. Malick avait tout pour plaire aux femmes. Je crois que Menoumbé était surtout jaloux de son succès auprès de toute la gente féminine de l’hôtel. Même les mariées n’étaient pas en reste. Surtout Amina, qui est tellement subjuguée par lui qu’elle en bavait. Beurk !
Finalement, c’est oncle Badou qui le convainc de me laisser partir avec eux, en promettant que le chauffeur garderait un œil sur moi. Il est presque onze heures quand nous quittons l’hôtel, direction les champs agricoles de Fatick. Le maire n’était pas de la délégation Il avait appelé pour dire qu’il nous rejoindrait sur les lieux. A cette nouvelle, ma joie s’estompe. Malick comprit ma contrariété et me promit de le mettre à sa place. Et c’est ce qu’il a fait dès son arrivée. Je ne sais pas ce qu’il lui a dit, mais le maire ne m’a pas importuné comme hier. Aucun mot déplacé, aucune tentative de drague, juste de la courtoisie durant tout le reste de la journée. Il faut dire que Malick a l’air d’être quelqu’un qui sait se faire respecter. Encore une facette qui me plait mais ce que je préfère chez lui c’est son attention, son esprit ouvert, sa tendresse. Il me donne l’impression d’être unique au monde. Même s’il y avait tout un monde autour de nous, nos regards et nos échanges furtifs donnent le sentiment que nous sommes seuls. Je ne veux pas que la journée se termine. A 16 heures, le maire prit congé en me jetant un regard de convoitise. Je ne sais pas pourquoi mais je déteste cet homme, il est plus âgé que mon père et il n’arrête pas de me draguer. Shim ! Avec son gros ventre, on dirait une tortue de mer.
Nous sommes arrivés à l’hôtel vers 17 heures ; mon frère finit dans une heure, Malick me propose de prendre un thé au restau. Mais Menoumbé nous guettait et dès qu’il m’aperçoit, il rapplique, en me hélant. A ma grande surprise, Malick me suit en me prenant la main. J’essaye de me dégager mais son regard m’en dissuade. Je me résigne à le suivre, le cœur battant à 200 à l’heure. Je n’ai jamais vu mon frère aussi en colère. On aurait dit qu’il allait exploser d’une minute à l’autre. A sa hauteur, je n’ose pas le regarder.
- Bonjour Menoumbé, votre sœur m’a beaucoup parlé de vous, dit Malick le sourire aux lèvres.
Mon frère ne lui répond pas et regarde la main qu’il me tient d’un œil critique.
- Ne vous méprenez surtout pas sur mes intentions car elles sont nobles et dénouées d’une quelconque perfidie.
- Hein, loumou wakh sa toubab bi (qu’est-ce qu’il a dit ton blanc-là).
J’ai envie d’éclater de rire mais je me retiens pour ne pas l’énerver encore plus. Mon frère est vraiment nul côté langue et il ne fait aucun effort pour s’améliorer. Mais je dois dire qu’avec son français académique, Malick est difficile à suivre. En plus, quand on ferme les yeux, on peut croire que c’est un toubab qui parle. D’après ces dires, il a fait quatorze ans en France. Au lieu de répondre à mon frère, je regarde bêtement Malick, toujours subjuguée.
- Hi walahi, toi tu es foutue dé ! Une fille bien éduquée ne dévore pas des yeux un homme comme tu le fais. Attends rèk que l’on rentre à la maison, tu peux dire adieu à ce boulot.
Apeurée, je regarde mon frère essayant de trouver quelque chose à lui dire, mais quoi ?
- Aicha, tu veux bien m’attendre là-bas s’il te plaît, me dit Malick.
J’adore entendre mon nom être prononcé par lui.
- Vas-y, hurle Menoumbé.
Il a raison, cet homme m’a complétement ensorcelé. Je me dépêche de m’exécuter, la peur au ventre. Quand je m’assois cinq mètres plus loin, je vois Malick qui commence à parler. De loin, il dépasse largement Menoumbé, le dominant sous toutes les formes. Je vois mon frère, qui au début faisant le coq fier, se radoucir rapidement comme un ballon dégonflant. A la fin, quand Malick le quitte, il sourit et me fait un ok avec la main. Qu’est qu’ils ont bien pu se dire ?
