En cette matinée de jour ouvrable, le climat est paisible à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Loin de l’agitation qui régnait il y a une semaine, les vastes espaces verdoyants et les jardins bien entretenus sont aujourd’hui le théâtre d’une ambiance studieuse. Certains étudiants révisent sous l’ombre des arbres, tandis que d’autres suivent attentivement leurs cours. Une scène qui contraste fortement avec les récentes tensions, où des étudiants encagoulés, pierres à la main, affrontaient les forces de l’ordre pour réclamer le paiement de la totalité de leurs bourses. Aujourd’hui, l’atmosphère est tout autre au campus universitaire. La joie se lit sur les visages. Le paiement de quatre mois d’arriérés de bourses, accompagné du trousseau (gros lot), a apporté un soulagement général.
Aminata Sy, étudiante en droit, a le sourire. Elle dit consacrer une bonne partie de son enveloppe aux besoins pédagogiques. « Avant, je faisais beaucoup de dépenses inutiles, mais avec ce retard, j’ai appris à économiser comme jamais », confie-t-elle. Son amie, Salimata Diop, étudiante en Mathématiques et Physique, souligne l’importance cruciale de la bourse pour les études. « Parfois, on a besoin d’acheter des livres ou des polycopies et c’est avec la bourse qu’on peut le faire », explique-t-elle. Avec le versement des arriérés, la pression a vite fait de retomber. Pour certains étudiants, c’est l’occasion de souffler, tandis que d’autres y voient une opportunité d’investir. Khadija Kébé, étudiante en biologie, fait partie de cette deuxième catégorie.
Avec les arriérés de plusieurs mois, elle a touché une somme avoisinant le million de FCfa. Son plan est clair dans sa tête. «Je vais diviser cette somme en trois parties : une pour mes études, une pour mon fonds de commerce et une autre pour mes parents », explique-t-elle. Notre interlocutrice qui gère une boutique virtuelle vend des parfums et des vêtements qu’elle commande du Maroc. Faire du business, Awa Sy, étudiante en droit, adopte une approche plus équilibrée. Elle consacre une partie de sa bourse à sa garde-robe, mais n’oublie pas d’investir dans des ouvrages pour enrichir sa documentation. « La vie ne se résume pas aux études, il faut aussi se détendre de temps en temps », justifie-t-elle.
Avec ses amis, elle a profité du week-end pour aller déguster du poisson grillé à la plage de Soumbédioune. D’autres étudiants, plus pragmatiques, règlent d’abord leurs dettes. Alioune Badara Seck, étudiant en anglais, en fait partie. Il doit rembourser la dette contractée auprès de son boutiquier qui l’aidait durant les moments difficiles. Il prévoit aussi d’envoyer de l’argent à ses parents, qui l’ont soutenu pendant cette période. Quant à Pape Lô, son ami, il préfère garder le mystère sur la gestion de son argent. Il invite, toutefois, l’État à veiller au paiement à temps des bourses. Les sourires visibles depuis le paiement des bourses n’effacent pas encore les souvenirs d’une période de vaches maigres.
Khadija Sylla, étudiante en Mathématiques, Physique et Informatique à la Faculté des Sciences, porte un voile blanc qui couvre son visage. Elle se rappelle les jours de privation avec amertume. « C’était une période difficile, où même acheter nos tickets de restauration était un casse-tête », confie-t-elle. « Mes amis me prêtaient des tickets de restaurant. Mais, ici, on ne rembourse jamais vraiment, on gère ça entre copains », lance Chérif Lô, étudiant en licence de droit. Il s’appuie sur ce réseau de camaraderie pour tenir le coup. Pour certains étudiants qui ne vivent pas au campus, la situation était encore plus critique à cause du retard des paiements.
Oumar Diop, en licence d’anglais à la Faculté des Lettres, décrit une réalité financièrement insoutenable. « Moi, j’habite à Keur Massar. Imaginez, pour venir seulement à Colobane, je dois payer au minimum 500 FCfa et pour rejoindre l’université, encore 150 FCfa. Ça fait 1 500 FCfa à peu près par jour, juste pour le transport », s’exclame-t-il. Dans ces conditions, il soutient avoir priorisé, avec cette enveloppe financière, sa présence aux cours avant même de songer à acheter des livres. Si le retard des bourses a mis à rude épreuve le quotidien des étudiants, leur paiement a ramené un vent d’apaisement au campus. Aujourd’hui, à l’Ucad, les esprits sont sereins. Entre révisions, moments de détente, chacun savoure cet instant en espérant ne plus revivre une telle période de soudure.
(Le Soleil)