Le Président de la République est parti des « assises pour redorer le blason de la justice » dans son discours du 03 avril à la nécessité d’éviter le « gouvernement des juges » dans le discours du 28 mai. Il a mis beaucoup d’eau dans son bissap. Immense paradoxe car quand on veut éviter un gouvernement des juges on reconnait au moins que la justice est un tant soit peu indépendante car on parle de gouvernement des juges dans un système où les juges sont trop puissants et ne sont donc pas à la botte de l’exécutif ou du moins n’écrivent pas sous sa dictée. Donc le Président confirme que ces assises sont une perte de temps. Au Sénégal, l’Etat est soumis au Droit. Il n’y a que dans un pays où l’Etat est soumis au Droit que le Conseil Constitutionnel censure l’exécutif plusieurs fois en quelques semaines et qu’un juge de province puisse en toute indépendance annuler une décision de l’Etat ou un avocat général va l’encontre de la volonté de l’Etat.
La seule urgence en matière de justice touche à l’économie qui est la SEULE et GRANDE du pays. L’urgence en matière de justice est comment améliorer la sécurité juridique et judiciaire pour l’investissement et la croissance et en la matière la décision du Président de la République et du Premier Ministre d’arrêter arbitrairement les travaux sur la corniche est un mauvais signal pour l’investissement. Le Président de la République n’est pas François 1er dont le « bon plaisir devient la loi » et la punition collective au-delà de violer le Droit est une injustice contre ceux qui ont fait l’effort d’être en règle. Un jour j’avais demandé au patron d’une grande entreprise de BTP pourquoi le choix du Sénégal en dehors de l’Allemagne pour un investissement de plusieurs milliards et sur plus de 20 ans. Il me répondit que pour des investissements aussi lourds le Sénégal avaient des avantages comparatifs : stabilité politique et sécurité juridique et judiciaire. La sécurité juridique judiciaire ne doit pas dépendre des humeurs du Président et de son Premier Ministre ou d’un courtisan affairiste.
Les assisses de la justice confirme la perte de temps parce que le Président est tombé dans le piège des rentiers de la tension. Après les assises de la justice, ils vont lui proposer les assises du code électoral et réforme du système électoral dans un pays où notre grande administration peut organiser une présidentielle en 3 semaines et une transition entre deux Présidents en 10 jours. Ils ne vont pas manquer de proposer naturellement une CENI sans oublier les assises de la décentralisation. Le candidat Amadou Ba proposait de faire gagner 5 ans au Sénégal dans sa marche vers l’émergence avec le gaz et le pétrole dont nous attendons incessamment les premiers barils. Malgré le pétrole et le gaz on est parti non pas pour gagner 5 ans mais pour en perdre avec un Président sous la coupe des rentiers de la tension et un Premier Ministre qui confine le Président dans un rôle de Roi d’Angleterre ou de Président d’Allemagne ou d’Israël. Sonko confine Diomaye au Palais et dans les airs pour mener des combats idéologiques anachroniques comme le souverainisme désuet. Le confinement politique du Président permet au Premier Ministre de s’approprier ses pouvoirs propres comme la politique extérieure et la défense où il étale son ignorance et surtout l’anachronisme de ses combats.
Lors de la deuxième guerre mondiale, le Japon qui a été dévasté par deux bombes atomiques américaines abrite encore des bases américaines. Il en est de même pour l’Allemagne qui abrite des bases américaines malgré leur défaite face aux américains parce que ces deux pays après avoir défini la géographie de leur intérêt national en ont conclu que l’alliance avec leur vainqueur étaient encore dans leur intérêt. Un célèbre ambassadeur de France à Dakar me racontait la torture d’être ambassadeur de France dans un pays francophone d’Afrique en disant quand tu ne dis rien, on dénonce l’indifférence et dès que tu ouvres la bouche on dénonce l’ingérence. Comment Sonko qui se dont le souverainisme n’est le refoulement du désir de résonance de la France peut reprocher à Macron de ne pas s’être ingéré dans nos affaires intérieures après avoir reçu fièrement chez lui des émissaires de l’Elysée. Dommage que Sonko ait reconnu que le Projet n’existe pas parce que au fond notre Premier Ministre qui est un excellent dramaturge car la scénographie, le suspens de l’attente du projet a été digne du « mandat » de Sembene ou le « en attendant Godot » de Beckett. Donc en attendant Godot pardon le Projet en décembre comme le promet Sonko, espérons que Pastef sorte de l’indigence intellectuelle pour lui trouver au moins un nom. Maintenant que tout le monde sait que le Projet n’existe pas après les aveux de Sonko dans le communiqué du Conseil de Ministres du 24 avril, on est aussi parti pour 5 ans de tâtonnements en matière de politique défense et de politique extérieure où le feeling et les humeurs de notre Premier vont se substituer à la vision et stratégie.
Quand on voit que les amis de notre Premier Ministre ( Goita du Mali, Coulibaly du Burkina, et Tchani) ont tous renvoyé la tenue des élections aux calendes grecques, on a une idée de la déviation que va prendre notre politique extérieure qui va se fonder sur la négation des valeurs du Sénégal. La négation du Sénégal est une constante chez notre Premier Ministre qui préfère parler de Sénégambie méridionale, de Tirailleurs africains alors que le terme consacré est tirailleurs sénégalais. Négation du Sénégal quand, au pays de Diouma Dieng Diakhate, de Colle Ardo Sow, notre Premier Ministre choisit un accoutrement fort bizarre pour recevoir Mélenchon. Au-delà de la faute de gout, une autre forme de négation du Sénégal. Négation du Sénégal quand il pose fièrement avec un casseur dans un Tweet pour faire l’apologie de la violence contre les Forces de l’ordre et avance masquer pour faire exiler le Général Kande qui s’est couvert de gloire en Casamance en faisant face aux casseurs de la République que sont les maquisards du MFDC. Le cannibalisme du populisme doit s’arrêter à la porte des camps et des casernes. C’est pourquoi il faut regretter les propos du nouveau Haut Commandant de la Gendarmerie qui parle de « réconcilier la gendarmerie avec le peuple » lors de son installation. La gendarmerie n’a aucun problème avec le peuple. Entre le déshonneur de voir la République s’effondrer face à l’insurrection et l’honneur d’aller au front pour la sauver afin qu’elle reste debout, elle a choisi de faire son devoir dans l’honneur. Le populisme ne doit franchir la porte des camps et des casernes car le maintien de l’ordre n’a pas de couleur politique et est consubstantiel à l’Etat et à la République.
Monsieur le Président, le temps ne chôme pas, Gardez-vous d’en perdre et d’en faire perdre au pays en vous consacrant à l’essentiel : l’économie et la croissance.
Dr Yoro DIA, politologue