En allant au restaurant, je ne peux m’empêcher de demander.
- Comment tu as fait pour qu’il accepte ?
- Je n’ai fait que le rassurer.
- Et comment ?
- J’ai une petite sœur moi aussi. Donc je comprends sa réaction et son devoir de te protéger. Et pour ta gouverne, nous pouvons rester ensemble jusqu’à 19 heures.
- Quoi ? C’est officiel, tu nous as maraboutés.
- Qui sait ? dit-il en éclatant de rire. J’adore le son de sa voix quand il rit et il parait tellement plus jeune.
Encore une fois, nous n’avons pas vu l’heure passer. J’étais plus détendue, moins coincée et crispée. Ce matin, c’est lui qui parle de sa famille, de ses études, de son retour au bercail…. A mon tour, je fais de même. Je lui parle de moi, de l’histoire de mon père, de ce qui nous a poussés à déménager, du rejet de ma mère, tout. Je n’ai rien omis et il m’écoutait avec tant d’attention. Moi je parlais, et parlais rèk ratatata ratatata. Je ne sais même pas ce qui m’a prise, moi qui suis d’habitude si réservée. Je lui parlais de mes études, de mon niveau que tout le monde exalte et surtout de mes ambitions pour le futur. Il était content d’apprendre tout cela mais pas surpris. A un moment, il me fait une bise sensuelle sur la paume de la main et là j’ouvre grand mes yeux. Il éclate de rire.
- Il va falloir que je freine mes ardeurs même si j’ai envie de t’embrasser depuis que mes yeux se sont posés sur tes lèvres. En disant cela, il les regarde avidement, je commence à transpirer.
- Il fait très chaud aujourd’hui, n’est-ce pas ?
A ces mots, il éclate encore de rire. Je crois que je viens d’être grillée. Ha, je suis vraiment dans l’embarras.
Après plus d’une heure de conversation, il m’achète un pot de glace au chocolat que je dévore avec avidité. Je n’y peux rien, je n’ai pas l’habitude d’en prendre. Il se penche à mon oreille pour me susurrer :
- Si tu n’arrêtes pas de te lécher cette lèvre en mangeant ta glace, je ne sais pas si je pourrais me retenir.
Mon geste se fige et j’avale d’un trait la boule de glace que je venais de prendre. Son regard de braise descendit légèrement sur ma bouche entre-ouverte.
- J’ai très envie d’y goûter.
Le temps se suspend, il parle de la glace ou… ? Je n’ai pas le temps de réfléchir, il se penche encore plus et ses lèvres effleurent légèrement les miennes dans un mouvement presque inoffensif. Cet instant est si magique que je ne songe même plus à lui résister. A l’instant où je relève un peu la tête, ses lèvres s’abattirent sur moi et comme une avalanche, elles ne laissent rien sur son passage. Un contact à la fois doux, brûlant et exquisément sensuel. Le temps est suspendu, j’ai arrêté de respirer, de penser et même d’exister. Je ne contrôle plus rien, j’oublie tout.
Les yeux fermés, je ne me suis même pas rendue compte qu’il s’était relevé. Où est passée Aicha Ndiaye ? La honte m’assaille. C’est seulement quand il regarde sa montre en se levant que je me rends compte que nos deux heures se sont écoulées. Cette nuit, je sais d’avance que je ne vais pas dormir.
- Vient bébé, ton frère t’attend. Quand nous sommes allés rejoindre ce dernier, il nous accueillit avec le sourire. C’est le monde à l’envers.
- Je t’appelle tout à l’heure, dit-il en déposant une bise légère sur mes lèvres.
Mon frère cesse alors de sourire et moi je bavais complètement. J’ai comme l’impression d’avoir reçu une décharge électrique qui me laisse glacer sur place. Malick était déjà loin, il ne s’est sûrement pas rendu compte qu’il m’avait embrassée. Je pose mes doigts sur ma bouche, c’est si doux.
