«En avant ! Même si c’est l’échec qui t’attend !
Si tu tombes, tombes debout !»
Stoyan Mikhailovsky, 1856-1927, En avant
Avec l’avènement de la 3e alternance, portée par une jeunesse extrêmement exigeante, les attentes quant au choix des hommes destinés à conduire la gestion des affaires de la cité sont énormes. Le «Projet» a été mis en branle en s’appuyant sur un gouvernement rassurant avec, à bien des égards, les hommes et femmes qu’il faut à la place qui sied. Toutefois les nominations au niveau des stations décisionnelles inférieures ont soulevé des interrogations quelques fois légitimes. D’abord dans la forme car il était prévu un appel à candidature pour «certains» emplois, ensuite dans le fond en raison du profil quelque fois atypique des futurs managers.
Dans la forme, nous avions à la lecture du document de campagne de la coalition soutenu l’impossibilité de l’appliquer au moins lors de la première année en raison notamment des contraintes légales (réformes nécessaires) mais aussi temporelles. Pour avoir travaillé dans le processus de sélection de cabinet de recrutement avec le MCA, nous avons eu à constater que le processus prenait au moins 6 mois entre la publication de l’appel d’offres et les premiers appels à candidature. C’est une gageure que de penser gouverner avec certaines têtes pendant 6 mois encore même si, à notre avis, certains directeurs que nous avons pratiqué, méritent d’être conservé car ayant une probité morale indéniable et des résultats plus que probants. Tout n’est pas mauvais. Toute l’administration itou.
Dans le fond, les quelques profils, divers et épars, nous interpellent pour avoir, pendant des années, été chasseur de talents mais aussi piloté certains processus de recrutement notamment celui du TER. De prime abord, nous réfutons cette perception que le meilleur manager est forcément le diplômé des grandes écoles. A titre d’exemple, notre histoire est empreinte d’hommes et de femmes à qui on ne peut nier des capacités managériales tant ils sont sortis du néant pour la plupart pour créer des industries et le plus souvent pour certains, en ne sachant ni lire ni écrire. Bocar Samba Dieye, Korka Diaw et Iba Sall pour le riz, Babacar Ngom dans l’aviculture, Mbaye Gueye dans la concession de voitures, Abdoulaye Sylla et Serigne Mboup dans le commerce, sont tant de référence à nos yeux, qu’il est aisé de penser qu’un bon manager peut aussi avoir des aptitudes innées.
Tous ces leaders, capitaines d’industrie, ont appliqué la plupart des règles de management de façon empirique c’est-à-dire sans y consacrer d’effort conscient. On pourra facilement me retorquer qu’ils sont dans le privé. Soit ! Regardons du côté de la France, pays avec lequel nous partageons la même culture romano-germanique du formalisme diplômant où Pierre Bérégovoy a été Premier ministre de 1992 à 1993 alors qu’il n’avait que le CFEE et un certificat d’aptitude d’ajusteur. Plus récemment encore, il y a Jean Louis Debré Président du Conseil constitutionnel français et ministre de l’Intérieur sous Chirac alors qu’il n’a pas eu le bac (capacité en Droit). Ces exemples, qui font aussi foison dans la culture anglo-saxonne montrent qu’à bien des égards il n’existe aucune présomption irréfragable sur le fait que les diplômes ou la formation sont un bon baromètre pour déterminer un bon manager. L’essentiel pour nous se trouve dans les aptitudes et les compétences acquises ou innées. Que l’on soit diplômé en lettres, en sciences ou encore en informatique l’essence du management se trouve surtout dans la gestion des ressources humaines gage d’efficacité, d’efficience mais surtout de réussite de tout projet ou programme.
Cette synergie managériale (de la bonne entente à la réussite commune) que doivent rechercher ces nouveaux dirigeants de structures étatiques, repose à notre avis autour de principes itératifs qu’on pourrait résumé en un triptyque : apprendre à apprendre (I), ne pas tomber dans le piège de l’illusion (II) et enfin travailler inlassablement sa personnalité, son leadership (III).
