Alors que la question du statut du chef de l’opposition ressurgit dans les débats politiques au Sénégal, notamment à travers le dialogue national, Mamadou Diop « Decroix », figure historique de l’opposition, s’interroge sur l’origine de ce concept qu’il qualifie de « création exogène ».
Dans une tribune, l’ancien ministre d’État et secrétaire général d’And-Jëf/PADS critique une notion qu’il rattache aux manœuvres de la Françafrique post-guerre froide. Il rappelle que l’idée de « chef de l’opposition » a été impulsée à la suite du sommet de La Baule en juin 1990, durant lequel le président français François MITTERAND liait l’aide française à la démocratisation des régimes africains.
Cette inflexion diplomatique, explique-t-il, ne relevait pas d’une volonté sincère de promotion de la démocratie, mais d’un réajustement géopolitique face à l’effondrement du bloc soviétique. « Le monde étant devenu provisoirement unipolaire », écrit-il, la France a alors cherché à alléger le poids des autocraties africaines pour relancer des économies structurellement tournées vers les intérêts de l’ancienne puissance coloniale.
Selon Mamadou Diop « Decroix », le statut de chef de l’opposition, présenté comme un progrès démocratique, relève en réalité d’une stratégie de stabilisation politique à des fins néocoloniales. Le but, selon lui, n’était pas de permettre un véritable pluralisme, mais de créer un espace de cooptation des partis dominants, évitant ainsi l’affrontement politique violent : « Il s’agissait… de trouver une formule et un mécanisme pour que partout, les principaux protagonistes de la scène politique puissent participer au partage du gâteau plutôt que de passer leur temps à s’entretuer par partisans interposés. »
Inspirée du modèle parlementaire britannique, mais peu appliquée dans les pays anglophones d’Afrique, la fonction de chef de l’opposition aurait été imposée aux États francophones via les conditionnalités des bailleurs de fonds, souvent « en complicité avec Paris », poursuit-il. Il y voit une volonté de canaliser l’opposition dans des cadres dépolitisés, assortis d’avantages matériels et symboliques : budget, sécurité, reconnaissance officielle, etc.
Pour Mamadou Diop « Decroix », le Sénégal est historiquement étranger à cette logique de cooptation politique. Il rappelle que le Président Abdoulaye WADE avait introduit cette idée au lendemain des législatives de 2001, mais sans jamais la concrétiser, faute de consensus sur les critères de désignation : « Les deux principaux partis de l’opposition de l’époque avaient obtenu, l’un plus de voix au suffrage universel, l’autre plus de députés. Le choix n’a jamais été fait et les choses en restèrent là. »
La résurgence actuelle du débat interroge donc, selon lui, sur les véritables motivations qui animent cette volonté de désigner un chef de l’opposition. Pour « Decroix », la démocratie sénégalaise doit se construire sur ses réalités propres et non sur des mécanismes importés, conçus pour préserver un ordre postcolonial favorable aux puissances extérieures.
Babacar NGOM