- Ton toubab-là, dis-lui qu’il y a des choses qui ne se font pas en public. En plus toi, tu le laisses faire.
- Je, je…
- Je, je quoi ! Wallay, j’ai perdu ma petite sœur. Heureusement qu’il repart demain. Tu vois comme tu baves devant cet homme. Tu as donc oublié toutes les recommandations de maman. La réputation d’une fille est facile à bousiller surtout ici. Je ne sais même pas pourquoi je t’ai laissée partir avec lui. N’oublies pas ta dignité Aicha, ne laisses jamais tes sentiments primer sur tes valeurs. Déjà pour cette bise, tu devras faire 1000 astahfiroula (pardon à Dieu).
Je me demande combien je vais en faire pour celle du restaurant pensais-je : 10 000 ?
- Un peu de retenue au moins. Tu vas me dire mot pour mot ce qu’il t’a dit, fait ou que sais-je encore.
Mon frère parlait et parlait encore, moi je l’écoutais à peine, j’étais dans ma petite bulle. A un moment il s’arrête et me secoue par les épaules.
- Est-ce que tu m’écoutes au moins Aicha ? Je ne blague pas, c’est la première fois que tu es comme ça. Tu n’as jamais accepté de te laisser approcher par un client. Aujourd’hui tu as brisé toutes tes barrières et ce que j’ai vu ne m’a pas plu. Regardes-moi dans les yeux et dis-moi si je peux continuer à te faire confiance ?
- Oui Menoumbé, ne t’inquiète pas. Même si cet homme me fait beaucoup d’effets, je ne ferai rien avant le mariage.
- S’il t’invite dans sa chambre pour quoi que ce soit, refuses.
- Tu me crois si bête que ça.
Une grosse voiture noire se gare à côté de nous et instinctivement mon frère me prend la main. L’homme que je déteste le plus au monde sort, son sourire de crapaud aux lèvres, shim.
Mes enfants, pourquoi marchez-vous à cette heure tardive. Vous habitez où ? demanda-t-il. Comme à son habitude, il me dévore des yeux sans scrupule.
- A Escale monsieur le Maire, près du marché.
- Cela tombe bien, j’habite à deux pas de chez vous. Venez que je vous dépose.
Je regarde mon frère en lui disant non de la tête mais ce fou entre dans la voiture sans hésiter. Je fus obligée de le suivre.
- Tu sais que ta sœur nous a permis d’avoir de gros marchés grâce à sa maitrise de l’histoire de la région. D’ailleurs, je compte l’engager dans ma mairie parce que j’ai besoin de gens comme elle. Tu peux toujours rêver ai-je envie de lui dire. Voyant que je ne disais rien, il ajoute. Je vais te payer le double, sinon le triple de ce que tu gagnes à l’hôtel. Cette fois je lui réponds sans hésiter.
- Non merci, je ne suis pas intéressée. Mon frère me foudroie du regard avant de répondre au maire :
- Excusez la monsieur, elle ne sait pas ce qu’elle dit.
Enervée, j’ouvris mon livre et fais semblant de lire. Je décide de ne plus faire attention à eux durant le reste du trajet.
Le maire en profite pour poser le maximum de questions à mon frère, qui, insouciant, ne faisait que répondre. Arrivés chez nous, je m’empressais d’aller dans ma chambre en voyant que le maire nous suivait. Une demi-heure plus tard, Menoumbé vient me rejoindre et me fait comprendre que monsieur est très intéressé par moi et qu’il a offert 100 000 francs à mon père pour le remercier de m’avoir si bien éduquée, ce qui lui a permis d’avoir un bon contrat et patati et patata. J’étais vraiment en colère contre lui mais comme je devais recevoir un appel provenant de son portable, j’ai préféré ne pas déverser ma bile sur lui. En tout cas, pas pour l’instant. Au dîner, mes parents n’ont pas arrêté de faire les louanges du maire, j’avais envie de vomir, si seulement ils savaient. C’est fou comme les parents peuvent être naïfs.