- Apprendre à apprendre
Il n’est point question ici de s’enliser dans un apprentissage détendu, formel ou structuré. Il s’agit plutôt de résister aux à-priori négatifs en expérimentant de nouvelles choses, de scruter l’horizon à la recherche d’opportunités de développement et de se démener sans relâche, jour après jour, pour acquérir des aptitudes radicalement différentes. Cela suggère une volonté d’expérimenter et de redevenir novice encore et encore : chose extrêmement inconfortable quand on a une haute estime de ses connaissances, de ses compétences et par ricochet de sa personne. Il s’agit ici d’avoir l’humilité. Que l’on soit diplômé en droit, en LEA, en anglais, en géographie ou en informatiques, les aptitudes managériales s’acquièrent avec le temps pour qui observe, écoute et applique.
Quatre attributs ont été identifiés, par les chercheurs, pour un apprentissage réussi:
- L’aspiration : la volonté ferme de comprendre et de maitriser de nouvelles compétences.
- La conscience de soi : la lucidité dans l’analyse de notre propre personne et de nos limites objectives
- La curiosité : penser et poser les bonnes questions au bon moment et à la bonne personne
- La vulnérabilité : la tolérance de ses propres erreurs à mesure qu’on apprend
In fine, l’aptitude à acquérir promptement et de façon continue de nouvelles connaissances et compétences est essentielle, aux nouveaux managers, pour relever les défis des mutations du Sénégal. Aussi énormes que puissent être les attentes, elles sont loin d’être insurmontables, pour qui se donne la peine de ne pas sombrer dans le piège de l’illusion.
- Ne pas tomber dans le piège de l’illusion
Depuis des années, les chercheurs ont mis en place un certain nombre de mécanismes pour détecter les aptitudes des uns et des autres à atteindre les objectifs. Certains tests se font en ligne lors du processus de recrutement. Il existe aussi des questions ciblées d’entretien qui prédisposent des aptitudes des uns et des autres à atteindre les résultats escomptés. L’occasion, nous a été donnée, de les tester sur les recrutements du TER compte tenu du caractère nouveau du process mais aussi des implications sécuritaires qui appellent une très grande responsabilité. Les résultats ont été satisfaisants. Mais ces tests quelle que puissent être leur caractère objectif ne résistent pas toujours à l’épreuve du temps et … de la fonction. Et c’est justement ici qu’il convient de ne pas succomber à l’une des cinq illusions :
- L’illusion de l’effort qui consiste à croire qu’un surplus de travail compensera vos lacunes,
- L’illusion de l’intelligence qui nous pousse à penser que l’intelligence en soi s’exprime par des savoir-faire spécifiques,
- L’illusion de la surestimation qui nous invite à croire que l’un de nos talents particuliers nous place au-dessus de nos pairs,
- L’illusion de la passion qui nous pousse à imaginer que nous réalisons bien certaines choses simplement parce qu’elles procurent du plaisir et qu’elles sont importantes pour nous,
- L’illusion de la méthode Coué qui pousse le dirigeant à se convaincre que sa réussite sera facile.
Ici aussi on l’aura compris en toile de fond, tout est une question d’humilité.
D’un point de vue pratique, les nouveaux dirigeants, peuvent dès leur prise de fonction faire un rapport d’étonnement aussi appelé note d’observation critique qui leur servira de bréviaire dans leurs perspectives organisationnelles et processuelles en étroite collaboration avec leur ministre de tutelle. Car on ne le dira jamais assez, ils ont une obligation de résultat dans ce Sénégal d’impatience, d’insouciance et d’irrévérence.
Impossible n’est pas sénégalais surtout si l’on travaille inlassablement son leadership.
