S’il y a une chose parmi celles que le duo Diomaye-Sonko a jusque-là réussies et qu’il faut applaudir à tout rompre, c’est bien d’avoir freiné -pour le moment- la transhumance politique. Le phénomène colle tellement à l’homo senegalensis que si vous vous amusez à taper l’expression dans n’importe quel moteur de recherche, il vous renvoie des tonnes d’articles sur le Sénégal. Ainsi, notre pays est l’un des rares au monde où on peut entrer en politique, à 20 ans, en étant socialiste, communiste à ses 40 ans et flirter avec l’ultralibéralisme avant ses 60 ans. C’est que les convictions, loin d’être figées, sont guidées par la boussole de l’intérêt immédiat. Alors, au diable les idéologies !
Il y a quelques mois, des jeunes d’un département du nord avaient, par un tir de barrage savamment réfléchi, annoncé une potentielle transhumance d’un ancien ministre de Wade, passé sous les ors et lambris du pouvoir sous Macky et qui s’apprêterait à déposer ses baluchons dans la nouvelle mouvance présidentielle. Info ou intox ? Ce contre-feu -si c’en était un- a eu le don de brouiller le plan de vol de ce has been, connu pour ses capacités à changer de couleurs, selon les circonstances politiques et ses intérêts du moment.
Cette stratégie pastéfienne d’endiguement, si elle existe bien sûr, aura malheureusement créé un autre phénomène dont nous empruntons l’expression à un ami, très actif sur les réseaux sociaux. Il s’agit de la «transhumance par contournement». Celle-ci procède d’une méthode subtile, faite de ruses et de subterfuges. Les portes de Pastef étant fermées, on entre par celles de ses alliés. Ils sont, en effet, nombreux les partis et mouvements qui, ayant appartenu à «Diomaye 2024», revendiquent une part de la victoire du 24 mars 2024. Alors, l’astuce est simple : si Sonko et Diomaye ne veulent pas de ces transhumants ou ne veulent pas, pour le moment, les accueillir parce que se sachant surveillés par des jeunes «patriotes», jaloux de leur victoire et des sacrifices consentis pour y arriver, les candidats toquent à la porte du voisin allié, en attendant que les nouveaux tenants du pouvoirs changent de doctrine sur le sujet et veuillent bien ouvrir volets et fenêtres. Et ce serait ça de déjà gagné. Les anciens pouvoirs de Diouf, Wade et Macky nous avaient habitués à l’exact opposé. Le Pds de Wade, bien que né «parti de contribution», a beaucoup souffert, à l’âge adulte, du débauchage de ses cadres par son puissant adversaire socialiste au pouvoir. Fara Ndiaye, Me Doudou Ndoye, Papa Ndiamé Sène ont largué Wade en rase-campagne pour rejoindre la barque socialiste. Serigne Diop, une autre valeur sûre du parti libéral sénégalais, n’aura pas, quant à lui, pris la carte socialiste. Mais, il a créé, sur les flancs du Pds originel, un Pds-Rénovation pour se rapprocher du Parti socialiste. Idem pour Ousmane Ngom et Jean-Paul Dias. Tous les chemins mènent à Rome, dit-on. Au lieu de casser la dynamique ascendante de Wade, ces débauchages ne firent que la renforcer jusqu’à son accession au pouvoir, en 2000.
Alors, victime de cette pratique tropicale, on attendait de Wade qu’il mît un garrot sur la plaie. Que nenni ! Le Pape du Sopi, aidé de son tout-puissant vizir, le ministre d’Etat, Directeur de cabinet, Idrissa Seck, mime son prédécesseur, le cynisme en sus. Ceux qui occupaient des postes de responsabilité sous le régime défait et qui sont mouillés dans un rapport d’audit sont sommés de changer de couleur. Sinon, ils sont bons pour un séjour longue durée à l’hôtel zéro étoile de Rebeuss. De nombreux barons socialistes ne se firent pas prier pour sauter la barrière. Conséquence : la formation verte se décime et les réunions du comité directeur du Pds ressemblent à celles du bureau politique du Ps parce qu’on y retrouve les mêmes têtes.
Si Wade avait, quelque peu, délégué le sale boulot à son directeur de cabinet, son successeur, lui, s’en chargera personnellement. Macky Sall qui avait été élu, entre autres thèmes fédérateurs, sur la restauration de l’éthique dans la praxis politique sénégalaise, se fait le nouveau chantre de la transhumance. En 2015, en marge d’un conseil des ministres décentralisé, tenu à Kaffrine, il se fend d’une déclaration qui fera date dans la théorie de la mobilité trans-partisane. «Un homme politique ne doit pas être rancunier, revanchard. Pourquoi ne devrais-je pas recevoir des gens du Pds ou d’un autre parti qui veulent intégrer l’Apr ? Je n’ai aucun problème à les recevoir ! La transhumance est un terme péjoratif qui ne devrait jamais être utilisé en politique parce qu’elle est réservée au bétail qui quitte des prairies moins fournies pour aller vers des prairies plus fournies. Selon les saisons, le bétail a besoin de se mouvoir. C’est vrai que c’est par analogie que les gens ont taxé les perdants qui vont vers les vainqueurs. Ça peut se concevoir mais le terme n’est pas acceptable. Nous avons tous la liberté d’aller et de venir, c’est la Constitution qui nous le garantit. Ensuite, les acteurs politiques au Sénégal ne sont pas nombreux. Nous avons à peu près 5 millions d’électeurs sur 13 millions de Sénégalais», déclare-t-il. Le ton est alors donné. Ceux qui avaient quelque gêne à sauter le pas sont encouragés par la première institution du pays dans leur projet de passage chez l’ennemi d’hier.
Heureusement que, jusque-là, les nouvelles autorités du pays maintiennent le cap de la «rupture» dans ce domaine. Pourvu que ça dure !