Vers 21 heures, mon frère revient me tendre son portable, que je pris avec beaucoup d’enthousiasme croyant qu’il y avait Malick au bout de la ligne. Quelle fut ma déception quand je compris que c’est le maire. Tant pis, je vais lui dire mes quatre vérités.
- Ecoutez monsieur le maire, je sais très bien où vous voulez en venir mais sachez que je ne suis pas le moins du monde intéressée.
Silence…
- Je vais aussi être très direct, je veux faire de toi ma troisième et dernière épouse.
Silence encore…
- Je vous demande pardon ?
- Tu m’as bien entendu. Tu es tout ce que j’ai toujours voulu, belle, intelligente et instruite. Je ferai de toi la plus puissante femme de Fatick, tu auras…
- Stop, êtes-vous fou ? Quel âge avez-vous ? Je peux être votre petite fille.
- L’amour n’a pas d’âge très chère et tu verras que nous les vieux, nous savons bien nous occuper de nos princesses. Ce Malick-là, il va juste se jouer de toi et te jeter. Moi je te propose un mariage, une vie meilleure, un…
- Si vous étiez le seul homme au monde, je resterais célibataire. Est-ce que vous m’avez bien compris ? Sur ce, au revoir et à l’avenir ne m’appelez plus jamais.
Je lui raccrochais au nez avant de jeter le portable. Quand mon frère ouvrit grand les yeux, je me rendis compte de mon geste.
- Si tu bousilles mon portable, c’est moi-même qui vais te conduire à l’hôtel auprès de ce vicieux de maire, hamadi rèk (impolie va). Et ne comptes pas sur moi pour te le remettre quand Malick va appeler.
Le portable recommença à sonner dès qu’il le remit en marche. Et quand on parle du loup… Je me mis debout sur le lit.
- S’il te plait, tu es le plus bon, le plus gentil, le plus adorable…
- Stop, …
Il décroche, fait quelques salutations avant de me le tendre et d’ajouter d’un ton menaçant :
– Tu as dix minutes, pas plus. Il s’assoit devant moi et croise les mains. Je ne l’écoute même pas, je répondais déjà à Malick
- Oui ça va et toi ?
Menoumbé me fait un long shipatou (insulte de la bouche). Je mets ma main sur le combiné et lui dis : – Tu peux me laisser seule s’il te plait ? Dès que je finis, je viens te le rendre.
- Tu peux toujours courir, je reste ici.
Une idée me vient à l’esprit. Je me lève et vais vers mon tiroir prendre les 5 000 francs que papa m’avait donnés comme récompense. Quand je lui tends le billet, il sourit jusqu’aux oreilles avant de disparaitre en me lançant :
- Tu peux parler toute la nuit si tu veux, dit-il, dévisageant le billet avec appétit.
Nous avons continué notre communication féérique Malick et moi, jusqu’à ce que le portable s’éteint déchargé. Il était presque 2 heures du matin. Je regrettais de ne pas lui avoir parlé de l’incident avec le maire. Pourtant, à plusieurs reprises, j’ai failli mais je n’ai pas pu. Allez savoir pourquoi ?
Chambre 37, Malick
Nous avons parlé presque quatre heures de temps et si le portable ne s’était pas éteint, nous n’allions sans doute pas nous arrêter. Je m’étale sur le lit et l’image d’Aicha défile dans ma tête. Je me remémore le petit baiser qu’on a échangé, ou, que je lui ai volé. Si nous étions seuls, je ne sais pas si j’aurais été capable de me retenir. Cette fille m’obsède plus que tout et maintenant que j’ai gouté à ses lèvres si douces, je suis encore plus attiré qu’hier. Je n’ai jamais ressenti une telle sensation, une telle décharge électrique. J’ai dû puiser dans toutes mes forces pour me retenir. J’ai connu tant de femmes mais jamais je n’ai ressenti cet effet avec un simple baiser. Seulement deux jours et je suis complétement et totalement conquis. J’ai l’impression d’avoir connu cette fille toute ma vie durant et ce que je ressens quand je suis avec elle est indescriptible. Ai-je trouvé mon âme sœur ?
