Le candidat malheureux et ancien Premier ministre, Amadou Bâ, est rentré au bercail. Ce, après un voyage «sabbatique» de plus d’un mois qui l’aurait mené en Arabie Saoudite, pour les besoins du «petit pèlerinage» (Oumra), et en France. Une poignée d’aficionados ont tenu à l’accueillir à l’aéroport pour lui témoigner fidélité et loyauté. Dans la foulée, il était annoncé, à en croire un de ses lieutenants, Pape Amadou Sarr, ancien patron de la Der/Fj, une conférence de presse de Amadou Bâ, «dans la semaine», c’est-à-dire la semaine passée. Seulement, jusque-là, le candidat arrivé deuxième à la dernière Présidentielle garde le silence sur ses intentions. En tout état de cause, d’ici à la prochaine présidentielle à ce qu’il veuille bien sortir de son mutisme, Amadou Bâ, fort de ses 35,79 %, juste derrière le Président Bassirou Diomaye Faye (54,28 %), auréolé du titre de chef de l’opposition, devra surmonter maints obstacles pour que ce costume ne soit pas ample sur ses épaules. Le premier obstacle de Amadou Bâ c’est…Amadou Bâ, lui-même. Difficile à penser, mais il devra se battre contre lui-même pour se frayer un passage dans le difficile chemin du pouvoir. Il doit casser les codes et montrer aux mauvaises langues qu’il sait et peut faire reculer les barrières. Quelques semaines après sa désignation, des voix s’étaient élevées, dans son propre camp, pour critiquer la manière dont l’ex-candidat de Benno voulait driver sa campagne. «Il commence à susciter de l’inquiétude dans nos rangs. C’est profond ce que je vous dis. Moi, je suis à 100 % derrière Amadou Ba depuis longtemps. C’est un homme pétri de qualités. Mais il ne fait pas assez. Et si ça continue comme ça, l’opposition bien organisée peut nous battre aux prochaines présidentielles. Et je vous le dis en toute honnêteté», alertait Souleymane Jules Diop au Grand Jury de la Rfm. Qui ajouta, plus tranchant : «Je le trouve amorphe. Je trouve qu’il ne montre pas assez aux Sénégalais, aux gens de sa majorité, qu’il a les épaules, qu’il a l’étoffe. Il ne le fait pas assez, il doit se bouger, il doit aller vers les gens, il doit rassurer la majorité. À un moment donné, il faut vous assumer.» De tels traits de caractère pouvaient se justifier à l’époque. Parce que Bâ était encore Premier ministre. Et, en tant que tel, il avait des tâches herculéennes à gérer. S’y ajoute qu’il avait, au-dessus de sa tête, un président de la République et de Benno qui, comme le pensent beaucoup de gens, l’avait choisi par défaut. Aujourd’hui, il n’est plus Premier ministre. Son mentor n’est plus président de la République. Bâ a donc les coudées franches pour s’assumer et montrer qu’il en veut. Dans l’Apr, dans Benno et au-delà, il doit rassurer ceux qui rêvent d’un leader qui pourrait créer une dynamique alternative aux prochaines échéances.
L’autre obstacle de Bâ, c’est l’Apr, elle-même. C’est un euphémisme de dire qu’il n’y compte pas que des amis. La preuve, sa désignation a provoqué trois candidatures issues des rangs de ce parti. Il s’agit de Aly Ngouille Ndiaye qui a démissionné du gouvernement le jour même de sa cooptation, feu Mahammad Boune Abdallah Dionne et Mame Boye Diao. Les autres ont croisé les bras, le regardant aller au charbon. Alors qu’il avait (au moins théoriquement) les pleins pouvoirs du chef d’alors, la contestation de sa candidature était des plus vives. L’on se demande ce qu’il en sera, dans l’Apr, maintenant que les moyens légaux du pouvoir sont passés de l’autre côté du mur.
Un autre obstacle et pas des moindres, c’est Macky Sall, himself. Le retraité de luxe qui passe son temps entre son manoir de Marrakech, Paris où se trouve son nouvel employeur, Emmanuel Macron, et Washington, Vienne ou Berlin, entre autres grandes capitales du monde, n’a pas dit son dernier mot. Mieux, il a réaffirmé son Opa sur son parti dont il a demandé aux responsables de faire une évaluation de la dernière Présidentielle et de remobiliser les troupes. En attendant, il a confié les clés de la maison beige-marron à Amadou Mame Diop, Président de l’Assemblée nationale. Des rumeurs disent même qu’il pense à Abdoulaye Daouda Diallo pour les futures perspectives électorales. Coïncidence ou pas, le 2 avril, juste après la passation de pouvoir au palais de la République, ces deux qui dirigent encore des institutions de la République l’avaient accompagné jusqu’au Maroc avant de revenir participer, le 4 avril, à la cérémonie de levée des couleurs, la première sous l’ère Diomaye Faye.
On le voit donc, les adversaires immédiats de Amadou Bâ, ce n’est ni Diomaye ni Sonko mais bien lui-même, les responsables de son parti, Macky Sall, en tête. Il doit, par conséquent, faire sienne la sagesse de Voltaire : «Mon Dieu, préservez-moi de mes amis ; mes ennemis, je m’en charge.» Et sauter le pas. Va-t-il rester dans l’Apr-Benno et y engager la bataille du leadership ? Choisira-t-il de creuser son propre sillon en laissant à Macky et ses ouailles leur parti, prenant (enfin !) son destin en main ? L’avenir proche le dira ?
Par Ibrahima ANNE