Le lundi 26 août, tôt le matin, pendant que beaucoup de ses voisins de Grand-Yoff sont encore dans les bras de Morphée, Amadou Diallo, jeune père de famille, sort de chez lui pour aller au travail. Il tombe nez à nez sur une bande de malfrats. Selon la version du voisinage, ces derniers voulaient dépouiller une fille. Diallo tentera de voler à son secours. Mal lui en a pris. Une balle en plein ventre et l’émigré de retour au bercail roule par terre. Evacué aux urgences de l’hôpital Idrissa Pouye, les médecins ne purent rien faire contre la faucheuse qui eut raison de lui au beau milieu de l’après-midi.
Dimanche 25, c’est Maman Aicha Ndong, 14 ans, qui est tuée dans des conditions troubles. Le corps de l’adolescente, en état de décomposition, a été retrouvé gisant dans un canal. De lourds soupçons pèsent sur sa copine qui l’avait accompagnée à la boutique acheter du lait caillé.
Ces deux affaires interviennent en plein psychodrame Aziz Dabala du nom de ce célèbre danseur, acteur à ses heures perdues de téléfilms, tué en même temps que son colocataire du nom de Waly. L’enquête, confiée à la Division des investigations criminelles (Dic), n’a pas fini de livrer tous ses secrets. En attendant, sept suspects ont été inculpés et placés sous mandat de dépôt, mercredi dernier, par le doyen des juges d’instruction du tribunal de Pikine-Guédiawaye.
Trois affaires donc. Quatre crimes de sang. Quatre crimes crapuleux, symptomatiques du grand corps malade qu’est le Sénégal dont Serigne Cheikh Tidiane Sy «Al Maktoum» réclamait le lavage à grande eau. Son exigence est plus que d’actualité. Au pays de la Téranga, il est maintenant plus facile de tuer un être humain que de sacrifier son mouton de Tabaski. Tant la récurrence des meurtres est frappante. Avec l’effet anesthésiant des réseaux sociaux où les clics et les vues ont éliminé en nous toute capacité d’indignation, ôter le souffle à une personne est devenu un fait banal que l’on partage fièrement sur les réseaux sociaux et dont on ne parle que le temps de ramasser le maximum de magot via la monétisation Google. A qui la faute, alors ? La faute à un capharnaüm multifactoriel de causes qui ont noms : démission des parents, désengagement des pouvoirs publics, accès plus facile aux substances psychotropes, banalisation du crime, etc. Dans une période assez récente, les crimes de sang n’étaient pas aussi courants. Leurs auteurs, sur qui pesaient des indices concordants, étaient traduits en cour d’assises. Celles-ci ont, depuis, été supprimées et remplacées par de simples chambres criminelles rattachées aux tribunaux d’instance. On voudrait dédramatiser le crime qu’on s’y prendrait autrement ! Les sessions des cours d’assises, siégeant par intermittence, étaient des moments solennels d’administration de la justice. Les juges, habillés en toges rouge-sang, étaient escortés par des éléments d’élite de la police, le tout devant un peloton d’exécution avec des militaires en tenue d’apparat. Au-delà du décor, l’idée était de faire prendre conscience aux accusés et au public de la gravité du trouble social occasionné et de la sanction encourue. Par souci de rationalisation des dépenses publiques et sous leur dictée, les bailleurs ont suggéré à nos gouvernants le principe d’une suppression des cours d’assises, jugées trop onéreuses pour les finances publiques. Conséquence : aujourd’hui, un crime est jugé comme n’importe quel vol à l’arraché commis dans les dédales du souk de Petersen. Quid de la sécurité de proximité ? Elle reste à l’état de slogan. L’agence qui lui était dédiée est devenue une pourvoyeuse de services pour plus offrants. Ses agents sont réduits à jouer les vigiles devant les mairies, domiciles de notables ou, au mieux, les assistants des policiers de la circulation.
Il s’y ajoute une démission des parents. Tenaillés entre le lourd marteau de la dépense quotidienne et l’enclume de la pression sociale, ceux-ci ont jeté l’éponge devant leurs responsabilités. Ils ont cessé d’être regardants sur les fréquentations et le train de vie. Ces garnements, laissés à eux-mêmes et «éduqués» dans et par la rue, sont broyés par une société de consommation et du paraitre où être détenteur d’un I-phone 14 est, dans l’échelle des valeurs sociales, mieux évalué que la fréquentation assidue des mosquées ou la bravoure au travail. La fin justifie les moyens, dit-on. L’adage populaire enfonce le clou : «Khalis, kenn douko liggey ; daniou koy lijjenti.»
Que dire de la drogue et de l’alcool ? Ils s’écoulent comme des paquets de mouchoirs. Il ne se passe pas un mois voire une semaine sans que la douane ne communique sur une saisie «record» de drogue. Qu’en est-il maintenant de celle qui est passée sous le nez des gabelous, des champs de yamba cultivés un peu partout à travers le pays ? Cela n’a l’air d’intriguer personne alors que ce sont des tonnes de ces produits prohibés qui entrent au Sénégal.
La sédimentation de tous ces facteurs contribue à l’installation d’une société criminelle où tuer pour vivre, tuer pour exister ou tuer pour paraître est devenu un sport national. Surtout quand les anciens criminels, protégés par un «bras long» peuvent, six mois après leur forfait, sortir et se pavaner, en plein jour, dans le quartier et, du coup, faire des émules chez les plus jeunes qui les affublent du titre de «guerriers». Et si le retour de la peine de mort était l’antidote ? Honni soit qui mal y pense !
Par Ibrahima ANNE