Le lendemain matin, je me réveille très tôt car j’ai trois réunions : la première avec les éleveurs et agriculteurs de la région, la seconde avec les hôteliers et la dernière avec les directeurs de sociétés. Ce qui me donne un emploi du temps assez chargé. Et tout cela doit être fait avant l’arrivée du bus de 15 heures en partance pour Kaolack. Je n’avais vraiment pas de temps pour Aicha. Heureusement, je lui avais donné rendez-vous à notre lieu de rencontre : le jardin. Je veux la rassurer et lui dire que mes intentions sont nobles. J’ai envie d’essayer avec elle, malgré son âge. Et, dans deux ans, si nous continuons d’avoir cette complicité et cette attirance mutuelle si forte, je l’épouserais. Maintenant, il va falloir la convaincre de prendre le portable que je n’ai pas pu m’empêcher d’acheter hier soir.
Malheureusement, je ne la trouve pas là-bas. Je décide de passer d’abord à la salle de réunion pour y jeter un coup d’œil. J’y retrouve le maire avec deux hommes.
- Bonjour monsieur le maire, vous êtes bien matinal ; c’est bien ! Et je vois que tout est en ordre. Ils seront là vers quelle heure ?
- 8 H 30 au plus tard.
Je regarde ma montre, il me reste une heure pour prendre mon petit déjeuner. J’espère voir Aicha avant que cette première réunion ne commence.
- Bien, à tout à l’heure.
Au moment où je m’apprête à sortir, il me prend le bras, m’incitant à m’arrêter. D’un regard, il demande aux autres de nous laisser seuls. J’en conviens que c’est quelque chose de personnel. J’espère qu’il n’est pas le genre de politicien à demander tout le temps de l’argent.
- Je sais que ça ne me regarde pas mais vous avez l’air d’être quelqu’un de bien, c’est pourquoi je voulais vous avertir pour Aicha.
Je me tourne vers lui, croisant les mains, le regardant droit dans les yeux.
- M’avertir de quoi ? lui demande-je en souriant.
J’espère que cet homme n’est pas assez bête pour essayer de dénigrer Aicha.
- Cette fille est de mœurs très légères, seulement avec vous, elle essaie de jouer à la sainte nitouche mais je….
- Assez ! On se voit tout à l’heure pour la réunion monsieur le maire et à l’avenir, veuillez-vous occuper de ce qui vous regarde.
Je tourne les talons et avant que je n’arrive devant la porte, il lance encore :
- Si vous ne me croyez pas, sachez que j’ai un rendez-vous avec elle à 15 heures, heure de votre départ dans une des chambres de l’hôtel. Et c’est d’elle que vient l’idée.
Je me fige un instant avant de continuer mon chemin. Au moment où je ferme la porte, il hurle : – chambre 37. Je claque la porte mais le coup était déjà parti. Même si je ne le voulais pas, ces paroles m’ont touché. Cet homme n’a vraiment aucun scrupule.
Il est huit heures quand je sors du restaurant pour aller encore voir si Aicha est là. A mon arrivée à la réception, je la vois discuter avec un homme d’âge mûr. Quand nos yeux se croisent, je ne peux m’empêcher de lui sourire. Un vrai baume au cœur, par contre elle, elle est hyper nerveuse et ne sait visiblement pas quelle attitude adopter quand je m’approche d’elle. Arrivé à leur hauteur, je me retiens de lui faire une bise et lui tend la main qu’elle prend avec soulagement.
- Bonjour Aicha, comment tu vas ?
- Bonjour M. Kane, Alhamdoulilah. Je te présente mon père.
Je comprends pourquoi je ne l’ai pas vue ce matin. Je me tourne vers ce dernier qui me scrute minutieusement. Ma présentation semble l’avoir soulagé et une discussion animée s’en suivie. J’avais tellement envie de me mettre à l’écart avec Aicha mais je ne pouvais pas. Nous étions coincés avec son père. Nous ne pouvions que nous jeter, de temps en temps, quelques regards complices.
