Alors que les coupables des personnes décédées lors des manifestations politiques, n’ont toujours pas été identifiés, trois autres Sénégalais sont venus rallonger la liste des victimes de répressions des forces de défense et de sécurité. Les autorités judiciaires disent avoir ouvert des enquêtes pour certains cas, mais qui risquent de tomber, encore une fois, dans l’oubli.
Les cadavres s’empilent sous le régime de Macky Sall. Le report forcé de l’élection présidentielle, initialement et constitutionnellement prévu le 25 février 2024, a réveillé les démons de la violence. Les manifestations qui risquent de ne pas s’estomper de sitôt, laissent sur le chemin, des morts.
Samedi, à Ziguinchor, un lycéen de 19 ans est mort des suites de ses blessures reçues lors d’affrontements entre forces de l’ordre et manifestants. A Dakar, Modou Guèye, commerçant de 23 ans est mort, selon le médecin légiste de l’Hôpital principal de Dakar de «traumatisme thoraco-abdominal par arme à feu avec éclatement du foie ayant entrainé un choc hémorragique…». Des témoins indiquent avoir vu un gendarme tiré à bout portant sur Modou Guèye. A Saint-Louis, Alpha Yéro Tounkara, étudiant en licence de Géographie a perdu la vie au moment de son transfert de l’Université Gaston Berger à l’hôpital de Saint-Louis. Il aurait reçu une balle tirée par les forces de l’ordre.
Donc, en l’espace de 48 heures, trois personnes ont été tuées depuis le report de l’élection présidentielle, le 3 février dernier.
Sidiki Kaba donne le verdict avant le début de l’enquête
En ce qui concerne les circonstances de la mort de l’étudiant de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, le procureur de la République a, dans les minutes ayant suivi l’annonce du décès, indiqué l’ouverture d’une enquête. C’est toujours la même procédure judiciaire qui est utilisée à chaque fois qu’une personne tombe sur le champ des manifestations depuis mars 2021. Un communiqué du procureur, et quelques jours plus tard, qui tombe dans l’oubli, malgré la soif de justice des familles. Et le cas de ces trois personnes décédées depuis vendredi, risque de subir le même sort. Dans la mesure où, le ministre de l’Intérieur, Sidiki Kaba n’a même pas attendu le début de l’enquête ou d’un procès s’il y en aura, pour donner un verdict. «Les forces de défense et de sécurité ne sont pas intervenues dans le Campus universitaire où le décès (Alpha Yéro Tounkara) est survenu pour y maintenir l’ordre», a réagi M. Kaba. A y voir de plus près, c’est un non lieu qui se préciserait dans cette affaire. Ce qui ne peut pas être une surprise dans la mesure où de nombreuses enquêtes à Ziguinchor, Dakar, Kolda, entre autres régions, pour élucider des cas de décès liés aux manifestations politiques depuis mars 2021, ont souvent été annoncées, mais ne sont, souvent, pas allées plus loin.
La même rengaine
Rien qu’en mars 2021, 14 personnes avaient perdu la vie dans des manifestations liées à l’affaire opposant le leader de Pastef, Ousmane Sonko à Adji Sarr, une ancienne employée de salon de beauté. L’Ong Amnesty International avait décompté 23 morts dans les troubles politico-judiciaires ayant secoué le Sénégal du 1er au 3 juin.
En tout cas, en avril 2021, lors d’une conférence de presse, le gouvernement, par le biais de Sidiki Kaba, à l’époque ministre des Forces armées, avait annoncé l’ouverture d’une commission d’enquête pour établir les circonstances des incidents de mars 2021, dans l’objectif de situer les responsabilités et le cas échéant sanctionner les coupables. Mais aucune information n’a été donnée sur la mise en place de cette commission d’enquête. Et au mois de décembre 2021, le président de la République Macky Sall annonçait qu’elle n’était plus à l’ordre du jour, et qu’une procédure judiciaire avec des enquêtes sur ces incidents était en cours. «La commission d’enquête est mise en place, nous avons engagé une procédure judiciaire interne, avec des enquêtes internes, elle attendra que l’enquête nationale se fasse et que les conclusions soient connues», avait dit Macky Sall en décembre 2021. Depuis lors, d’autres morts se sont ajoutées aux 14 victimes de mars 2021, sous le régime de Macky Sall. Jusqu’à présent, aucun coupable n’a été désigné. Des familles endeuillées continuent de réclamer justice, comme celles de l’adjudant-chef Didier Badji, en service à l’Inspection générale d’Etat et sergent Fulbert Sambou, de la direction des renseignements, dont le mystère sur les circonstances de leur disparition reste entier.
Baba MBALLO