Le mois de Ramadan, période de spiritualité et de recueillement pour des millions de Sénégalais, est aussi un enjeu commercial majeur pour les chaînes de télévision. Chaque année, elles rivalisent d’ingéniosité pour capter une audience plus large, avec des émissions spéciales adaptées aux habitudes des téléspectateurs. Entre talk-shows, débats religieux, sketchs humoristiques et programmes culinaires, la concurrence est féroce.
En ces moments de pénitence (Ramadan et Carême), les grandes chaînes de télévision sénégalaises ne lésinent pas sur les moyens pour capter l’attention de leurs téléspectateurs, en particulier pendant la période du «ndogou», la rupture du jeûne. Les émissions comme Waajal Ndogu (Walf TV), Kooru Saaneex (TFM), Kooru Ngewel (Sen TV) ou Sekere Koor (ITV) sont devenues des incontournables, offrant aux téléspectateurs des moments de détente et de convivialité après une longue journée de privation. Cependant, les émissions offertes en cette période de jeûne ne sont pas que de format humoristique. Elles se déclinent également en débats religieux et même en programmes culinaires qui ont la côte, notamment pour leur capacité à offrir des astuces nouvelles pour la préparation des plats de rupture. Au-delà de ces formats populaires, des émissions talk-shows interactifs phares comme Quartier Général (TFM), Iftaar (ITV), Salon d’Honneur (WalF TV), Grand Plateau (Sen TV) et Ramadan Show (7TV) captent l’attention en prime-time. Les programmes religieux prennent naturellement une place importante, mais certains observateurs s’interrogent sur la direction prise par les chaînes TV durant cette période de pénitence et de réflexion spirituelle.
L’appel à la réflexion de l’imam KANTE
L’Imam Makhtar KANTE qui se réjouit des émissions religieuses, soulève une question cruciale sur cette tendance à multiplier les sketchs et autres divertissements pendant le Ramadan. «Le Ramadan est un mois de pénitence, d’abstinence, d’introspection, de lecture du Coran et de pratiques cultuelles», rappelle-t-il. Aussi, bien que le divertissement soit permis en Islam, sous certaines conditions, cette période ne doit pas, selon le prêcheur, être une occasion de donner une place importante à des distractions excessives. «On ne peut pas, d’un côté, s’abstenir et, de l’autre, activer les canaux de divertissement qui nourrissent les pulsions. Ces contenus peuvent certes nous faire rire, mais ils véhiculent parfois des scènes inappropriées et des propos vulgaires», déclare-t-il. Selon Imam KANTE, les chaînes de télévision devraient profiter de ce mois sacré pour diffuser des messages éducatifs et spirituels afin de corriger certains comportements dans la société.
A l’opposé de l’imam KANTE, Ibrahima BAKHOUM, professionnel des médias, défend la créativité artistique déployée par les chaînes de télévision pour ces programmes diffusés à «un moment idéal de rassemblement pour les familles». Selon le formateur en journalisme, «il y a de l’imagination dans ce qui se fait, et il est important de le reconnaître», affirme-t-il. Il ajoute que le travail du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a été déterminant pour améliorer la qualité des contenus, notamment en réduisant les représentations de la dérision dans les programmes. Cependant, BAKHOUM constate un changement dans la consommation des médias au Sénégal. Avec l’essor du digital, la télévision qui était autrefois l’écran principal, peine désormais à retenir l’attention des jeunes téléspectateurs, attirés par les réseaux sociaux et les plateformes de streaming. «La télévision est devenue un petit écran qui peine à attirer. Au-delà de la concurrence qui existe entre les chaines de télévision, il y a aussi une vraie compétition entre ces chaînes traditionnelles et le digital», constate-t-il. Pour lui, malgré l’effort de création, la télévision doit renouveler ses formats pour captiver un public jeune, de plus en plus tourné vers des contenus interactifs et des débats politiques sur les réseaux sociaux.
Des programmes religieux en panne de renouvellement
Pour M. BAKHOUM, les émissions religieuses diffusées durant le Ramadan ne semblent plus offrir de véritables nouveautés. «Il n’y a pas de véritable innovation dans la conception de ces émissions. Elles finissent par se ressembler et deviennent répétitives», remarque-t-il. Un constat partagé par beaucoup de jeunes, qui se détournent de ces programmes jugés monotones, au profit d’autres distractions numériques. «Actuellement, les musulmans sont en Ramadan et les chrétiens en Carême, mais cela ne suffit pas à occuper les jeunes, dont la majorité préfère se tourner vers les réseaux sociaux et s’engager dans des invectives politiques. Une tendance que le Ramadan n’a pas changée», martèlele professionnel des médias. Qui ajoute : «La télévision, c’est du spectacle. Si elle donne l’impression d’être une causerie monotone, quelle que soit la pertinence du sujet, il faut un certain niveau de compréhension et de calme pour y prêter attention.»
Babacar NGOM