Le quotidien national Le Soleil, dans sa livraison n°13750, du vendredi 25 mars 2016, a présenté une interview de Youssou Ndour, leader de Fekke ma ci boole.
A la question de savoir s’il se prépare pour la prochaine présidentielle de 2019, Youssou Ndour a répondu : «En 2019, je soutiendrai la candidature de Macky Sall et je vais m’engager pour sa réélection (…) Je vais travailler pour qu’il ait son second mandat, dès le premier tour». Cette réponse n’a rien de scandaleux a priori. Mais, mise en rapport avec la position et la posture que Youssou Ndour avait affichées en 2012, il y a le grand écart. On voit là toute la contradiction d’un homme qui est tombé par effraction, comme un cheveu dans la soupe, dans un monde politique qui n’est vraiment pas le sien et où il multiplie les bourdes, comme il collectionne les disques d’or dans un autre domaine qu’il maîtrise à merveille.
Pour rappel, en 2012, Macky Sall était bien présent sur la ligne de départ des candidats à l’élection présidentielle au même titre que Youssou Ndour qui n’a pu s’étalonner avec les autres pour la simple raison que sa candidature a été invalidée par le Conseil Constitutionnel. Mieux, Macky Sall sillonnait déjà le pays en allant battre campagne au moment où «ceux qui faisaient leur cinéma à Dakar» (Macky Sall dixit) y compris Youssou Ndour, perdaient leur temps à la Place de l’Obélisque à dénoncer «la candidature anticonstitutionnelle» du président Abdoulaye Wade. C’est un fait, Macky Sall n’a jamais été le mentor en politique de Youssou Ndour dont la candidature en 2012 n’a jamais été une chose sérieuse. Le musicien, qui gérait un vieux contentieux, voulait tout simplement solder des comptes avec le président Wade en maquillant son attitude revancharde par une pseudo-candidature à la présidentielle. Aussi, a-t-il tout mis en œuvre pour arriver à ses fins (…)
Youssou Ndour est, comme on dit, un ange et un démon. Ange d’abord, car Youssou Ndour, qui a quitté l’école à l’âge de 13 ans, sans diplôme, est un self made man, un symbole de persévérance et de réussite professionnelle et sociale qui doit inspirer beaucoup de monde et être donné en exemple. Le magazine américain Times a classé Youssou Ndour parmi les 100 personnalités les plus influentes dans son palmarès 2007. Le mérite de Youssou Ndour, qui a intégré Le Petit Larousse des noms propres en 2005, est d’avoir démontré, à une époque où ce n’était vraiment pas évident, que le showbiz n’est pas ce milieu interlope, malsain et stigmatisé que l’on nous faisait croire à travers des idées reçues qui ne reposaient sur aucun fondement rationnel. Youssou Ndour a su briser bien de certitudes solidement ancrées, et mettre à nu des préjugés tenaces, comme un défi lancé au rêve d’une carrière de fonctionnaire derrière son bureau à laquelle ses parents le préparaient et le destinaient.
Chef d’entreprise moderne, businessman prospère et gagneur, homme d’affaires rigoureux et intraitable, Youssou Ndour est tout à la fois. Ma Cha Allah ! Un spécimen très rare et qui doit être donné et érigé en modèle. A l’étranger, quand il nous arrive de décliner notre nationalité sénégalaise, la réaction des gens d’en face est invariable : «Ah ! Sénégal ? Youssou Ndour !». Ce qui, naturellement nous fait pâmer de fierté difficile à contenir.
Faudrait-il le rappeler, Youssou Ndour est une star planétaire doublée d’un grand acteur économique au success story admirable. Grand magnat de la presse, son groupe de presse, le Groupe Futurs Médias (Rfm, Tfm, L’Observateur, iGFM) caracole régulièrement, et d’une année à l’autre, à la tête des sondages d’opinion. Signe de performance et de compétitivité. Mais, en matière politique – et c’est là que le bât blesse – c’est le désastre total. Et voilà que surgit le côté démon de l’homme.
Youssou Ndour n’a pas son pareil en matière de manipulation, de chantage et de trafic d’influence. Les hostilités entre Youssou Ndour et le président Wade ont démarré avec la manipulation, les pressions et les harcèlements. Promoteur d’une «télé à vocation culturelle» initialement, il a eu à exercer une pression inouïe sur l’Etat, alors que ce dernier, pas suffisamment rassuré et convaincu de la licéité de l’origine du financement de ce projet, a laissé trainer les choses. Le président Wade avait reproché à Tfm d’être financée par de l’argent extérieur, autrement dit par l’industriel français Vincent Bolloré. Youssou Ndour a dû justifier, documents à l’appui, que la Tfm a été montée sur fonds propres. Il n’en fallait pas plus pour que «You» entre dans le maquis.
