Les Panama Papers ont fait leur première victime de taille : le premier ministre islandais a démissionné mardi, emporté par la pression de la rue outrée par les révélations sur ses placements dans des paradis fiscaux.
C’est le premier «scalp» obtenu par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont les membres dévoilent depuis dimanche les pratiques financières et fiscales opaques de personnalités, chefs d’État, entrepreneurs, sportifs, banques… tout un éventail de clients du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, spécialisé dans la domiciliation hors frontières d’entreprises.
Sigmundur David Gunnlaugsson faisait face à la bronca depuis dimanche et les révélations sur des millions de dollars qu’il a détenus dans une société ayant son siège aux îles Vierges britanniques, appelée Wintris, avec sa femme Anna Sigurlaug Palsdottir, fille d’un riche concessionnaire automobile.
Des milliers de manifestants – une mobilisation massive à l’échelle de l’Islande – avaient réclamé sa démission lundi en jetant du skyr, un fromage blanc local, devant le Parlement.
Le premier ministre démissionnaire sera remplacé par le ministre de l’Agriculture Sigurdur Ingi Johannsson.
Depuis dimanche, les médias participant à l’ICIJ distillent les noms des clients qu’ils ont trouvés en épluchant plus de 11 millions de documents confidentiels de Mossack Fonseca, provoquant des remous dans le monde entier. Jusqu’ici, seules des personnalités tout à fait secondaires (un cadre politique local hongrois, le responsable de l’antenne chilienne de l’ONG de lutte contre la corruption Transparency) avaient été emportées par ces révélations.
Le premier ministre britannique, David Cameron, était aussi sous pression mardi, mais dans des proportions bien moindres. Son père Ian ayant dirigé un fonds d’investissement dont le siège est aux Bahamas et dont les profits ont échappé au fisc britannique à la suite d’un montage effectué via Mossack Fonseca, le chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn a demandé «une enquête indépendante».
Le premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, dont la famille est éclaboussée par les révélations, a quant à lui annoncé mardi la création d’«une commission judiciaire de haut niveau dirigée par un juge à la retraite de la Cour suprême», qui «tranchera sur la réalité et sur le poids de ces allégations».
Réagissant à ces tombereaux de révélations, le président américain Barack Obama considère pour sa part que «la question de l’évasion fiscale est un énorme problème», insistant sur la nécessité de durcir les lois en vigueur et de renforcer la coopération internationale sur ce thème.
En France, le quotidien français Le Monde, un des participants à l’opération de l’ICIJ, a mis en cause l’entourage de Marine Le Pen, la présidente du Front National (extrême droite), l’un des principaux partis politiques français. L’un des proches cités par le journal, Frédéric Chatillon, a protesté de la «parfaite légalité» des opérations.
Aux Pays-Bas, le quotidien Trouw affirme que parmi les centaines de Néerlandais qui ont fait appel aux services du cabinet panaméen pour créer des sociétés dans des paradis fiscaux, figure l’ancien joueur de soccer international Clarence Seedorf.
Le Monde a en outre placé la banque française Société Générale, dans le top 5 des banques qui ont eu le plus recours à Mossack Fonseca pour créer des sociétés hors frontières (une pratique qui n’est pas illicite), derrière HSBC, UBS, Crédit Suisse.
Programme nucléaire
Certains noms font en revanche planer un nuage plus sulfureux sur les Panama Papers.
Selon Trouw, John Bredenkamp, un négociant d’armes, a eu «au moins 13 sociétés» via Mossack Fonseca, dont «au moins cinq se sont retrouvées sur des listes internationales de sanctions pour une implication présumée dans la vente d’armes au président du Zimbabwe» Robert Mugabe.
Les médias britanniques BBC et The Guardian font aussi état d’activités allant au-delà de la simple évasion fiscale, affirmant qu’une société-écran nord-coréenne utilisée pour financer le programme nucléaire de Pyongyang a figuré parmi les clients de Mossack Fonseca.
DCB Finance, domiciliée à Pyongyang, a été enregistrée dans les îles Vierges britanniques en 2006 et a été légalement constituée par Mossack Fonseca, qui a cessé de la représenter en 2010. La DCB a été visée à partir de juin 2013 par des sanctions de Washington qui la soupçonnait d’avoir, à compter de 2006, fourni des services financiers à deux entités nord-coréennes jouant un «rôle central» dans la mise au point des programmes nucléaire et balistique nord-coréens.
