Après le passage de l’équipe municipale de Dakar-Plateau appuyée par l’administration territoriale et les Forces de défense et de sécurité, Petersen, les allées Papa Guèye Fall et alentours respirent. Même si les marchands ambulants déguerpis, dans la tourmente, squattent toujours les lieux sous surveillance policière, pendant qu’à Colobane la chaussée est reprise d’assaut par les ambulants. Ce, moins de 72 heures après la visite de Premier ministre, Ousmane Sonko.
Petersen, le mardi 02 juillet 2024, la voie est complètement dégagée. Les marchands ambulants déguerpis squattent les lieux. Les nombreuses étales, jouxtant jadis les artères de cette partie du centre-ville de la capitale, Dakar, ont disparu. A l’origine, les opérations de déguerpissement menées conjointement par le maire de Dakar-Plateau, Alioune Ndoye, et l’Administration territoriale, depuis le vendredi 29 juin. Le décor tranche d’avec la réalité des jours précédents. Notamment celle de la veille de fête de l’Aid El-Kébir ou Tabaski.
Les coins des rues sont envahis littéralement par les vendeurs, pardon marchands ambulants souvent appelés «baol-baol» (en langue locale), du nom d’une contrée du Sénégal. Ces acteurs du secteur informel sont dans l’expectative. Assis en petits groupes disséminés un peu partout sur les trottoirs des allées Papa Guèye Fall, situées à quelques encablures de la grande Mosquée de Dakar qui abrite l’Institut Islamique, ils attendent désespérément qu’une solution soit trouvée à leur problème.
Ici, ils spéculent de tout : le bienfondé de la mesure de déguerpissement prise mais aussi ils se disent victime d’une trahison de la part des nouvelles autorités. Car, confie Baye Fall, l’un d’eux, «nous nous sommes battus aux côtés des nouveaux dirigeants, quand ils étaient à l’opposition. Mais nous n’avons pas été récompensés. Nous n’arrivons à assurer la dépense quotidienne, depuis notre retour de Tabaski. Tout est terne. L’activité de commerce est bloquée». Toutefois, il faut préciser que le Premier ministre lors de sa visite au marché de Colobane a indiqué qu’il n’était pas au courant la décision prise par des maires pour déguerpir les commerçants de la voie publique.
LANCE EN 2019 POUR REALISER 6000 CANTINES DESTINEES AUX AMBULANTS, LE «CHANTIER ALIOUNE NDOYE» A L’ARRET…
Quelques marchands, sous les rayons solaires ardents, exposent leurs marchandises. A leurs risques et périls. «La Police a interpellé certains de nos camarades qui ont passé 48 heures au Commissariat de Reubeuss et ont payé une amende de 12.000 FCFA», racontent les commerçants que nous avons rencontrés. En outre, Abdoulaye Diop, un déguerpi de Petersen, déclare : «Ça fait 5 ans que je vends ici. Nous avons été pris au dépourvu par les autorités. Nous avons été déguerpis, sans qu’on nous propose un site pour nous abriter. Alors que nous avons à honorer le paiement des factures d’eau, d’électricité et le loyer». Jusqu’à nos jours aucun affrontement n’a été noté entre les Forces de défense et de sécurité (FDS) et les occupants irréguliers des sites vidés. Malgré le climat délétère qui prévaut à la gare routière Pétersen. Deux camions de la Police sont stationnés au rond-point. A leur bord, des éléments du Groupement Mobile d’Intervention (GMI).
De l’autre côté du terminus du Bus rapid transit (BRT), en allant vers le marché Sandaga, au «chantier Alioune Ndoye», un nom emprunté au site où le maire de Dakar-Plateau est en train de construire 6000 cantines pour reloger des marchands, les travaux tardent à être achevés. L’accès au chantier est interdit aux visiteurs. «Ce sont des consignes qu’on m’a données. Je suis tenu de les respecter», a déclaré l’agent de sécurité qui filtre les entrées au portail. Les travaux sont l’arrêt, il y a de cela six mois, a révélé un habitué des lieux. Pourtant, les travaux ont démarré depuis 2019, s’étonne-t-on.