Une fois arrivés à la salle de réunion, celle-ci était déjà pleine. Le maire vint au-devant de nous, tendant familièrement la main au père d’Aicha.
- Bonjour Ngoor, en déposant votre fille hier, j’aurai voulu rester plus longtemps avec vous pour discuter.
A ces mots, mon sang fit un tour.
- Effectivement, en tout cas merci pour l’invitation.
Je ne les écoutais plus, je ne les entendais pas. Il a déposé Aicha hier, quand ? Pourquoi ne m’a-t-elle rien dit lorsque je l’ai appelée. Nous avons parlé pendant plus de quatre heures, bien assez pour qu’elle m’en parle. Alors pourquoi ? Est-ce que le maire a raison ? Si ce qu’il m’a dit ce matin est vrai, alors elle est une très bonne comédienne. Tandis que l’on appelait à démarrer, je sentais que je n’allais rien capter de cette fichue réunion. Ce salaud a réussi à me mettre dans le doute. Maintenant, il faut que je sache s’il dit la vérité. Je n’ai jamais ressenti une telle jalousie. J’étais tellement en colère que, durant les pauses, je ne bougeais pas de la salle de réunion. A la fin des trois réunions, je décidais d’aller la voir afin d’éclairer cette histoire bizarre.
J’étais presque arrivé à la réception quand je vis le maire en train de parler à Aicha. Celle-ci était de dos, m’empêchant de voir l’expression de son visage, mais je voyais nettement son frère qui riait. Je sens la colère me remonter au-dessus de la tête alors je décidais de bifurquer et d’aller manger. Je ne savais plus quoi faire, ni quoi penser. En sortant du restau, on se bouscule juste devant la porte. On aurait dit qu’elle courait et comme d’habitude son sourire béat et ses yeux brillant me prouvaient à quel point je lui faisais de l’effet.
- Hey, tu pars dans une demi-heure et on ne s’est même pas encore parlé.
- C’est vrai, mais là je dois aller faire mes bagages. Tu veux m’accompagner ? Elle fait un petit pas en arrière, a l’air de réfléchir avant de parler d’un ton hésitant.
- Si j’entre dans ta chambre, ça se verrait d’un très mauvais œil.
- Il faut qu’on se parle Aicha, dis-je irrité.
- Ici, tout se sait et, en moins d’une heure, ma réputation sera détruite alors…
- D’accord, il faut vraiment que j’y aille, je n’ai pas encore fait mes bagages.
Si elle accepte de se faire déposer par le maire, je ne vois pas pourquoi elle ne veut pas venir avec moi, pensais-je énervé. Elle me regardait bizarrement ne comprenant apparemment pas mon attitude froide. – Je t’appelle tout à l’heure, d’accord ? Elle acquiesce la tête tristement. Quand je m’approche d’elle pour lui donner une bise, elle recule rapidement, ce qui me mit cette fois hors de moi.
- Quoi encore ? criais-je, …
Elle sursaute mais ne dit rien. Alors je tourne les talons et la laisse là. Je suis en train de me défouler sur elle à cause de ce fichu maire. Il a dit chambre 37 à 15 heures, on verra.
Le mensonge, Aicha
Toute la journée, j’ai attendu l’occasion de le voir, de lui parler. Il m’avait averti hier au téléphone, il avait des réunions. On s’était donné rendez-vous le matin mais c’était sans savoir que mon père allait être de la partie. Quand ce dernier me l’a annoncé le matin lors de la prière, mon sang ne fit qu’un tour. Moi qui voulais parler avec Malick de ce qui s’est passé hier avec le maire. Le fait qu’il nous a déposés, l’argent qu’il a offert à mes parents et l’invitation à mon père aujourd’hui. C’est évident qu’il veut passer par mes parents pour me conquérir. Shim ! J’avais un mauvais pressentiment avec cet homme, surtout après ce qu’il venait de me dire. Il m’avait regardé droit dans les yeux en me disant : « J’obtiens toujours ce que je veux, quoi qu’il m’en coûte. »
Maintenant, je n’ai pas trop bien compris l’habitude de Malick quand je suis allée le voir. Je suis comme perdue. Peut-être que mon frère avait raison. C’est juste un beau parleur qui cherche à me faire entrer dans son lit. Quand Menoumbé me voit, les larmes aux yeux, il se dépêche de demander.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Rien, répondis-je, me dépêchant d’écraser d’un revers de main une larme.
