Wasis y déboule en 1970, virevoltant avec son appareil photo à la main dans Badou Boy, le premier long métrage de son grand frère, Djibril Diop Mambéty, sélectionné parmi les longs métrages de la 1ère édition de la Quinzaine des Réalisateurs, au Festival de Cannes, en 1971. Il y interprète un des rôles principaux, Moussa, assistant-chauffeur, qui s’est fait voler son poste par Badou Boy, gavroche dakarois. Directeur artistique de Touki Bouki, film culte du même Mambéty c’est à lui que l’on doit la bucrâne ornant la moto de Mory, jeune berger essayant de fuir avec sa petite copine Anta en Europe. S’il s’envole ensuite pour la France “pour approfondir [ses] connaissances en photographie”, sa réputation première ne viendra pas de la pellicule.
Wasis Diop s’illustrera d’abord comme guitariste aux côtés du chanteur Umbañ Ukset, du bassiste Ayib Gaye, du batteur Ayib Dieng et du pianiste Loy Ehrlich. Fondé en 1974, leur groupe, leWest African Cosmos, se signale avec deux productions. Umban et WAC. Un trois titres, très peu connu du grand public. “Nous étions alors la seule formation composée essentiellement d’Africains, qui faisait quelque chose d’un peu différent par rapport à ce que l’on entendait d’habitude chez les musiciens d’Afrique” confie Wasis Diop au Monde. Le groupe sort son disque éponyme, West African Cosmos, dans une prestigieuse maison, CBS, en 1976. Un six titres en wolof, créole portugais et fon, sur lequel, Wasis, crédité aux chœurs, se signale entre autres par des scansions de bougarabou transposées à la guitare électrique. Un audacieux mélange de rock, jazz et de musiques puisées dans le patrimoine casamançais et guinéen, voire béninois. S’il multiplie très vite les collaborations (le célèbre Lee Scratch Perry en Jamaïque, Yasuaki Shimizu, saxophoniste avant-gardiste japonais, Robin Millar le producteur de Sade Adu à Londres…), il reste fidèle aux artistes de ses débuts. Il compose ainsi la bande originale du film d’Umbañ Ukset : N’Tturudu / Le Masque (1986), premier long métrage de la Guinée Bissau. Wasis Diop retrouve aussi Loy Erlich dans ses deux premiers albums solos : Hyènes (Mercury Records, 1992) et No Sant (Mercury Records, 1995). Ils collaborent à nouveau, en cosignant la musique du film Le prix du Pardon de Mansour Sora Wade, 2002, Sénégal. Mélodies et harmonies, plus que des rythmes Ouvert aux influences, le style de Wasis Diop s’est peu à peu affiné pour livrer des ballades aux accents poignants. Cassant le stéréotype de musiques africaines présentées souvent comme uniquement rythmiques, le talentueux musicien penche plus vers la mélodie. Sans doute ce qui explique le sampling des premières mesures de son titre Dune par Dr Dre & Track-master for “The Firm”. Musique japonaise, country américaine (Mori, album Toxu, 1998) ou encore gospel (Chapelle, dans le film Hyènes, repris dans son album The Best of Wasis Diop / Everything… Is Never Quite Enough, 2003). Wasis fait dialoguer musiques celte et japonaise sur un chant wolof, dans La Petite Vendeuse de soleil en 1999, un film posthume de Diop Mambéty, décédé un an plus tôt d’une embolie pulmonaire à Paris. Wasis a signé une quarantaine de bandes originales pour le cinema et la television. A Hollywood (Everything… is Never Quite Enough pour le film L’Affaire Thomas Crown de John McTiernan avec Steve Mc Queen et Faye Dunaway), en France (Alice et Martin d’André Téchiné, plusieurs films de Jacques Malaterre : L’Amour interdit, fiction, Homo Sapiens et L’Odyssée de l’espèce, documentaires, pour ne citer que ceux-là), au Sénégal (pour Moussa