«L’œuvre authentique n’est et ne peut être un soutien de l‘oppression, et le pseudo-art (qui constitue parfois un soutien de cette sorte) n’appartient pas à 1’art.» H. Marcuse
Au Sénégal, la politique-métier a fini de coloniser toutes les dimensions de la vie sociale. Les domaines les plus libres sont sournoisement envahis par la politique. Dans un tel univers, l’art devrait être le dernier rempart qui protège l’homme de l’instrumentalisation outrancière que lui fait subir la politique-métier. Des artistes accomplis, de renommée mondiale, se sont laissés inféoder par des lobbies politico-économiques que tout le monde connaît.
D’autres moins nantis sur le plan purement artistique ont trouvé le moyen de compenser leur déficit de génie : ils cherchent la célébrité dans les méandres de la politique. Les évènements font souvent les hommes, pensent les historiens : en l’espèce ils n’ont pas tort, car l’opportunisme a permis à certains artistes de se hisser au-delà de la valeur intrinsèque de leur œuvre.
Il est à remarquer d’ailleurs que les thèmes de choix de nos artistes se réduisent au triptyque : amour, lutte, et «sambay mbayaan» (quémandage déguisé sous le voile artistique). En plus d’être abusivement folklorique, cet art refuse de porter le combat contre la paupérisation des masses orchestrée par les politiques et les entreprises étrangères. Ainsi quand le génie artistique ne se laisse pas soudoyer par la politique, c’est l’inverse qui se produit : la politique est squattée par des artistes en mal d’inspiration.
Il faut, sous ce rapport, faire preuve d’une méfiance soutenue envers ces pseudo-artistes activistes qui tentent d’essaimer le paysage politique. Leur dessein est loin d’être clair et ce n’est pas parce qu’ils clament être équidistants des pouvoirs (politiques et économiques) qu’ils le sont réellement. Les voies de l’enrichissement occulte et du blanchiment d’argent sont multiples et escarpés d’autant que l’information est désormais confisquée par les différents protagonistes du système de partage du bien public.
Après avoir domestiqué des journalistes et certains intellectuels, les pouvoirs occultes qui agissent sur notre pays ont investi le domaine artistique pour finaliser leur omniprésence. Le fameux «weur ndombo» n’était pas contre un système, c’était dirigé plutôt contre un homme en vue de lui ravir ce qu’il détient et qu’on convoitait si férocement sous le prétexte d’un patriotisme d’ailleurs tardif.
Le système est davantage ruineux pour le Sénégal, mais la fiction artistique a peint les surfaces d’une grisaille qui empêche toute lisibilité. L’art peut aussi être réactionnaire et foncièrement avide de pouvoirs : il devient l’appât qui endort le Peuple tout en feignant de l’éveiller et de défendre sa cause.
De l’opium à la consolation, la frontière est difficile à cerner et l’art peut allègrement surfer sur cette confusion pour donner corps à une sournoise volonté de puissance.
Marcuse a dit : «II existe des exemples, pourtant, où une œuvre authentique apporte un message politique réactionnaire, (…). Mais 1’œuvre alors annule le message : le contenu politique réactionnaire est absorbé, dépassé (aufgehoben) dans la forme artistique, dans 1’œuvre littéraire.»
Ce que dénonce Marcuse ici c’est une ruse de l’art consistant à faire passer un fond occulte à travers les formes sublimes de l’art. L’art est usurpé par le pseudo-art pour pétrir la misère du Peuple en lyrisme démocratique grâce aux procédés artistiques élaborés. C’est que l’art est doté d’une force mystérieuse par laquelle il emporte hors du réel, en faisant fondre toutes les barrières de celui-ci. La réalité est parfois trop étriquée et trop exigeante envers l’homme : elle attend beaucoup de nous sans tenir compte de nos faiblesses naturelles.
Heureusement que nous avons l’art pour nous sauver de cette grande prison que sont la nature et, surtout, la vie sociale avec ses restrictions non seulement nombreuses, mais aussi parfois contradictoires. Le mystère de l’art réside dans sa capacité à produire une beauté semblable à une oasis de bonheur dans un désert de malheur. Mais dans le désert, les mirages d’oasis sont les pires ennemis d’un voyageur impatient et imprudent : ses espoirs sont toujours déçus comme dans le supplice de Tantale.
Ces pseudo-artistes qui profitent directement ou indirectement de la politique sont des tricheurs, or derrière toute tricherie, il y a un crime ou une tare qu’on cherche à occulter. Le blanchiment d’argent : tel est le secret de la collision entre des forces politiques et des artistes. On ne peut pas bâtir une réussite artistique sur fond de commerce politique, c’est malhonnête et cela trahit un manque criard de talent : c’est une escroquerie artistique qui cache un défaut de génie.
Or le génie est la base de la création artistique, une œuvre sans génie n’est pas de l’art et un artiste sans œuvre n’est qu’un imposteur, un plagiaire, un vulgaire usurpateur. Chers rappeurs allez-y travailler d’abord votre génie avant de prétendre faire porter à votre pseudo-art un combat politique.
Chers artistes planétaires, nous reconnaissons votre génie, mais nous ne vous laisseront jamais en faire le cheval de Troie d’une promotion d’intérêts égoïstes. Arrêtez d’abrutir le Peuple par votre pseudo-art.
ALASSANE K. KITANE