Maître-chanteur, Youssou Ndour l’est incontestablement. C’est ainsi qu’il s’était livré à un vil chantage sur la Délégation générale du Fesman et, par ricochet, sur l’Etat du Sénégal, à quelques heures seulement de la cérémonie d’ouverture de ce grand rendez-vous culturel du monde noir. Youssou Ndour a aussi usé, à volonté, du trafic d’influence relativement à sa candidature avortée à la présidentielle de 2012. Extraits du délibéré du Conseil Constitutionnel en sa séance du 27 janvier 2012 : «Le Conseil constitutionnel, en sa séance du 27 janvier 2012 statuant en matière électorale, CONSIDERANT que Youssou Ndour, candidat indépendant, a produit une liste de 12 936 électeurs appuyant sa candidature dont seuls 8 911 ont pu être identifiés et leurs signatures validées ; que dès lors, sa candidature qui ne répond pas aux prescriptions de l’article LO 115 doit être déclarée irrecevable. DECIDE : (…) Article 2 : La candidature de Youssou Ndour est déclarée irrecevable». Youssou Ndour a aussitôt dénoncé un «coup de force» du président Wade, ajoutant : «Je suis candidat et je le reste», et précisant qu’il avait «48 heures pour un recours» contre la décision du Conseil.
Dans le documentaire du journaliste Amadou Diaw, «Carnets secrets du conseil constitutionnel», le constitutionnaliste Isaac Yankhoba Ndiaye révèle que Youssou Ndour ne savait même pas remplir le formulaire de candidature. Mais, Youssou Ndour n’en a cure. Il ameute la presse étrangère, en exploitant sa renommée de star planétaire. Alors, friands de scoops et conscients de la grande audience internationale de Youssou Ndour, les médias étrangers braquent leurs caméras sur le Sénégal. Au micro de l’Agence France Presse, Youssou Ndour se lâche : «Moi, quand je deviens président du Sénégal, je sais que je suis accueilli à bras ouverts un peu partout dans le monde, et là je pourrai changer la donne, faire partie d’une dynamique économique, parce que j’ai envie d’atteindre l’autosuffisance alimentaire». Bon sang ! Dieu nous garde d’un président avec une naïveté et une niaiserie pareilles et aux analyses aussi superficielles que simplistes!
Lors d’un meeting de la coalition «Bennoo Bokk Yaakaar» à la Place Faidherbe de Saint-Louis, à la veille de l’élection présidentielle de 2012, Youssou Ndour a fait une déclaration délirante : «Je vais vous décevoir, je ne vais pas chanter aujourd’hui. Je ne chanterai plus tant que Wade sera au pouvoir». Dans sa volonté farouche de faire tomber le régime du président Wade, Youssou Ndour est allé même jusqu’à mettre entre parenthèses sa carrière musicale et placer dans une incertitude totale l’avenir des pères de famille qui composent son orchestre, mettant ainsi les musiciens du Super Etoile au chômage technique.
Le 21 juin 2013, les Sénégalais ont eu droit au «bégué time» avec la production du ministre-chanteur Youssou Ndour au Cices, rehaussée par la présence d’une délégation gouvernementale conduite par le ministre de la Justice Mimi Touré, flanquée des ministres Abdoulaye Daouda Diallo, Augustin Tine, Mor Ngom, Seydou Guèye et consorts, venus danser, s’éclater et faire la fête avec leur collègue. Bref, la République désinvolte qui s’amuse, chante, rit et danse au moment où le bas peuple qui n’a pas l’esprit à la fête, cherche le diable pour lui tirer la queue. C’est cela aussi le régime de Macky Sall (…)
Dans sa livraison n° 2591 du jeudi 10 mai 2012, à la page 9, le quotidien L’Observateur, du groupe de presse Futurs Médias dont le propriétaire n’est autre que Youssou Ndour, a relayé les propos de ce dernier qui s’en prenait au président Abdoulaye Wade en ces termes : «Ce n’est pas sympa de perdre le pouvoir et de rester ici à gêner les gens (…) Abdoulaye Wade doit se taire ou quitter le pays».
Il faut être vraiment ingrat pour parler de cette façon au président Abdoulaye Wade, un homme qui, du temps où il était le chef de l’Etat, avait toujours à ses côtés un certain Youssou Ndour qui le suivait partout comme son ombre, qui lui mangeait dans le creux de la main, qui était tout le temps collé à ses basques, et pour qui ce n’était jamais de refus que le président de la République de l’époque le mît dans ses valises lors de ses voyages officiels pour mieux vendre le label Sénégal. C’est même en père de famille, juste et impartial, que le président Abdoulaye Wade réunissait Youssou Ndour et Karim Wade pour les réconcilier à la suite de leurs bisbilles.
Au plus fort de la furie du nouveau pouvoir contre l’ancien «ministre du ciel et de la terre» diabolisé partout et par tous, Youssou Ndour s’est singularisé à travers cette étonnante déclaration : «Pour le cas Karim Wade, je m’en occupe. J’en fais une affaire personnelle». Là, on est en plein délire.
Son entrée au gouvernement comme ministre de la Culture, du Tourisme et des Loisirs est perçue plus comme une récompense pour l’engagement du leader de Fekke ma ci boole dans le combat pour la survenue de la deuxième alternance politique au Sénégal, qu’une reconnaissance des compétences ministérielles réelles de Youssou Ndour qui a profité également d’un mauvais casting car n’ayant manifestement pas le profil de l’emploi.
