Dans une décision rendue le 24 octobre dernier, le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies ordonne à l’Etat du Sénégal de réviser le procès de Karim Wade et lui donne un délai ferme de 120 jours, pour rétablir Wade-fils dans ses droits.
Mais il se pose maintenant la question de savoir quelle est la force probante de cette décision. Est-elle contraignante ? L’instance onusienne semble anticiper sur cette interrogation, lorsqu’elle déclare dans ses constatations : «en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie».
Au-delà, cette nouvelle décision peut revêtir plusieurs interprétations. D’abord, ledit comité casse et annule le verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) qui condamnait Karim à six ans ferme et à payer 138 milliards FCfa d’amende. Ensuite, comme c’est le cas dans toutes les décisions de justice qui lui sont défavorables, le Sénégal n’a pas exécuté l’injonction qui lui a été faite de rendre publique et de diffuser la présente décision. En effet, le président de la République était bien au courant de cette décision (rendue depuis le 24 octobre) lorsqu’il s’est récemment prononcé, sur France24, au sujet d’une éventuelle amnistie en faveur de Karim et Khalifa, s’il est réélu en 2019.
Ce qui n’est sans rappeler la même attitude observée avec le fameux rapport confidentiel de la Banque mondiale jamais versé dans le dossier, lorsque l’institution de Bretton Woods avait conclu, dans une enquête menée à la demande de l’Etat du Sénégal, que les sociétés commerciales et les immeubles attribués à Karim sont partie intégrante du patrimoine de Bibo Bourgi. Ce document qui innocentait Wade-fils, était pourtant détenu par Macky Sall, l’ex-ministre de la Justice, Sidiki Kaba, et les magistrats de la Crei qui l’avaient tous mis sous le coude.
Une troisième lecture est possible : ces constatations de l’Onu consacrent une énième victoire de Karim, après le Groupe de travail des Nations-Unies, les décisions de la Cour de justice de la Cedeao ainsi que celles des Cours et tribunaux français, dans les procédures de saisies-confiscations des avoirs financiers de l’ancien «ministre du Ciel et de la Terre» sous le régime libéral.
La synthèse du document de 13 pages
«Une révision effective et substantielle de la déclaration de culpabilité est exigée»
Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe I de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le droit d’appel n’est pas consacré expressément par le Pacte. Le Comité souligne qu’il appartient à chaque État partie d’organiser son système judiciaire comme il l’entend et n’attache pas d’importance à la forme particulière et au système retenu, dès lors que la loi de l’État partie fixe des modalités permettant à toute personne déclarée coupable d’une infraction de voir sa déclaration de culpabilité et de condamnation réexaminée par une juridiction supérieure.
Le Comité rappelle, cependant, que si le Pacte n’exige pas un nouveau procès sur les faits de la cause, en revanche une procédure permettant une révision effective et substantielle de la déclaration de culpabilité est exigée et doit permettre d’évaluer les éléments de preuve et de faits et non se borner à une révision limitée aux aspects de droit.
Le Comité note en l’espèce que la Crei, juridiction qui a déclaré la culpabilité et condamné l’auteur, statue publiquement et contradictoirement en premier et dernier ressort et que ses décisions sont, selon l’article 17 de la loi n°81-54 du 1 0 juillet 1981, «susceptibles d’un pourvoi en cassation du condamné ou du ministère public dans les conditions prévues par l’ordonnance n° 60-17 du 3 septembre 1 960 portant loi organique sur la Cour suprême».
Il note également que les décisions de la Commission d’instruction de la Crei ne sont, en vertu de l’article 13 alinéa 1 de la même loi, susceptibles d’aucun recours. Il note l’article 2 de la loi n° 2008-35 du 7 août 2008 portant création de la Cour suprême disposant que «la Cour suprême ne connaît pas du fond des affaires, sauf dispositions législatives contraires». Il prend également note de la réforme du 23 septembre 2008 par la loi n° 2008-50 qui introduit le droit d’appel en matière criminelle le droit d’appel en matière criminelle, en sus d’un pourvoi en cassation, et relève que ladite réforme ne s’applique pas aux décisions de la Crei.«La condamnation doit être réexaminée»
Le Comité note également les arguments de l’État partie selon lesquels l’instruction par la Commission d’instruction de la Crei a été minutieuse, que le jugement de la Crei a permis de réexaminer la totalité des faits et que l’examen par la Cour suprême ne s’est pas borné à un contrôle purement formel. Le Comité, après examen minutieux de la décision du 20 août 2015 de la Cour suprême, constate toutefois que la Cour a renvoyé aux constatations factuelles de la Crei et a écarté tous les moyens et arguments de l’auteur visant à «discuter des éléments de preuves et de faits soumis à l’appréciation souveraine des juges de la Crei» et ce, conformément à l’article 2 de la loi n° 2008-35 précitée, la cantonnant à un rôle d’examen sur les seuls points de droit. Il ressort de la lecture de l’arrêt que la Cour suprême n’a pas procédé à l’évaluation des éléments de preuve et de faits par la Crei. Au vu des éléments qui précèdent, le Comité ne saurait accueillir l’argument de l’État partie selon lequel le pourvoi en cassation devant la Cour suprême est constitutif d’un examen par une juridiction supérieure conformément à l’article 14 para. 5 du Pacte et rappelle son Observation générale n°32 selon laquelle «une révision qui concerne uniquement les aspects formels ou juridiques du verdict sans tenir aucun compte des faits n’est pas suffisante en vertu du Pacte».
Le Comité reconnaît l’importance de l’objectif légitime de la lutte contre la corruption pour les États mais souligne également que celle-ci doit s’effectuer dans le respect des règles de procédure et du droit à un procès équitable. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l ‘article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l ‘article 14 para. 5 à l’égard de Karim Meïssa Wade.Délai de 120 jours pour réviser le procès
En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela exige que les États parties accordent une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, la déclaration de culpabilité et de condamnation contre l’auteur doit être réexaminée conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
Etant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à 1’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts (120) jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.
WalfQuotidien