Issu d’une grande famille religieuse sénégalaise, dont la voie est basée sur la Tijaniya, El Hadji Sidy Lamine Niasse est plus qu’un guide religieux. Comme tous les fils de cheikh, il a bien sûr fait ses humanités au foyer, auprès de son vénéré père, Khalifa Niasse, fils et premier khalife de Seydi Abdoulaye, fondateur de la communauté niassène de Léona, à Kaolack (région centre).
Second fils de sa mère d’origine mauritanienne, une descendante du Prophète Mohamed (PSL), Sidy Lamine Niasse est né, le 15 août 1950, d’une fratrie de trois membres, du côté maternel, avec un frère, Ahmed Khalifa, et une sœur, Salma, qui vit en Europe depuis de nombreuses années.
Après la maîtrise du Saint Coran, des Hadiths et autres exégètes qui fondent la religion musulmane, auprès de son père et guide spirituel, Khalifa Ibn Abdoulaye Niasse, le jeune Sidy Lamine est confié à son oncle paternel, Cheikh Ibrahim Niasse, plus connu sous le sobriquet de Baye, qui lui conseillera, plus tard, d’aller suivre ses études en théologie et autres sciences islamiques en terre égyptienne. C’est là que lui est venue la passion pour la presse, car au pays des Pharaons, le jeune Kaolackois s’est spécialisé en communication sociale.
Naturellement, la communication ne peut se faire sans ce lien ombilical avec cette autre science, la politique. Aussi, dès son retour au pays, le fils de Cheikhoul Khalifa s’est-il engagé dans la lutte pour l’indépendance, sans vraiment s’impliquer dans la vie active des formations politiques à l’époque en lice. Son combat était plutôt idéologique et plus proche des partis de gauche, même si dans la pensée, il a toujours renié le marxisme-léninisme en vogue, en son temps, en raison de ses fortes convictions religieuses.
Le combat pour la liberté de pensée, ce n’est pas nouveau pour le fils de Cheikhoul Khalifa, qui eut ses premières démêlées avec le premier président de la République, Léopold Sédar Senghor, qui n’hésita pas à le jeter en prison, à cause certainement de sa grande implication dans la crise de 1968, qui avait emporté le Général De Gaulle et fortement menacé le régime senghorien. Sidy était alors jeune enseignant arabe.
Sa proximité avec le monde arabe, à un moment où la lutte pour la libération de la Palestine, sous l’égide du combattant suprême, Yasser Arafat, et son besoin inaliénable de poursuivre son combat politique à travers sa plume, mais surtout de combat pour la libération de l’Islam, le poussèrent en fonder, à la fin des années 70, un magazine mensuel d’informations générales dénommé “Walfadjri”.
En même temps et parallèlement à “Walfadjri”, son défunt ami, Abdou Latif Guèye, fonda le magazine “Jamra”, qui menait quasiment le même combat, mais davantage tourné vers la lutte contre la dégradation des mœurs (prostitution, homosexualité, maçonnerie). Le combat n’en fut que plus “mortel” pour ce duo, qui subit alors toutes sortes de persécutions, d’intimidations et de menaces.
Les geôles du nouveau président de la République Abdou Diouf, porté au pouvoir par la grâce d’un Article 35 de la Constitution taillé à sa mesure, après la surprenante démission de Senghor, en décembre 1980, s’ouvrirent alors pour celui que l’on avait tôt fait de surnommer le “Mollah” de Kaolack, en référence aux combattants iraniens de l’Islam qui ont accompagné l’Ayatollah Ruhullah Khomeiny, dans sa lutte révolutionnaire contre le Shah Mohamed Résa Pahlavi.
Mais cette incarcération ne fit qu’attiser la passion de cet homme qui avait définitivement choisi sa voie : “Mener le combat de la liberté des peuples à travers le presse“. Aussi, “Walfadjri” (magazine) allait-il passer hebdomadaire, en 1984. Suite à la fermeture du quotidien privé “Takussan”, fondé par Me Abdoulaye Wade du PDS, Sidy avait récupéré une bonne partie de la rédaction dudit journal avec, entre autres, Abdourahmane Camara, Tidiane Kassé, Jean Meïssa Diop, Ousseynou Guèye, rien que des produits du Cesti, pour rejoindre sur le cercle des hebdomadaires comme “le Politicien” de Mame Less Dia, “Promotion” de Boubacar Diop et “le Cafard libéré” de Laye Bamba Diallo.
