Sikilo, dans la région de Kaffrine. Un choc frontal entre deux bus de transport en commun fait 39 morts. C’était dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 janvier 2023. Quelques mois plus tard, un autre accident de la route fait une vingtaine de morts à Ngeune Sarr, dans la région de Louga. Plus récemment, à Ndouloumadji, dans le département de Matam, une collision entre un minicar et un camion fait six morts. Et ce fut le tour peu enviable de Palméo, dans la région de Louga, où, la semaine dernière, onze personnes ont péri sur le coup, une autre a succombé à ses blessures. Ce décompte macabre, qu’il soit imputable à des défaillances techniques ou au facteur humain, fait froid dans le dos mais ne donne pas une vue exhaustive du nombre de décès par accidents sur les routes sénégalaises. Ce qui est clair, c’est que le Sénégal a, selon les statistiques, enregistré au cours des cinq dernières années, une moyenne annuelle de plus de 4000 accidents de la circulation dont 745 décès en 2019, soit près de 2 décès par jour. De quoi tirer la sonnette d’alarme.
Sur les lieux du drame de Palméo, le ministre des Transports, Elhadj Malick Ndiaye, a affiché le masque de la fermeté quant à l’application de mesures strictes afin de mettre un garrot sur l’hémorragie. «Aucun manquement ne sera toléré et les centres techniques et de passage d’examen seront déployés dans tout le pays», promet le ministre. Sauf qu’il est permis de douter de la volonté de l’Etat à appliquer ses propres mesures. Au lendemain de l’accident de Sikilo, le gouvernement de Amadou Bâ, agissant sous le coup de l’émotion, avait annoncé une batterie de 23 mesures à application immédiate. Parmi celles-ci, l’interdiction de la circulation des bus la nuit, entre 23 heures et 05 heures du matin, le plombage des compteurs de vitesse à 90 kilomètres par heure, l’interdiction de l’importation de pneus usagés, l’interdiction des places supplémentaires appelées «versailles» dans le langage des routiers -on ne sait trop pourquoi-, la limitation de la durée d’exploitation des véhicules à 15 ans pour le transport de marchandises et à 10 pour le transport de personnes, l’interdiction des surcharges, etc. Parmi ces mesures, seule celle concernant le transport nocturne des bus est respectée. Et encore ! Peut-être parce qu’étant d’application et de contrôle plus faciles. Les pneus d’occasion continuent à entrer dans le pays comme si de rien n’était. Les surcharges des véhicules de transport n’ont jamais été aussi constatées que maintenant. Pour s’en convaincre, il suffit de circuler dans Dakar aux heures de pointe. Non seulement, les Tata, Ndiaga Ndiaye et autres «cars rapides» sont remplis à ras bord mais, pire, il arrive même de voir des passagers téméraires se mettre à quatre ou cinq sur des marche-pieds qui peuvent céder à tout moment sous le poids de leurs occupants d’infortune. Et le tout, au nez et à la barbe des éléments des forces de sécurité qui, comme tout le monde, ont baissé la garde. Ceux qui, comme le très célèbre et terreur des chauffards, «Amoul Yakaar», se donnent de la peine pour faire appliquer les règles élémentaires du code de la route sont qualifiés d’agents zélés et dénoncés chez quelque autorité influente (politique ou religieuse) qui se chargera de les faire muter quelque part où ils ne verront plus personne à verbaliser. Que dire du puissant lobby des transporteurs ? Ses membres poussent le toupet jusqu’à demander à l’Etat d’exiger de ses policiers qu’ils ferment les yeux sur le jeune âge des conducteurs de poids lourds parce que, après tout, argumentent-ils, ce sont des «soutiens de famille» ou même de réclamer des pouvoirs publics que leurs fonctionnaires sur la route appuient sur la pédale douce. Parce que, pensent-ils, il y a trop de contrôles sur les corridors.
Comment, dans ces conditions, nous faire gober que l’Etat, contrairement à ses habitudes, sera intransigeant dans l’application des mesures passées et celles à venir après les assises sur le transport prévues avant la rentrée ? On en a vu d’autres et en a entendu des tonnes. Au lendemain de chaque accident, le rituel est quasiment le même. Après le drame, le président de la République, qu’il se nomme Macky Sall ou Diomaye Faye, se fend d’un tweet pour s’en émouvoir et présenter ses condoléances aux familles éplorées. Le ministre en charge des transports -le pauvre- est envoyé au charbon pour constater les dégâts, donner l’impression de coordonner les secours, promettre, encore promettre et toujours promettre que rien ne sera plus comme avant. Et patatras. Sur ce, la rupture n’a pas opéré : El Malick Ndiaye n’a, en effet, pas dérogé à la règle. Sur le lieu du drame, il a exprimé son «profond sentiment de tristesse» et de «désolation» et pris l’engagement que toutes les mesures issues du conclave de septembre seront appliquées. Comme Saint-Thomas, on attend de voir pour y croire !
Par Ibrahima ANNE