- Il t’a fait quelque chose ? Dis-moi Aicha, crie-t-il. Je vais le tuer.
- Hi Menoumbé dagua eupeul dé, arrêtes de faire des conclusions hâtives. Il ne s’est rien passé, c’est juste que tu avais peut-être raison à son sujet.
- Développe
- Il m’a proposé de l’accompagner dans sa chambre pour faire sa valise et quand j’ai refusé, il m’a crié dessus et est parti sans attendre. Je suis dégoutée.
- Je te l’avais dit. En plus, il se susurre dans tout l’hôtel qu’il a passé la nuit avec Amina.
J’ouvris grand les yeux et la bouche.
- Il faut que j’y aille, il y a oncle Badou qui m’a appelé tout à l’heure. Je reviens tout de suite, dit-il.
Il partait en courant et moi je restais là complétement dégoutée par ce qu’il venait de me dire. J’étais assise sur une chaise essayant de digérer ce que mon frère venait de me révéler, quand soudain Amina apparut, sourire aux lèvres.
- Salut ma belle, elle fait un grand bâillement avant d’ajouter, j’ai passé la plus belle et torride nuit de ma vie.
Ne voulant pas en entendre davantage, je me levais pour partir.
- Attends, s’écria-t-elle.
- Quoi ?
- Il y a Badou qui nous a convoqués à 15 heures, chambre 37 pour je ne sais quoi ?
Je regarde ma montre, il est 15 heures moins cinq minutes.
- Mon frère a aussi été appelé il y a dix minutes environ. Et depuis quand, on convoque une réunion dans une chambre.
- Va savoir pourquoi ? Vas-y, je vous rejoins, il faut que j’aille aux toilettes.
Je partais sans attendre, ne voulant pas rester une minute de plus avec elle. Sur le chemin, je vois de loin Malick, instinctivement, je me cache et contourne la route. Il était la dernière personne que j’avais envie de voir. Lui aussi, il fait semblant de ne pas me voir, tant pis. Mon cœur s’était brisé, je sentais mes larmes revenir. Je crois que je venais de vivre mon premier chagrin d’amour et c’est vraiment insupportable. Quelle désillusion ! Ce que j’ignorais, c’est que ce n’était-là que le début d’un long cauchemar.
La preuve, Malick
Comme un lion en cage, je fais les cent pas dans ma chambre. Que dois-je croire ni même penser ? Quand je l’ai embrassée, j’ai senti à quel point elle n’était pas experte, en plus elle est si timide et tellement sur ses gardes. Il y a des gestes et des regards qui ne trompent pas, cette fille n’est pas une dévergondée. Je ne peux pas me tromper à ce point. Je regarde ma montre, il est quinze heures moins cinq, je prends ma valise et sors de la chambre. Rien ne me coûte de vérifier, il a dit chambre 37. Au moment où je me dirige vers cette fameuse suite, je vois de loin Aicha qui se dépêche de se cacher. Alors je fais semblant de ne pas la voir, mon cœur bat tellement vite que respirer me devient impossible. Je continue de poursuivre mon chemin essayant de garder au maximum mon sang-froid. Quand je fus assez loin, je me retournais et partais en sens inverse. Je m’étais caché en face de la chambre en question quand je la vois débarquer. Elle tapa la porte, le maire ouvrit. Le cœur meurtri, je prends ma valise et rejoint les autres. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à ne plus croire à la femme idéale, à l’amour. Une désillusion totale qui allait m’accompagner toute ma vie.
Suite lundi prochain…
Par Madame Ndeye Marième DIOP
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