Un souverain français aimait conclure ses décisions par cette formule qui fleure bon la mégalomanie : «Parce que telle est ma volonté.» Les cinq juges, qui ont mis leur paraphe au bas de leur Décision couchée sur cinq feuillets, auraient pu clore celle-ci par une formule du même jus : «Parce que telle est la volonté de la Loi.» La loi étant ici entendue au sens générique de son acception : règle générale et impersonnelle ayant vocation à s’appliquer à tous et dont la violation peut entraîner une sanction, qu’elle s’appelle Constitution, loi, décret, arrêté ou décision de justice. Le juge a parlé ou, plus précisément, il a fait parler la loi. Et cela devient une règle opposable erga omnes. Au pays de Cheikh Anta Diop, ce n’est pas difficile à comprendre encore moins à appliquer. «Ndigël, Jëfee», dit-on au pays de Kocc Barma. Aussi dure soit-elle, la loi est faite pour être appliquée. Aussi sévère soit-elle, une sentence est faite pour être exécutée. Dura lex sed lex, dit l’adage.
De quoi s’est-il agi, ab initio? D’un banal fait divers impliquant un homme politique – pas n’importe lequel – qui dégénère dans la rue où un sévère mortal kombat oppose ses partisans aux forces de l’ordre donc au pouvoir en place. L’occasion faisant le larron, des quidams – appelez-les comme vous voulez : nervis, casseurs, pillards – s’en mêlent et imposent la chienlit.
Face à un Président qui avait opté pour le «ni oui, ni non» par rapport à la question du troisième mandat, tous les red flags étaient allumés. Le choix était étriqué entre mâter les manifestants pour restaurer l’autorité de l’Etat et subir le rouleau compresseur des manifestants et voir celui-ci s’affaisser. Entre les deux, le Président Sall n’a pas tergiversé. Conséquence : des dizaines de jeunes tués par balles.
Mais, alors que l’hypothèse d’une troisième candidature s’éloignait parce qu’impossible à réaliser dans la pratique, Macky Sall renonce officiellement mais sombre dans la paranoïa répressive. Ayant reculé pour mieux sauter, il promet d’appliquer les décisions de justice, toutes les décisions de justice. Des centaines voire des milliers de jeunes, accompagnés de leur idole Ousmane Sonko, sont envoyés au frais. Au fur et à mesure qu’approche l’élection présidentielle, le chef de l’Etat sortant, affaibli par, d’une part, cette opposition qui ne lâche rien et, d’autre part, par des coups de boutoir de certains de ses partisans qui ne veulent pas l’accompagner dans sa retraite et, pire, conscient d’une très probable défaite de son camp, entreprend de faire le ménage avant de songer organiser le scrutin. Les mal-pensants diront que c’était pour ménager ses arrières et ceux de ses proches. Quel que soit l’objectif visé, une loi d’amnistie est votée. Ceux qui étaient naguère désignés «hors-la loi» sont élargis de prison et, quelques semaines plus tard, démocratiquement installés au pouvoir.
Glissement sémantique
Dans son programme, Bassirou Diomaye Faye promet, une fois élu, d’abroger la controversée loi d’amnistie. Bien installé dans le fauteuil présidentiel, il devra composer avec une majorité parlementaire qui ne va point lui faciliter la tâche. Il devra ronger son frein et attendre que, à l’issue des élections anticipées qu’il a convoquées, la majorité parlementaire change de camp. Pastef majoritaire à l’Assemblée, le Premier ministre Ousmane Sonko s’y rend, sans risque majeur, pour sa Déclaration de politique générale. A l’occasion, il réaffirme l’engagement d’abroger la loi d’amnistie avec, cependant, une réserve : il ne s’agit plus de tout jeter à la poubelle mais de «réformer». Le mot est lâché.
Auparavant, son ancien ministre des Transports, El Malick Ndiaye, avait évoqué une «amnistie partielle». Un glissement sémantique qui est le signe que, comme disait Me Aïssata Tall Sall, député et ancienne Garde des Sceaux ayant défendu la loi à l’Assemblée, abroger l’amnistie, «c’est plus facile à dire qu’à faire». Son avis compte pour du beurre chez Amadou Bâ. Le juriste de la maison Pastef concocte une proposition de loi dite interprétative de la loi d’amnistie agrémentée, au passage, d’un amendement du député Guy Marius Sagna. Malgré les cris d’orfraie de l’opposition, la loi passe comme lettre à la poste.
Déférée au Conseil constitutionnel, la voilà donc amputée de son article premier. Le juge rappelle, noir sur blanc, que, loi ou pas, au nom des conventions internationales que le Sénégal a régulièrement ratifiées, les infractions tels que la torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants sont imprescriptibles et demeurent hors de portée de l’amnistie.
Chaque camp choisit l’angle qui l’arrange pour crier victoire. Alors que là, il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Seul le Droit a pris le dessus sur les velléités partisanes. Le reste n’est qu’application. Et celle-là est du ressort des seuls juges qui, dans un régime de séparation des pouvoirs, ont le monopole de dire le droit. Dans leur intime conviction et en âme et conscience, ils vont le faire pour les cas dont ils seront saisis ayant rapport avec la période couverte par la loi d’amnistie.
Ibrahima ANNE