Dans une de ses récentes sorties médiatiques, Me Aïssatou Tall SALL nouvellement (ré)élue député à l’Assemblée nationale du Sénégal sous la bannière de la « coalition Takku-Wallu », tente vainement et surtout de façon laconique, de défendre l’impossibilité d’abroger la loi d’amnistie au Sénégal votée par le Parlement le 6 mars 2024, promulguée par le Président Macky SALL, le 13 mars 2024 et qui concerne principalement « les faits se rapportant aux manifestations politiques survenues entre 2021 et 2024 ».
Son argumentaire aussi léger que fallacieux sur fond de confusion totale des principes élémentaires qui régissent le droit pénal général, le droit administratif général et le droit international public, particulièrement, dans le cadre de la justice pénale internationale, démontre à suffisance toute possibilité d’empêcher l’abrogation ladite loi par l’Avocate.
En réalité, Me Aïssatou Tall SALL a raté une bonne occasion de se taire afin d’éviter de réveiller à nouveau la souffrance des centaines de familles sénégalaises victimes d’agressions violentes et meurtrières du régime du Président Macky SALL, dont elle était Ministre de la Justice, Garde des Sceaux et principale précurseure de l’impunité et des violations des droits des sénégalais qui manifestaient démocratiquement, conformément aux dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires. Cependant, si Me Aïssatou Tall SALL pense qu’elle peut réussir à anéantir toute procédure tendant à abroger partiellement ou totalement la loi d’amnistie, elle a d’emblée tout faux et, de quoi a-t- elle peur ? Pourquoi s’agite-t-elle jusqu’à perdre le bon sens des textes juridiques élémentaires en l’espèce ?
Et, même si par extraordinaire, elle aurait gain de cause devant la Haute Cour de Justice tant redoutable et qui suscite déjà des craintes dans le camp des vulgaires sanguinaires en complicité avec l’ancien Président de la République, Macky SALL, elle et ses acolytes ne pourront en aucun cas échapper à la Justice pénale internationale, notamment la Cour pénale internationale (CPI), au regard de la gravité des faits commis et restés impunis. Car, la Cour n’intervient que dans le cas où un État est dans l’incapacité ou n’a pas la volonté de mener véritablement à bien des enquêtes et de traduire en justice les auteurs de crimes. C’est exactement le cas au Sénégal. En outre, même si la Cour pénale internationale ne remplace pas les tribunaux nationaux, le Statut de Rome rappelle que chaque État a le devoir d’exercer sa compétence pénale vis-à-vis des responsables de crimes internationaux. Par conséquent, la CPI ne se substitue pas aux systèmes nationaux de justice pénale ; elle en est le complément.
Donc, la Cour ne peut enquêter et, lorsque cela se justifie, poursuivre et juger des personnes, que si l’État concerné n’a pas ouvert d’enquête, se trouve réellement dans l’incapacité de le faire ou n’a pas l’intention d’agir en ce sens comme pourraient le montrer, notamment, les cas de retard injustifié dans une procédure ou de procédures visant à soustraire des personnes à la responsabilité pénale qui leur incombe. Il s’agit, en l’occurrence, du principe de complémentarité, qui vise à donner la priorité aux systèmes nationaux. Dans cette perspective, les États gardent la responsabilité première pour juger ces crimes les plus graves et poursuit des individus, non des groupes ou des États. Tout individu qui serait alors responsable de crimes de la compétence de la Cour peut se retrouver devant la CPI.
C’est pourquoi, la politique pénale du Bureau du Procureur consiste par ailleurs à se concentrer sur les individus qui portent la plus lourde responsabilité dans les crimes, au regard des preuves collectées, et sans tenir compte de leur éventuelle qualité officielle. Il est toutefois important de rappeler que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le crime de génocide et le crime d’agression ne se prescrivent pas (article 29 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale).
En plus, au regard de la jurisprudence internationale relative à l’abrogation des lois d’amnistie dans le monde, quelques exemples illustratifs méritent d’être exposés. D’abord, en 2016, la Cour suprême d’El Salvador a annulé une loi d’amnistie approuvée en 1993. Cette loi avait rendu impossible la poursuite en justice des personnes impliquées dans les massacres tels que celui d’El Mozote, ainsi que celles ayant commis des violations graves des droits de l’homme et des crimes de guerre.
Ensuite, dans l’affaire Barrios Altos c. le Pérou, Arrêt rendu le 14 mars 2001, la Cour interaméricaine des droits de l’homme déclare que les lois d’amnistie N°26479 et N°26492 sont incompatibles avec la Convention américaine relative aux droits de l’homme et, en conséquence, sont privées d’effet juridique.
Encore, plus récemment, en Espagne, en février 2012, le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme a demandé l’abrogation de la loi d’amnistie de 1977, au motif qu’elle viole le droit international relatif aux droits de l’homme. Le Commissaire a évoqué l’obligation de l’Espagne de respecter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, car en vertu du droit international des droits de l’homme, il n’y a pas de délai de prescription pour les crimes contre l’humanité. D’ailleurs, en 2013, un groupe de travail d’experts des Nations-Unies a confirmé cette thèse en rappelant à nouveau à l’Espagne d’abroger la loi de 1977.
Dans ce même ordre d’idées, le 26 août 2011, Amnesty International avait engagé les autorités brésiliennes à abroger une loi empêchant que les responsables présumés de centaines d’atteintes aux droits humains fassent l’objet d’enquêtes et soient poursuivis. La loi d’amnistie de 1979, entrée en vigueur le 28 août 2011, met les responsables du recours généralisé à la torture, aux exécutions extrajudiciaires, aux disparitions forcées et aux viols sous le régime militaire de 1964-1985 à l’abri de poursuites pour ces crimes.
En définitive, le Sénégal ne doit pas faire exception. Cette loi d’amnistie qui garantit illégalement l’impunité et protège injustement les auteurs des graves violations des droits humains est incompatible avec les obligations nationales et internationales du Sénégal.
Dr. Papa Moussa Saliou GUEYE
Enseignant-chercheur en Droit public
Membre du Bureau Politique National de PASTEF-Les Patriotes