On pensait avoir déjà tout vu au Sénégal en matière électorale. Un ministre qui force un bureau de vote, c’est arrivé; Macky SALL l’a fait un certain 12 mai 2002.
Un vote prolongé jusqu’au-delà de minuit, cela s’est passé à Fatick en 2007. Un mandataire kidnappé et séquestré pour qu’il ne dépose pas à temps une liste de candidats à une élection, c’est aussi déjà vu à Matam en 2014. Mais ce qui se passe avec ces élections législatives devant consacrer la 13e législature, est tout simplement invraisemblable. Si le Sénégal avait connu un cas similaire dans le passé, jamais il ne serait logé dans la catégorie des démocraties.
La loi électorale modifiée dans la division, à quelques heures de l’ouverture officielle de la campagne, suffit à elle seule à renseigner du caractère à la fois singulier et atypique des élections législatives du 30 juillet prochain. Mais, le clivage entre les acteurs politiques n’est pas le seul trait caractéristique de ces joutes électorales.
Une tête de liste en prison, une autre presque centenaire
Khalifa SALL qui tient le haut du pavé à Dakar depuis 2009 est embastillé à quelques mois des élections. Officiellement, il est accusé d’avoir détourné et mis dans sa poche des sommes destinées aux populations. Dans la réalité, le maire de Dakar, qui a pris le contrepied de son camp et lancé un retentissant « Non » au dernier référendum, manifestait de plus en plus ses ambitions ainsi que ses intentions d’en découdre avec le régime de Macky SALL. Depuis le mois de mars dernier, il croupit en prison. A ces élections législatives, il est investi tête de liste de la coalition Manko Taxawu Sénégal. Ses demandes de liberté provisoire refusées les unes après les autres par toutes juridictions compétentes, en dépit de toutes les garanties de représentation, Khalifa SALL, privé de micro et de caméra, ne prend part à la campagne qu’à travers son portrait. Le dernier refus est à mettre à l’actif de la Cour suprême dont le premier président a vu son âge à la retraite être prolongé par Macky SALL. Pendant que Khalifa SALL est cloué à Rebeuss, Me WADE, plus frais qu’un adolescent, parcoure le Sénégal. Lui qui flirte avec les cent ans, est l’invité surprise de ces législatives. Grâce à sa popularité que les ans ne parviennent pas à éroder, l’ancien président de la République rebat les cartes. La capitale Dakar l’accueille non pas comme un roi déchu de retour au bercail mais comme un messie. Malgré la posture de prisonnier-candidat de leur leader, les partisans de Khalifa SALL auront fort à faire, en dehors de Benno Bokk Yakaar, avec la coalition gagnante wattu Sénégaal dans la bataille de Dakar.
Quarante-sept listes en lice
Avec un tel nombre de listes, c’est comme si tous les Sénégalais voulaient devenir députés. Une ruée vers l’Assemblée nationale favorisée par le régime et certains opposants qui ont multiplié les candidatures. Avec autant de listes, il faudrait l’équivalent d’une salle de classe pour pouvoir accueillir les représentants de toutes les listes, en plus des membres du bureau de vote et de la CENA. En outre, les dix heures de temps, qui vont de huit à dix-huit heures, ne pourront, à coup sûr, pas suffire aux électeurs.
Cartes biométriques dites CEDEAO
Mais pour voter, il faut avoir sa carte d’électeur. Et à ce sujet, le gouvernement a organisé une sacrée pagaille autour de la confection des cartes biométriques dites CEDEAO. Si à moins d’une semaine de la tenue du scrutin, la question de son report est posée par certains, c’est véritablement parce que beaucoup d’électeurs n’ont pas récupéré leurs cartes. Contre toute attente et sans que rien ne le justifie, le conseil des ministres du 17 Février 2016 a adopté le projet de loi instituant la carte d’identité biométrique CEDEAO. Et quand l’Etat a renseigné que 50 milliards de nos francs allaient être mobilisés pour leur confection, beaucoup étaient loin d’imaginer qu’il y aurait autant de problèmes. Tellement l’opération est couteuse. Mais, après le processus d’inscription, qui n’a pas été moins problématique, c’est le retrait des cartes qui relève du parcours du combattant. Malgré la surmédiatisation du régime qui s’appuie à outrance sur la presse pour masquer son incompétence, des centaines de milliers de Sénégalais, pour ne pas dire des millions, risquent d’être laissées en rade. Pis, les préfets et sous-préfets sont accusés de rouler pour le camp présidentiel en nommant président de commission de distribution desdites cartes des personnes proches du camp du pouvoir qui trient la distribution. Sans parler des nombreuses cartes produites avec de graves erreurs.
Une folle campagne
La campagne électorale que toutes les coalitions ont anticipée est des plus mouvementées. A Grand-Yoff, c’est des ministres de la République qui ont pris leurs jambes à leurs cous pour ne pas se faire lapider. Leur collègue Oumar GUEYE riposte le surlendemain. Ses gardes du corps s’en prennent au convoi de la coalition Manko Taxawu Sénégal. A Louga, les partisans du président du Conseil départemental et ceux du ministre Moustapha DIOP se sont écharpés devant le Premier ministre. La liste n’est pas exhaustive. En plus des échauffourées, la campagne est aussi marquée par les nombreux accidents de la circulation ayant coûté la vie à des personnes. A Richard Toll, le véhicule de WADE a percuté un jeune qui a été tué sur le coup. A Kaolack, un conducteur de Jakarta perd la vie dans un accident lors d’une caravane de Benno Bokk Yakaar. A Podor, un homme de 36 ans tué par la caravane de Benno Bokk Yakaar. Amsatou SOW SIDIBE perd son garde du corps tué dans un accident à l’entrée de Kaolack….
C’est au moment où ces lignes sont écrites que Macky SALL a saisi le Conseil constitutionnel. Une donne qui pourrait rendre ces élections législatives encore plus folles qu’elles ne le sont déjà.
Mame Birame WATHIE