CHRONIQUE POLITIQUE
Il n’inspire plus la crainte à ses adversaires politiques et il n’est plus idolâtré par ses militants. A 90 ans révolus, le Pape du Sopi a beaucoup perdu de sa superbe. Au point que ses nombreux fils spirituels qui lui doivent presque tout, n’hésitent plus à le défier publiquement. Le lion est si vieux qu’il n’a plus ses crocs d’antan. Il n’a plus cette force physique et mentale qui en faisait un homme politique redoutable. A-t-il, pour autant, perdu cette clairvoyance qui a bâti sa réputation de grand stratège de la politique qu’il assimilait naguère à un jeu de ping-pong ?
Tout dans le déroulement des derniers évènements semble en attester. Abdoulaye Wade n’a-t-il pas engagé son parti, le Pds, dans la campagne pour le «Non» au référendum portant sur la révision de la Constitution que tout le monde savait perdue d’avance pour les «Nonistes» ? N’a-t-il pas oublié qu’il n’a plus de pouvoir de vie et de mort sur les responsables de son parti, en choisissant la manière forte pour amener Modou Diagne Fada à lui rendre la présidence de «son» groupe parlementaire à l’Assemblée nationale ? C’est ainsi que, plutôt de le pousser à la démission du Pds, ce qui lui aurait fait perdre, en plus de la présidence de ce groupe, son mandat de député, il le fera exclure de ce parti. Résultat des courses : l’enfant rebelle de Darou Mouhty a la loi avec lui et continue de diriger les députés libéraux malgré eux.
Mais il y a surtout qu’Abdoulaye Wade n’a plus la force (ni la force de conviction ?) de mener les grands combats politiques. D’autant qu’il s’est rendu compte, lors de la dernière manifestation qu’il avait voulu organiser à la Place de l’Obélisque et qui avait été interdite, que la magie du Sopi ne s’opère plus. Que les enfants du Sopi, en particulier celui des années de braises, sont devenus trop sages, l’âge aidant, pour faire revivre cette flamme qui avait fini par balayer les socialistes après quarante ans de pouvoir. Et l’exercice de ce pouvoir pendant douze ans les a rendus si timorés (embourgeoisés, diront leurs détracteurs) qu’ils le laisseront, ce jour-là, seul, face à l’armada mobilisée par son ex-fils putatif pour réprimer cette manifestation. Il s’y ajoute qu’ils ont, pour la plupart, déserté les prairies bleues qui se sont rabougries depuis que les électeurs sénégalais lui ont retiré le pouvoir de prendre des décrets qui nomment et qui limogent.
Dès lors, que reste-t-il au vieux Pape du Sopi ? Revenir à la raison et se persuader que l’époque où des centaines de milliers de jeunes sénégalais étaient prêts à mourir pour le «Sopi», est révolue. Que, contrairement à leurs aînés, les générations actuelles ne le perçoivent pas comme le messie, mais plutôt comme un patriarche qui a fait son temps. Le monument de la démocratie sénégalaise qu’il est resté, ne fait plus courir les foules. Il le sait. Il s’adapte. Et a profité du dialogue national convoqué le 28 mai dernier par son ex-fils spirituel pour le faire savoir. En obligeant notamment son parti à sauver du fiasco ce grand cirque auquel a pris part le numéro deux du Pds. Que cela puisse mettre à mal sa solide et durable alliance avec And Jëf/Pads, le Msu et les autres membres du Front patriotique pour la défense de la République (Ppdr) importe peu. La realpolitik le commandait et il en a été ainsi. Ceci prouve que, malgré le poids des ans, Abdoulaye Wade n’a rien perdu de ce qui en faisait un monstre politique, c’est-à-dire un homme froid.
Mais à 90 ans, l’ancien président de la République du Sénégal aspire, dans l’immédiat, plus à retrouver à ses côtés son fils biologique Karim Wade, là-bas dans sa retraite dorée de Versailles, à voir enfin ses trois petites-filles grandir sous les yeux attentifs de leur père plutôt que de l’entrevoir entre deux portes dérobées à la prison de Rebeuss, qu’à se lancer à la reconquête du pouvoir pour le Pds. Il doit certainement se dire qu’il aurait mieux fait de suivre ses prémonitions, quand il expliquait pourquoi il ne voulait pas que son fils descende dans l’arène politique. Il ne souhaitait pas, disait-il, le voir vivre les souffrances morales et physiques qu’il a vécues, entre la prison et l’exil, durant son long combat contre son prédécesseur Abdou Diouf. Mais, l’exercice du pouvoir ponctué par des purges qui l’ont éloigné de la plupart de ses fils spirituels, a fini par lui faire oublier tout cela et le pousser à laisser Karim Wade descendre dans le marigot aux caïmans qu’est la scène politique sénégalaise. Au final, il aura passé plus de temps à la maison d’arrêt de Rebeuss (trois ans) que son pater en dix-neuf ans d’opposition à Diouf.
Le prix de sa liberté a été payé le 28 mai dernier, à travers le sauvetage par Abdoulaye Wade de la cérémonie de lancement du dialogue national. Et Karim Wade devrait bientôt retrouver ses trois filles qui ont été privées de l’affection paternelle pendant trois longues années par celui-là que son père avait fait de toutes pièces, avec la bénédiction bienveillante d’Idrissa Seck. Ainsi, le Pape du Sopi va pouvoir enfin continuer à vivre tranquillement, entouré de l’affection de Viviane, de Karim, de Sindiély et de ses petites-filles. Sans rancune, à n’en point douter, puisque, contrairement à son ex-fils putatif, un tel ressentiment est inconnu au dernier d’une espèce en voie de disparition dans la classe politique africaine.
Par Abdourahmane CAMARA*
*Directeur de Publication de Wal Fadjri Quotidien