Beaucoup de Sénégalais avaient à l’époque sa nomination-surprise en travers de la gorge. C’est d’abord le docteur Bassirou Niang qui déclare : «Youssou Ndour, ministre: fermons les écoles et les universités». Puis de poursuivre : «La politique, c’est du sérieux, et le Sénégal n’est pas un groupe de musiciens. Il faut qu’on arrête ce cirque et de se tromper de podium. Le palais de la République n’est pas Bercy. Nous sommes en train de lancer un message inquiétant aux enfants en leur faisant croire que n’importe quel mariolle peut diriger ce pays et que les études ne servent à rien. La fonction de président de la République requiert un minimum de compétences techniques et comportementales. Ce n’est pas parce qu’on a réussi à mettre en place une radio et une télévision, que l’on se trouve brutalement apte à diriger un pays. D’aucuns me diront qu’il va s’entourer des compétences nécessaires. Je leur répondrai simplement qu’un président qui ne sait pas lire un budget ou apprécier les comptes nationaux sera l’otage aveugle de ses collaborateurs. Arrêtons ce cinéma et surtout le mélange de genres. Le chanteur doit chanter, le menuisier doit raboter, le marabout doit prêcher et la République doit être servie par ses enfants qui ont réussi à se former sérieusement. Le comble de l’ironie dans ce pays serait que tous les recalés de l’Ecole essayent de nous faire croire que le diplôme ne sert à rien. C’est faux et archi-faux. Cet argument n’est qu’une justification maladroite de leurs échecs. Si Youssou Ndour avait réussi brillamment ses examens au collège, il ne serait jamais devenu chanteur».
Lui emboîtant le pas, Mour Talla Mbaye enfonce le clou : «Si le président Macky Sall avait respecté ses engagements électoralistes de privilégier le talent, la compétence et l’expertise dans la gestion des affaires publiques, un Youssou Ndour ne figurerait jamais dans l’attelage gouvernemental. Par rapport à cela, j’appelle tous les Sénégalais à prôner un retour aux fondamentaux et que l’on cesse de les divertir en faisant croire aux miracles. 1+1 ne sera jamais égal à 3. Refusons les idées selon lesquelles il n’est pas nécessaire de faire des études pour assumer certaines responsabilités. Ce n’est pas vrai. Il faut non seulement des études, mais aussi avoir un niveau assez poussé pour se prévaloir d’une expertise avérée».
Nommé ministre de la Culture et du Tourisme, Youssou Ndour, voulant prouver que ce poste n’est pas usurpé, s’emballe : «J’ai beaucoup voyagé et je vais faire aimer les autres mon pays (sic.)». En voilà encore une preuve que ce Monsieur ne comprenait rien aux responsabilités à lui confiées (…)
Youssou Ndour, président de la République du Sénégal ? Il est permis de rêver. Sauf qu’un chef d’Etat, ça doit pouvoir définir la politique de la Nation, donner des orientations claires, sur la base d’une vision limpide, faire preuve de leadership parmi ses pairs au plan international et être bien outillé en qualités intellectuelles pour soutenir des échanges de haute facture avec le gratin de l’intelligentsia mondiale et les sommités internationales, des «arguments» qui ne nous semblent pas être dans les cordes de Youssou Ndour. Quand bien même il fait des efforts louables pour bien s’exprimer en français et même baragouiner l’anglais, ce qui est un atout non négligeable pour un citoyen du monde comme Youssou Ndour.
Seulement, ce n’est pas la même chose d’être impérial sur la scène de la world music où «la légende vivante» Youssou N’dour (lisez «end dour») truste les disques d’or et autres distinctions glorieuses, ou d’être à tu et à toi avec les Sting, Bono, Jacques Higelin ou Peter Gabriel, que de discuter à bâtons rompus, en toute urbanité, avec aisance ou de prendre des décisions cruciales sur les grands enjeux du monde actuel aux côtés des grands dirigeants de la planète. La scène musicale est à des années-lumière de la gestion d’un Etat et de la géopolitique internationale. Demandez au président sortant de la République d’Haïti, le chanteur Michel Joseph Martelly (…)
En tant qu’admirateurs, nous implorons et conjurons à notre idole Youssou Ndour, fierté nationale, voire continentale, mais aussi patrimoine universel de rester dans son art, là où il excelle, domine son monde et arrive à emporter l’adhésion populaire dans son métier d’artiste-chanteur. En effet, son intrusion en politique met dans l’embarras bon nombre de ses fans qui ne sont pas forcément du même bord politique que lui et qui, pour rien au monde, ne voudraient le contrarier.
Le problème chez Youssou Ndour c’est que lorsqu’il prend le micro pour chanter, il met tout le monde d’accord. Mais quand il parle en politique, tout le monde se bouche les oreilles. Puisse «Youssou Madjiguène » entendre nos complaintes et exhausser nos vœux en berçant, à Bercy ou ailleurs, de belles mélodies notre putain de vie pour rendre un peu plus supportable notre éphémère séjour sur cette vallée de larmes qu’est la terre.
Pape SAMB