Dans la capitale du Ndiambour, la fracture numérique, expression popularisée par Jacques Attali, est une réalité. A défaut de pouvoir le faire dans le confort douillet de sa chambre, c’est dans la rue, en plein air, qu’on rase gratis -que dis-je ?-, qu’on se connecte à l’œil.
Il est 17 heures passé de 58 minutes à Altiéri, un quartier des faubourgs de la capitale du Ndiambour, et en temps universel coordonné. Le soleil, après avoir tapé sur les corps, les cœurs et les cerveaux, entame inexorablement sa descente vers le couchant. De loin, un attroupement attire la curiosité. Une dizaine de jeunes assis, qui sur une brique, qui sur une chaise ou tout autre reposoir à portée de main, ont la tête baissée sur quelque chose qui semble capter toute leur attention. Nous nous rapprochons d’eux pour tenter d’en savoir davantage sur l’objet de toute cette concentration. Puis, découvrons que ce qui se trouve au centre de leurs préoccupations se décline ainsi : smartphone pour les uns, tablette numérique pour les autres. C’est que, ici, on se connecte plein air. A l’instar des autres jeunes de leur âge, ceux de Louga sont connectés. Ils ont envie d’être sur les réseaux sociaux comme facebook. Mais, pour nombre d’entre eux, c’est dans la rue. Profitant de la négligence ou de l’ «altruisme» d’un voisin équipé d’internet sans fil (Wifi) mais qui ne s’est pas donné la peine de le coder, ils surfent à cœur-joie.
Ablaye, lycéen de son état, cache son jeu. La vingtaine, assis sur une brique, il a la tablette bien calée entre les mains. «Je fais des recherches pour un exposé», sert-il à votre serviteur qui le surplombe. En fait de «recherches», Ablaye est en train de visionner la série Frijolito de Nina Tv, «la chaîne 100% télénovelas», comme le chante cette télé du bouquet numérique qui fait recette chez les ménagères et les ados. Comme un gamin pris la main dans le sac, le jeune lycéen tente de se dédouaner. «C’est que, après quelques minutes de recherches, j’essaie de décompresser», justifie-t-il sans convaincre. Puis, embraie, à brûle-pourpoint, sur le prix de l’heure de connection dans les cybers de la capitale du Ndiambour et qu’il trouve un peu trop chers par rapport à la bourse d’un élève comme lui. Ici, l’heure de connection est facturée 500 francs. La moitié, 250. Ce qui semble hors de portée d’Ablaye qui a besoin de plusieurs heures pour faire des «recherches» pour ses exposés et, accessoirement, visionner ses séries préférées.
Amadou, lui, n’a pas les mêmes contraintes financières qu’Ablaye. Venu de son Fouta lointain pour chercher fortune, il évolue dans le négoce. T-shirt blanc assorti à un blue jean tombant sur des baskets, l’image d’Amadou tranche nettement d’avec celle des «beuthieuk fouk» des années 70-80. Branché au reste du monde, lui aussi ne se prive pas de cette connection gratuite plein air. «C’est ici que je face (entendez surfe sur facebook), fais mes appels imo ou viber», détaille-t-il.
Les cas d’Amadou et Ablaye sont symptomatiques d’une fracture numérique pour la résorption de laquelle des milliards sont pourtant mobilisés depuis une dizaine d’années. Le tout, pour un résultat que les jeunes lougatois sont loin de constater.
Ibrahima ANNE (Correspondance)