Almodovar annule un acte promotionnel de son film Julieta
Le cinéaste espagnol Pedro Almodovar a annoncé mardi qu’il annulait la promotion de son nouveau film, Julieta, mercredi à Madrid, après la publication de son nom sur la liste des clients d’un cabinet d’avocats au Panama spécialisé notamment dans l’évasion fiscale.
«Compte-tenu de la priorité donnée à des informations sur des sujets non liés à Julieta, nous avons décidé (…) d’annuler la séance photo et la présentation de presse prévus demain», mercredi, a annoncé la maison de production des frères Pedro et Agustin Almodovar dans un communiqué.
Peu après le frère du cinéaste, Agustin, a précisé sur Twitter à l’attention des journalistes : «Nous avons annulé la séance photo en raison de la pression mais maintenons les entretiens».
Selon le quotidien en ligne espagnol El Confidencial, qui a publié une partie de ces documents, les Almodovar avaient des pouvoirs en lien avec une société basée aux Iles vierges britanniques en 1991. Toutefois les documents n’indiquent pas clairement si cette société disposait d’un capital.
Agustín a assuré que son frère n’était pas au courant de son existence «car il ne s’occupait que des aspects créatifs». «Mais on l’a laissée mourir car elle ne cadrait pas avec notre manière de travailler», a-t-il ajouté en regrettant le tort causé à l’image de son frère lié à son «manque d’expérience» à l’époque.
Il a assuré que les deux avaient rempli toutes leurs obligations fiscales.
Le film Julieta doit sortir vendredi en Espagne. Avec les actrices Emma Suárez et Adriana Ugarte dans les rôles titre, il raconte l’histoire d’une femme dont la fille quitte la maison sans la moindre explication à 18 ans et disparaît pendant une décennie.
Une pénalité de 1,1 million $ est imposée à une banque canadienne
L’agence fédérale de lutte contre le blanchiment d’argent a imposé une pénalité de 1,1 million $ contre une banque canadienne non identifiée pour avoir omis de rendre compte d’une transaction suspecte et de divers transferts d’argent.
C’est la première fois que le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), établi à Ottawa, sanctionne une banque.
L’agence retrace les fonds liés au terrorisme, au blanchiment d’argent et à d’autres crimes en parcourant annuellement des millions de données des banques, des compagnies d’assurance, des courtiers de valeurs mobilières, d’entreprises de services monétaires, de courtiers immobiliers et de casinos, en outre.
Le porte-parole du CANAFE Darren Gibb a affirmé ne pas pouvoir discuter des détails des infractions, et l’agence exerce son droit discrétionnaire de ne pas divulguer l’identité de l’institution financière, qui a payé récemment la pénalité de 1154 670 $.
Mais le CANAFE veut signifier clairement qu’il prendra toutes les mesures nécessaires pour encourager le respect de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
L’annonce survient alors que les institutions financières canadiennes font l’objet d’une surveillance accrue en raison d’une fuite massive de documents, connus sous le nom de «Panama Papers», mettant au jour des transactions douteuses assimilées à de l’évitement fiscal de la part de nombreuses entités et personnalités à travers le monde.
L’agence doit pouvoir compter sur un flot constant de signalements de grandes transactions monétaires, d’accords et de transferts de fonds électroniques douteux afin de produire les renseignements utiles, a affirmé M. Gibb en entrevue.
«Le signalement pour nous est absolument crucial. Sans ces signalements, CANAFE n’est plus en activité», a-t-il soutenu, mardi.
«Nous ferons preuve de la plus grande diligence pour s’assurer que les entités soumettent au moment voulu les informations sur les transactions douteuses», a-t-il ajouté.
Quelque 31 000 entreprises à travers le pays doivent fournir de l’information à CANAFE. À son tour, l’agence a fait 1260 divulgations de renseignements financiers à ses partenaires de la police et de la sécurité nationale en 2014-2015.
La banque est sanctionnée pour avoir notamment omis de dévoiler une transaction suspecte tentée ou véritable, un reçu de 10 000 $ ou plus pour une transaction unique, un transfert de fonds électronique de 10 000 $ ou plus vers une destination à l’extérieur du Canada et un reçu de l’extérieur du Canada d’un transfert de fonds électronique de 10 000 $ ou plus.
CANAFE a obtenu 92 531 signalements de transactions douteuses d’entreprises à travers le Canada en 2014-2015, une augmentation de 11 % par rapport à l’année précédente.
«Oui, nous avons fait des progrès significatifs, et nous en sommes contents», a dit M. Gibb, ajoutant du même souffle que «certains secteurs ont encore du travail à faire».
Lapresse avec la Presse Canadienne