- Travailler inlassablement son leadership
Nous sortons souvent de nos universités et centres de formations professionnelles, pour faire carrière dans le public ou dans le privé avec, en bandoulière, certains atouts innés : une grande intelligence, notre aptitude à apprendre, nos ambitions à accomplir plein de bonnes choses et les compétences sociales pour développer de solides relations. Toutefois l’avancement de la carrière est fonction de la façon dont les gens nous voient. Sous ce registre justement nos atouts cohabitent avec des aspects de notre personnalité qui peuvent sembler inoffensifs ou même avantageux dans certaines circonstances, mais qui lorsqu’ils ne sont pas maitrisés peuvent causer de gros dégâts dans une carrière ou au sein d’une organisation peu importe le leadership inné ou acquis qu’on dégage.
Tributaire de l’incroyable et complexe alchimie de ce qu’Aristote appelait le Logos (qui touche la dimension rationnelle de l’auditoire), l’ethos (qui touche la dimension morale de l’auditoire) et le pathos (qui touche la dimension affective de l’auditoire), le leadership est aujourd’hui le must du management. Toutefois, le leader peut aussi dérailler en raison de ce que le Hogan Development Survey (HDS), référence en matière de psychologie du travail, a appelé le «côté obscurs» de la personnalité. Il s’agit en réalité de onze traits de caractère allant du nerveux au dévoué, qui poussés à l’extrême, s’apparentent aux troubles de la personnalité les plus communs.
Survolons ces points obscurs de la personnalité susceptible de déteindre sur le leadership :
- D’abord nous avons les traits de mise à l’écart que sont : le nerveux, le sceptique, le prudent, le timide, le nonchalant,
- Ensuite nous avons les traits séduisants que sont : l’audacieux, l’espiègle, l’original et l’imaginatif.
- Enfin nous avons les traits flatteurs que sont : l’assidu et le dévoué.
Le problème avec ces traits c’est que la plupart des gens n’arrive pas à les évaluer surtout quand ils gagnent du pouvoir et grimpent les échelons.
En effet, certains perçoivent l’avancement de leur carrière comme une approbation de leur mauvaise conduite ou un encouragement. Il est ressorti d’une analyse des données de 4372 employés à travers 256 professions, que les traits de mise à l’écart, cité supra, avaient constamment un impact négatif sur les comportements, sur le leadership, sur les prises de décisions et sur leur compétences. Se traduisant ainsi par des indices de performance et des évaluations médiocres.
De façon pratique, l’assiduité est un trait qui aide à être méticuleux, à faire de son mieux pour produire un travail de qualité mais poussé à l’extrême elle se mue en une procrastination ou en un perfectionnisme maladif. L’espiègle lui prend des risques et recherches les sensations fortes mais sous pression il peut détruire une organisation à cause d’une seule décision impulsive. Un nerveux quant à lui peut anéantir sa carrière à cause d’un accès de rage. Tandis qu’un audacieux aura la manie d’être parfois arrogant ou pompeux.
Notre propos n’est pas d’annihiler ces traits de caractères. Loin s’en faut ! Un manager placide, extrêmement calme, à la voix posée peut paraitre ennuyeux ou terne. La clé c’est juste de gérer les traits sombres de son caractère, et de les optimiser en fonction des circonstances. Car à la fin le meilleur résultat n’est ni le plus bas, encore moins le plus élevé, mais entre ces deux extrêmes.
Au regard de ce qui précède, on peut dire, sans risque de nous tromper, que la réussite de ceux qui sont choisis de façon discrétionnaire par le PR, n’est fille d’aucun diplôme. Le breveté, le bachelier, le licencier, le maitrisard ainsi que le docteur peuvent faire d’excellent résultat. Le plus important c’est cette flamme qui jaillit en chacun d’eux pour les pousser à être jour après jour la meilleure version d’eux-mêmes sur le plan des compétences et de la gestion sobre et vertueuse. Ce qui se traduira fatalement par un choix judicieux sur l’entourage et les hommes de confiance. Au-delà, leur action quotidienne peut reposer sur ces trois piliers : la rigueur, l’éthique et l’humilité.
Insa CAMARA
Expert Rh
Doctorant en Droit