Par la magie d’une machine à remonter le temps dont les politiciens ont seuls la clé, on se croirait projeté deux années en arrière. La rhétorique guerrière, faite de gatsa-gatsa, de mortal kombat et autres slogans suggérant la violence rappelle une douloureuse parenthèse que les Sénégalais croyaient avoir définitivement refermée avec l’élection du 24 mars. Et voilà qu’il y a comme une exhumation des vieux démons. La semaine écoulée et celle qui l’a précédée ont été riches en évènements de toutes sortes, faits de convocations, de garde à vue, de retours de parquet et de mises sous mandat de dépôt d’hommes politiques, intellectuels, journalistes ou activistes. Une pratique que l’on croyait révolue et appartenir au passé. Mais, que non ! Les hommes politiques sont, à peu de détails près, les mêmes. Il n’y a que le positionnement politique contextuel qui permet de les différencier, les uns par rapport aux autres. Les victimes d’hier deviennent, comme par un coup de baguette magique, les bourreaux d’aujourd’hui. Et vice-versa. Ce qui était tolérable il y a un an devient subitement condamnable. Et l’on se surprend à lire un communiqué de la coalition pilotée par le ci-devant président de la République, Macky Sall, condamnant les «arrestations abusives» de politiques, journalistes et activistes. Vous ne rêvez pas. Vous n’avez pas la cataracte, non plus. Enlevez la signature de Takku Wallu Sénégal, mettez celle de «Diomaye Président» ou celle, plus ancienne, de Yewwi Askan Wi, avec permis d’antidater et vous comprendrez pourquoi, d’un contexte à l’autre, les hommes politiques sénégalais sont les mêmes. Seuls changent le costume et le positionnement politique dicté par les circonstances.
Et le peuple, dans cette escalade ? Il est comme pris entre les feux nourris de ceux qui ont pris le pouvoir et cherchent par tous les moyens à le garder et ceux qui l’ont perdu et qui, quoiqu’il en coûte, veulent le reconquérir. Pendant ce temps, les thèmes nobles et fédérateurs sont relégués au second plan. Les sujets de fond sont renvoyés aux calendes grecques. Les experts qui ne veulent pas hurler avec les loups, sont inaudibles. La nature ayant horreur du vide, les médiocres occupent l’espace public et la médiasphère avec les moyens qui sont les leurs et de leur bas niveau : insultes, menaces, délations, fabrication en quantité industrielle de fake-news, etc. Au pays de Cheikh Anta, ces saltimbanques qui ne devraient l’ouvrir que dans le bistrot du quartier sont mieux écoutés que Souleymane Bachir Diagne. C’est le nivellement par le bas, à tous les étages, dont la classe politique sénégalaise fait la promotion et porte l’entière responsabilité. Chaque entité politique recrute ses propres insulteurs. Quand Pastef s’enorgueillit d’avoir Ousmane Tounkara parmi ses soutiens, l’Apr porte Coura Macky en triomphe. Voilà où on en est, en 2024, au pays de Léopold Senghor, Mamadou Dia, Amadou Mahtar Mbow…
Pour dire vrai, la police et la gendarmerie n’avaient rien à cirer d’un débat sur les chiffres, vrais ou faux, de la macroéconomie : Pib, taux de croissance, niveau d’endettement, qualité et efficacité de la dette, etc. Il ne leur appartient pas de démêler le vrai du faux dans l’état des lieux présenté par le gouvernement et la réplique somme toute normale qu’il fallait en attendre. «La parole du Premier ministre n’est pas incontestable. Elle n’est pas d’ordre divin». Il a mille fois raison Abdoul Mbaye. Entre un «livre noir» du Macky dressé par Sonko et le livre blanc présenté par l’Apr, un esprit rationnel et serein aurait su séparer la bonne graine de l’ivraie sans besoin de recourir aux méthodes musclées de la police. Convocations tous azimuts et menaces ne font que rajouter du brouillard à un épais dossier de faux officiel présumé qui donne déjà la berlue, y compris chez les partenaires techniques et financiers traditionnels du Sénégal.
Ibrahima ANNE