Le mercredi 1er mai, les Thiessois ont assisté, éberlués, à une descente du nouveau président de la République, Bassirou Diomaye Faye, à la tête d’une longue file de véhicules sur le site dit Mbour 4. Objectif de cette visite dite «inopinée» : vérifier l’ampleur des dégâts causés par la prédation foncière, notamment des pontes du régime défait. Pour une visite dite «inopinée», le successeur de Macky Sall était quand-même bien accompagné. Le site internet de la Présidence nous apprend que le président de la République était accompagné du maire de la Ville de Thiès, des maires des communes de Thiès Est et Thiès Ouest, de quatre ministres, de plusieurs directeurs centraux, du gouverneur et de membres de l’administration de la région et du département de Thiès. En soi, ce n’est point une mauvaise chose qu’un Président nouvellement installé cherche à se faire, par lui-même, une religion sur chaque secteur de la vie nationale. Ce qui fait sourire, c’est la méthode utilisée qui frise le m’as-tu vu. Le Président Faye n’a pas besoin de mobiliser tout ce beau monde, de gaspiller des hectolitres de carburant -au moment où on parle de rationalisation des dépenses publiques !-, de réquisitionner la Rts pour si peu. Il eut demandé un rapport détaillé de cette affaire que les services préposés à la tâche le lui auraient transmis dans les jours ou semaines qui suivent. Sans tambour ni trompette. Mais, on a l’impression que les nouveaux gouvernants ont du mal à se séparer de ces tambours et trompettes, à se défaire des mauvaises habitudes des réseaux sociaux. Gouverner un pays, c’est gouverner du réel. Ce n’est pas du virtuel. Ce ne sont ni des clics, ni des likes. C’est gérer des femmes et des hommes. Un pays, ce n’est ni facebook ni twitter où les balayeurs de Macky Sall et de son régime ont démontré leurs états de service.
Pendant qu’on est dans cet excès de com’, parlons de cette propension de certains nouveaux ministres à vouloir tout filmer avec leurs smartphones. Etre ministre, c’est obéir à un protocole réglé au millimètre près ; c’est un dress-code ; c’est une manière de se comporter en public. Ce que l’on peut se permettre en étant simple citoyen, on ne le peut plus, revêtu d’un titre officiel. A François Hollande qui se réclamait «Président normal» à l’opposé de la gouvernance bling-bling de Nicolas Sarkozy, d’aucuns avaient fait remarquer qu’un président de la République ne peut être normal. Pour les paraphraser, nous dirons qu’un ministre de la République n’a pas vocation à être ordinaire au point de se singulariser avec des prises de vues à tout-va avec son téléphone portable.
L’histoire raconte que Senghor avait «dressé» ses ministres de sorte qu’ils ne parlaient pas n’importe comment et n’importe où, ne s’habillaient pas comme ils voulaient, ne mangeaient pas comme n’importe quel cocher dans n’importe quelle gargote. Ils étaient tenus à un code vestimentaire et langagier strict. C’est sous le magistère de son successeur, Abdou Diouf, qu’on a commencé à voir des fonctionnaires s’habiller en boubou traditionnel, notamment le vendredi. Sous Wade, les vannes du je m’en foutisme ont été grandes ouvertes. Nous avons eu vent d’un ministre à qui une serveuse d’hôtel avait bloqué la main parce que, justement, le plat qu’il convoitait ne lui était pas destiné. Sous le magistère des libéraux, il n’était pas rare, dans les cérémonies de réception des ambassades, de voir des ministres de la République déambuler dans le public avec leurs plats remplis de victuailles. Sous le même règne, dans leur travail, des ministres nouvellement nommés, face à des collaborateurs impuissants, laxistes ou qui voulaient les envoyer au casse-pipe, ont signé des arrêtés, exemples de tout ce qu’il ne faut pas faire en rédaction administrative. Des actes administratifs qui finiront dans les salles de travaux pratiques de l’Ena où ils continuent à faire sourire.
Ibrahima ANNE