TAXES JUGÉES ONÉREUSES AU CENTRE COMMERCIAL FÉLIX ÉBOUÉ, APPELÉ «KHALIFA SALL», UN FAUX PRÉTEXTE
Les déguerpis ne sont pas intéressés par les cantines du Centre commercial Félix Éboué, réalisés sous le magistère de l’ancien édile de la Ville de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, par ailleurs, président de Taxawu Senegal. Au total 1000 cantines sont en souffrance làbas. Le manque de moyens financiers invoqués ainsi que le niveau sur lequel se situe ces lieux de commerce (2e et 3e étage), pour justifier leur refus de les prendre, est considéré par certains comme de faux alibis. Ibra Fall, propriétaire de la mercerie au rez-de-chaussée, témoigne. «Nous rendons grâce à Dieu. Les difficultés sont inhérentes à la vie. L’activité fonctionne en dents de scie. Il y a des jours où ça marche ; des fois, on se réveille, nos recettes sont maigres. Nous demeurons stoïques. C’est ça la volonté divine. Nous ne pouvons pas obtenir plus que ce que Dieu nous accorde. Je paie 50.000 FCFA chaque mois et 6000 FCFA les frais de session. Alors que je ne suis qu’un simple locataire»
Dans ce centre commercial, à part quelques difficultés notamment le coût de la location jugé élevé et une clientèle qui se fait parfois rare, tout fonctionne à merveille, ont fait remarquer les marchands rencontrés. Les box disponibles sont au 2e et 3e étage de cet imposant bâtiment. Mme Sané née Astou Ndiaye, soutient qu’ils sont hors de leur portée.
«Les conditions pour acquérir un box ne sont pas à la portée de nos bourses. Il faut verser un montant de 750.000 FCFA. Sans compter le loyer mensuel : 50.000 FCfa. Ces dépenses ne sont pas à la portée des gens qui ont des revenus modestes». Cet avis n’est pas partagé par tous. «Tout ce qu’animent ces commerçants, c’est se dérober, ne pas payer les taxes», a affirmé une source proche des commerçants.
Pour Dame Badiane, l’un des responsables des marchands ambulants, la position géographique n’est pas favorable à l’activité du petit commerce. La chaussée est dans un état de dégradation très avancé. En outre, «elle est étroite. Comment peut-on travailler dans ces conditions», s’interroge M. Badiane ?
PLUS DE 3000 CANTINES CONSTRUITES, EN DEÇA DES BESOINS DE LA GRANDE MASSE DE PETITS COMMERÇANTS
A Colobane, contrairement à Pétersen, la chaussée est prise d’assaut par les ambulants. Moins de 72 heures après la visite de Premier ministre, Ousmane Sonko, en visite sur place, dimanche dernier, pour leur livrer le message du président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye. D’ailleurs une rencontre a eu lieu à la Primature, avant-hier mardi, entre le Comité de défense des habitants de Colobane et les marchands ambulants et les autorités étatiques.
Selon le chef de quartier, Allia Dior Diop, «le déguerpissement des commerçants est une vieille revendication des populations riveraines de Colobane Hock. C’est nous qui avions demandé aux autorités de déguerpir les commerçants qui occupent la voie publique. Notre cadre de vie s’est considérablement dégradé, à l’image des autres localités. Cette situation ne profite à personne», a précisé M. Diop.
«Le parc à Mazook n’existe plus. Cette aire a été confisquée, au détriment des populations. Le manque d’espace est à l’origine de la délinquance dans le quartier. Désengorger Colobane est une nécessité, pour le bien être des habitants», a ajouté Diatou Diop, conseillère municipale, par ailleurs membre du Comité de défense des riverains du marché de la localité.
Interrogé, le Secrétaire permanent des délégués dudit marché, Cheikh Diabaye, répond : «nous avons accueilli la mesure de déguerpissement avec beaucoup de tristesse. Il devait y avoir une concertation au préalable. Le déguerpissement, sans qu’on nous propose un site, n’est pas une solution. La pauvreté a atteint des proportions inquiétantes dans ce pays».
A son avis, le secteur informel est le principal pourvoyeur d’emplois. «Prendre une décision de cette nature (déguerpissement), revient à dire simplement à ces jeunes : «allez croupir dans la misère». Car, ils n’auront pas de quoi subvenir à leurs besoins», prévient M. Cheikh Diabaye. On dénombre de plus de 3000 cantines construites, selon le Secrétaire permanent des délégués. Elles sont en deçà des besoins de la grande masse de petits commerçants qui aspirent à trouver un lieu de travail.
Sud Quotidien