Sène Absa, Mansour Sora Wade, As Thiam), au Tchad (les trois derniers films de Mahamat-Saleh Haroun), Gabon (Les Couilles de l’éléphant), au Burkina… Il compose aussi pour le théâtre. Les nègres de Jean Genet, dans une mise en scène de Cristèle Alves Meira, jouée à l’Athénée, à Paris, en 2007. La même année, il révolutionne le monde musical, en signant Bintou Wéré, un opéra du Sahel, sur un groupe de migrants, en wolof et mandingue, avec des musiciens, des danseurs d’Afrique de l’Ouest, chorégraphiés par Germaine Acogny et Flora Théfaine. Il en assure la direction artistique et musical, partageant l’affiche avec Koulsy Lamko du tchad et le Zé Manel Fortes de Guinée-Bissau. Pour cet opéra, il transforme le rappeur sénégalais Carlou D en chanteur lyrique et la chanteuse malienne Djénéba Koné. A l’époque, il tient un journal filmé, constituant un très beau documentaire, et ne lâchera plus la caméra. Il réalise ainsi un portrait fin du plasticien Joe Ouakam, à la galerie nationale, à Dakar, en 2010. Le film est primé comme meilleur documentaire 2011 au Festival de courts métrages de St-Georges de Didonne, près de Royan, en Charente-Maritimes. Wasis Diop enchaîne dès lors les films. S’il est sur le plateau de tournage de Grigris (Haroun, 2013), ce n’est pas seulement pour s’imprégner de l’atmosphère, afin de composer la musique du film, mais pour filmer Souleymane Démé, l’acteur principal. Le portrait Grigris en solo est dans le DVD du long métrage tchadien. Il termine un documentaire sur le photographe et cinéaste sénégalais Bouna Médoune Sèye, après avoir réalisé un film à St-Louis avec le regretté dramaturge et universitaire Oumar Ndao sur la montée des eaux et le désastre écologique. Wasis Diop n’est pas seulement un grand compositeur, instrumentiste et chanteur à la voix rauque ou de tête, il aborde des sujets essentiels sur le vivre-ensemble, la dignité et le respect de la nature. Lors du tourment des sans-papiers en France en 1998, il chante a capella Samba le berger, avant d’y adjoindre une musique minimaliste pour l’album Toxu, avec une orchestration devenue caractéristique de ses chansons, où il assure lui-même le chœur. Dans l’album Séquences (2014), il réunit plusieurs de ses musiques de films, dont un inédit, sur lequel il se joue de l’euphonie (sens multiple) du mot mbok : parent, famille, partage, en wolof, tout en jonglant avec des rimes (tok, “s’asseoir”). Chantant aussi en français, il use dans ses textes d’un niveau de langage très soigné. D’abord connu par le biais de l’œuvre de Diop Mambéty, il a su très vite construire une véritable œuvre dont une partie est encore en jachère. Dans un entretien accordé à l’auteur de cet article, il avoue le choc qu’il eut lorsqu’une journaliste lui fit remarquer que la période où son frère n’a plus fait de film correspond aux années où lui s’est investi dans la musique. C’est pour lui qu’il signera son premier album solo, Hyènes, en 1992. Il n’a pas seulement apporté à la musique et au cinéma sa sensibilité, il se distingue aussi par sa capacité à défricher, à faire émerger de nouveaux noms, en collaborant notamment avec les rappeurs dont le groupe Djolof. Un rappeur comme Keyti (Rapadio, Dakar) le cite comme une source nourricière. Il est aussi une figure tutélaire. Sa fille, Mati Diop, le filme dans Mille Soleils (2013), film miroir de Touki Bouki, et lui convie son neveu Teemour Diop, fils de Mambéty, à rapper dans la musique composée pour TGV de Moussa Touré. – See more at: http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=13270#sthash.auwRq7hm.dpuf