Malgré un rejet quasi unanime de l’homosexualité au sein de la société sénégalaise, les autorités actuelles tardent à légiférer sur sa criminalisation. Cette posture ambivalente, contrastant avec les engagements pris lors des dernières échéances électorales, interroge sur les rapports entre normes sociales, engagements politiques et enjeux internationaux.
Au Sénégal, la question de l’homosexualité continue de cristalliser les tensions entre culture locale, exigences religieuses et dynamiques politiques. Historiquement et sociologiquement, l’homosexualité est perçue comme un phénomène exogène, en rupture avec les représentations dominantes de la sexualité, de la famille et du vivre-ensemble. L’islam, religion majoritaire, tout comme les courants chrétiens présents dans le pays, s’accordent à rejeter toute reconnaissance sociale ou juridique de cette orientation sexuelle.
Ce rejet s’exprime fortement dans la sphère publique, par la voix de leaders religieux, d’intellectuels conservateurs, mais aussi d’une frange importante de la population, pour qui l’homosexualité demeure un tabou et une menace pour les fondements culturels et spirituels de la nation. Dans ce contexte, les discours politiques adoptés lors des campagnes électorales de 2022 (législatives) et 2024 (présidentielle) ont largement instrumentalisé cette sensibilité collective. De nombreux candidats s’étaient ainsi engagés à faire adopter une loi criminalisant explicitement l’homosexualité, allant au-delà de l’actuel article 319 du Code pénal qui réprime les actes contre-nature sans les désigner expressément.
Cependant, depuis l’accession au pouvoir de la nouvelle équipe dirigeante, force est de constater un certain attentisme. Loin de traduire en actes les promesses faites en période électorale, le pouvoir en place opte pour une posture prudente, voire ambivalente. Ce silence juridique et politique pourrait traduire une volonté d’éviter le clivage entre, d’une part, une base électorale conservatrice, et d’autre part, des partenaires internationaux pour qui les droits LGBTQ+ relèvent des droits humains fondamentaux.
Cette approche diffère de celle du Président Macky Sall, dont la position sur le sujet était sans équivoque. À plusieurs reprises, il affirmait que « le Sénégal n’est pas prêt à adopter de pareilles mesures qui ne sont pas conformes à sa culture, à ses croyances », soulignant ainsi la souveraineté normative du pays face aux injonctions extérieures.
Dans un tel contexte, la persistance d’un vide normatif ou d’une absence de clarification législative pourrait progressivement ouvrir la voie à une transformation des représentations sociales. L’absence de fermeté législative, combinée à l’influence croissante des normes globales, pourrait contribuer à une forme de banalisation, voire de tolérance implicite du phénomène, à rebours du consensus social actuel.
La situation actuelle soulève donc plusieurs interrogations : jusqu’où l’État peut-il concilier ses engagements internationaux avec les exigences culturelles et religieuses internes ? L’hésitation actuelle est-elle le signe d’une transition normative ou d’un simple calcul politique ? Dans tous les cas, l’absence de décision claire dans un domaine aussi sensible pourrait fragiliser la cohésion sociale et nourrir les tensions identitaires à moyen terme.
L’homosexualité au Sénégal ne constitue pas uniquement un fait social ou un débat moral ; elle représente un révélateur des tensions entre modernité et tradition, entre souveraineté nationale et pression internationale, entre promesse politique et réalité gouvernante. À défaut d’un positionnement clair, l’État risque de laisser s’installer une dynamique silencieuse de reconfiguration des normes, avec des conséquences profondes sur la société sénégalaise.
Par Babou Biram FAYE, Journaliste-communicant