La Déclaration de politique générale, simple formalité (non substantielle, d’ailleurs), est en train d’installer le pays dans une crise institutionnelle et, si l’on n’y prend garde, de le casser en deux. De quoi s’agit-il exactement ? Il s’agit d’une adresse d’un Premier ministre nouvellement nommé, entouré des membres de son gouvernement, devant la Représentation nationale pour dresser les grandes lignes de la politique qu’il compte mener sous la dictée du président de la République qui, constitutionnellement, a l’aptitude exclusive d’en définir les contours. A priori, cela ne devrait poser aucun problème si les calculs et stratégies politiques n’étaient de service que pour ajouter de l’huile sur le feu. De Mamadou Dia à Amadou Bâ, la Déclaration de politique générale s’est toujours faite sans qu’il y ait lieu à tout ce brouhaha. Parce que c’est une obligation constitutionnelle (article 55). Même si la Constitution, elle, ne fixe aucun délai pour la satisfaction de cette formalité républicaine. C’est juste par souci de précision -superfétatoire, d’ailleurs- que le législateur sénégalais a cru bon d’insérer dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale cette disposition sur les délais. Laquelle disposition, au gré des retouches constitutionnelles, notamment la suppression-reconduction du poste de Pm, a disparu de la «bible» des parlementaires.
Mais, à quoi assiste-t-on ? On assiste à une surenchère verbale dictée par le contexte politique post élection présidentielle et les rapports de force qui en découlent. Le nouvel exécutif, incarné par le duo Diomaye-Sonko, a en face de lui un pouvoir législatif qui ne lui est pas favorable. Il y a, d’une part, une majorité Benno et, d’autre part, des députés dissidents de la mouvance Khalifa Sall avec qui ils sont en froid et, en embuscade, des députés non-inscrits qui ne les ont pas forcément en sympathie. Cette composition fait que le chef du gouvernement nourrit naturellement quelques appréhensions quant à l’idée d’y délivrer un discours de politique générale. C’est quand-même politiquement risqué de discourir devant une assemblée majoritairement hostile. Conséquence : le Premier ministre dit qu’il ne va s’y rendre que si et seulement si le règlement intérieur, jugé déphasé, est mis à jour. Et ce, avec un deadline bien précis. Faute de quoi, Ousmane Sonko se réserve le droit de faire sa DPG devant une assemblée, non pas nationale, mais autrement constituée, avec des intellectuels, des partenaires techniques et financiers, etc. Tout ce qu’il y a de non parlementaire ! Devant ces velléités de contournement, la majorité Benno à l’Assemblée fait valoir, à son tour, son droit de riposte : adopter une proposition de loi constitutionnelle supprimant l’article qui permet au président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale, après deux années de législature. Et, le cas échéant, de faire promulguer ladite loi, une fois adoptée, par le Président de l’Assemblée nationale en cas de carence du chef de l’Etat. Voilà le décor et l’ambiance dans lesquels le Sénégal est plongé depuis quasiment deux semaines. Fallait-il en arriver là ? Nous pensons que non. D’autant que des ressorts existent. Il y a simplement le dialogue entre le gouvernement et le Parlement qui pourrait aplanir cette difficulté. En quoi faisant? En donnant possibilité à un comité de rédaction composé d’experts ou d’anciens et actuels parlementaires (du pouvoir comme de l’opposition) de proposer des réformes en vue de rendre le règlement intérieur conforme à la situation du moment, marquée par un Exécutif où il y a un président de la République et un Premier ministre. Avouez que cela ne devrait pas être compliqué si tant est que, de part et d’autre, on était animé de la même volonté de sauvegarder la paix institutionnelle. Maintenant, si chaque partie campe sur ses positions et entend trouver dans les textes ce qui pourrait lui permettre de nuire à l’autre, on fonce droit vers une crise institutionnelle. Pour l’avoir vécue en 1962, le Sénégal doit user de toutes ses ressources pour ne pas en arriver là.