A l’instar des différents segments de la société, les juges, sur fond d’indignation qui frise la rébellion, expriment ouvertement leur désaccord avec le pouvoir à propos des accusations de corruption portées contre deux membres du Conseil constitutionnel et le report de la présidentielle.
Le rapport entre le régime de Macky et la magistrature n’est plus au beau fixe. Les accusations de corruption et de conflits d’intérêts contre deux juges du Conseil constitutionnel, en l’occurrence Cheikh Ahmed Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye, auxquelles est venu s’ajouter le report de la présidentielle considéré comme une violation de la Constitution, semblent avoir mis en colère les magistrats. Même s’ils ne le disent pas ouvertement, leur indignation et la réplique du juge Youssoupha Diallo au ministre Ismaïla Madior Fall font penser à une révolte. «En dépit de son droit de réserve, le magistrat peut, comme l’y autorise l’article 11 de son Statut, traiter dans les médias des sujets d’ordre professionnel ou technique», dit-il dans une contribution intitulée «Réponse au Pr Ismaïla Madior Fall: Respecter de la séparation des pouvoirs!»
Dans sa missive, après le rappel des différentes sorties du ministre des Affaires étrangères sur le report de la présidentielle, Youssoupha Diallo estime que Ismaïla Madior Fall, étant membre du gouvernement actuel, du pouvoir exécutif, devrait s’abstenir de prendre position dès lors que le Conseil constitutionnel pourrait être saisi de recours contre cette loi. Cette démarche publique, soutient l’avocat général près la Cour d’appel de Dakar, empreinte de certitude dans son propos affirmatif, viole la séparation des pouvoirs proclamée et garantie par la Constitution du Sénégal avec son corollaire, l’indépendance de la justice. «Toute déclaration tendancieuse de nature à porter atteinte, à influencer ou à gêner l’office du juge est à proscrire. Du respect de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs dépendent la perception positive ou négative du citoyen de sa justice et sa confiance dans les Institutions de la République», recommande le magistrat.
Ces précisions de Youssoupha Diallo sont précédées par la riposte de l’Union des magistrats sénégalais (Ums). Dans une note de soutien, son président Ousmane Chimère Diouf avait invité les membres à faire bloc derrière les juges constitutionnels Cheikh Ahmed Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye. Le bureau avait condamné «une démarche attentatoire au principe de la séparation des pouvoirs et constitutive d’un précédent dangereux pour l’indépendance de la Justice». Cheikh Ndiaye a déposé une plainte au parquet de Dakar pour tirer l’affaire au clair. Dans la plainte, Cheikh Ndiaye poursuit les auteurs et toute personne qui serait impliquée dans les accusations portées à son encontre.
Salif KA