La réunion du Conseil supérieur de la magistrature, l’une des premières de l’ère Diomaye, consacre, hélas, un net déphasage entre les promesses d’opposant devenu candidat et la gestion réelle du pouvoir. L’un des principaux reproches faits à Macky Sall étant que celui-ci usait de sa position pour faire et défaire des carrières, au gré de ses émotions et de ses ambitions. Vendredi, on a assisté à la promotion des «amis» du Projet et à la liquidation de ceux qui, dans l’imaginaire des Pastéfiens, sont juste des ennemis bons pour le purgatoire parce que coupables d’avoir pris des décisions jugées en défaveur de l’accession du tandem Diomaye-Sonko au pouvoir. Comme quoi, ce sont les hommes qui changent mais les méthodes restent les mêmes : le miel pour les amis ; le fiel pour les bannis. Ainsi, au-delà des positions de principe affichées par le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, quant à son maintien ou non dans le Conseil supérieur de la magistrature, il s’agit, dans les faits, d’une option de rester avec une nette mainmise sur la magistrature et sur ses principaux leviers de commande. Le rêve d’une justice indépendante et de juges et procureurs libres accouche d’une réalité cruelle : des magistrats promus, redevables aux nouvelles autorités d’une ascension fulgurante avec le sentiment que leur Sonko-compatibilité leur aura permis d’atteindre le graal. Et il ne se trouve, curieusement, aucun activiste des droits de l’homme pour se plaindre de cette glissade dangereuse. Ni d’universitaires, pourtant si prompts à pourfendre Macky Sall et ses procédés, pour peu qu’il s’écarte de ce qu’ils considèrent comme étant les bonnes pratiques. Un simple arrêté d’interdiction d’une manifestation de l’opposition mobilisa 51 universitaires qui, dans une tribune au vitriol, avaient violemment fustigé la position de l’autorité administrative. Aujourd’hui que le pouvoir régalien est utilisé à des fins de règlement de compte, l’on assiste à un inquiétant mutisme de nos savantissimes universitaires et apôtres de la docte science. Circulez, il n’y a rien à cirer, pardi !
Pourtant, c’est comme cela que, dans le passé, on a laissé sédimenter un réel système de sanction-récompense selon que l’on est pour ou contre les desideratas du système en place. Et qui sait, si demain on ne va pas assister à la promotion de sous-préfets, préfets ou gouverneurs dont le seul fait d’arme est qu’ils ont, dans un passé récent, fermé les yeux sur des manifestations de l’ancienne opposition, même porteuses de risques de troubles à l’ordre public ? En plus, c’est un mauvais signal envoyé aux magistrats qui seraient tentés de rendre des sentences qui ne seraient pas favorables au pouvoir.
La politique, c’est l’élégance et la hauteur. Me Abdoulaye Wade qui, comme Ousmane Sonko, a été l’un des opposants les plus traqués de l’histoire n’a pas, une fois arrivé au pouvoir, usé de son décret pour mener une chasse aux sorcières contre les juges et procureurs qui lui en avaient fait voir de toutes les couleurs. Jamais son «bourreau» Demba Kandji, doyen des juges de l’époque, n’a été autant promu que sous le magistère de sa victime, Abdoulaye Wade. Ce dernier, en promouvant Abdoulaye Gaye, procureur général près la Cour de cassation (ancêtre de la Cour suprême dans sa version actuelle), avait choisi de renvoyer, à sa manière, l’ascenseur au théoricien du «flagrant délit continu», subterfuge utilisé pour mettre le pape du Sopi, en prison. Nonobstant son statut de député couvert de son immunité parlementaire. Moralité de l’anecdote : un pays, on ne le gouverne pas dans la vengeance ; on le gère dans la tolérance et le dépassement.
Post-scriptum : Si, en 2024, Tambacounda, Kédougou, Matam ou Bakel sont encore perçus comme des purgatoires pour fonctionnaires récalcitrants, c’est que les politiques publiques, de Senghor à Diomaye, ont été un échec cuisant et que l’équité territoriale qui a englouti tant de milliards a été juste une chimère.