Quelques années plus tard, certains de ces organes disparaîtront (Promotion, le Politicien), tandis qu’en arriveront d’autres comme “Sud Hebdo” et “le Témoin”. En 1990 d’ailleurs, c’est à la tête d’un groupe appelé “les quatre mousquetaires” – pour désigner les quatre hebdomadaires de la presse privée sénégalaise (Sud, Walf, Cafard et Témoin) – que le combat fut mené pour un soutien plus efficient de l’Etat à la presse privée, ce qui est devenu, de nos jours, la subvention à la presse.
L’obstination et l’acharnement de Sidy Lamine Niasse à mettre en place une presse forte, crédible et indépendante, sans être nihiliste, l’amenèrent à élargir, chaque jour, son rayon d’action. Ainsi, à la faveur de la Présidentielle de 1993, “Sud Hebdo” devenait “Sud au Quotidien”, avant de passer définitivement quotidien. Naturellement, le second mousquetaire (Walf) allait suivre dès l’année suivante.
Plus tard, le groupe “Walfadjri” s’élargit d’une station de radio FM, qui fait un carton dès sa première année, grâce à une ligne éditoriale libre, engagée et où l’auditeur a son mot à dire, presque sans aucune censure. Pour démarrer cette radio aussi, à l’image de ce qu’il avait fait pour “Walf Quotidien”, Sidy Lamine fait encore confiance à des professionnels aguerris, comme Mbaye Sidy Mbaye et Mame Less Camara, d’anciens agents de la Radiodiffusion sénégalaise (RTS).
Magnat de la presse
Depuis lors, le groupe n’a fait que grandir. Après Walf Quotidien, Walf FM, la télévision “Walf TV” a vu le jour, puis deux autres quotidiens, “Walf Grand-Place” et “Walf Sports”, sans parler des deux stations radio FM, l’une consacrée à la religion, l’autre à la musique. Ainsi se présentait l’empire du groupe de Sidy Lamine Niasse, jusqu’en 2014, quand il a décidé de libérer les quotidiens “Grand-Place” et “Walf Sports”, qu’il céda aux deux rédactions.
Grand magnat de la presse, Sidy Lamine Niasse est aussi resté un prédicateur et islamologue averti. Ses prêches, surtout durant ce mois béni de Ramadan, font monter en flèche l’audimat de ses chaînes de radio et de sa télé. Dans la formation d’agents de la presse sénégalaise, le groupe Walfadjri peut être considéré, à juste titre, comme une grande école, une pépinière qui produit les meilleurs sur le marché de l’emploi. Jetez un coup d’œil dans les personnels des organes de presse sénégalais, surtout du côté des télévisions, vous pourrez ainsi mesurer l’ampleur du pillage dont son groupe a été victime.
D’ailleurs, certaines chaînes de télévision, au moment de leur lancement, ont simplement garé un bus devant le portail de Walf pour embarquer tous ceux qui en sortaient. Qu’il s’agisse de la TFM, de Sen TV et même de la RTS, pour ne citer que les plus importantes. Sans parler de ceux qui ont rejoint les Ministères et autres organisations internationales, comme chargé de communication ou créé leur propre affaire.
Tous à l’école de Walf
Parmi les patrons de presse et autres chefs de services, on peut citer Bougane Guèye Dany (Sen TV), Mamadou Ibra Kane (GFM), Alassane Samba Diop (RFM), Abou Abel Thiam (ARTP), El Hadj Assane Guèye (RFM), Fabrice Nguéma (Sen TV), Adama Kandé (2STV), Maïmouna Ndir, Oumar Gningue (RTS), Yoro Dia (Consultant), Souleymane Jules Diop (ministre), Souleymane Niang (ancien DG Océan FM), Aïssatou Diop Fall (TFM), Ndèye Astou Guèye (Sen TV), mais aussi le régiment , constitué de Mamadou Ndiaye Doss, Lamine Samba, Mamadou Ndoye Bane, Pape Cheikh Sylla, Papa Ngagne Ndiaye, Mamadou Bitèye, Arame Ndiaye, Thioro Mbar Ndiaye, etc., qui font aujourd’hui le bonheur d’autres chaînes de télé.
On ne peut, non plus, oublier le brillant et bruyant humoriste Samba Sine, communément appelé Kouthia, qui a fait considérablement grimper l’audience de la TFM avec son émission “Kouthia Show”. Celle-ci lui a valu d’ailleurs le titre d’Homme de l’Année 2015, décerné par votre quotidien préféré, Direct Info. Il est vrai que Kouthia n’a pas été débauché par une télé naissante, contrairement à nombre de gens qui ont quitté Walf. C’est sur des principes que la séparation a été acceptée, d’un commun accord et Kouthia est allé galérer à la Radio Futurs Médias (RFM), avant de voir son étoile briller dans le ciel des Almadies, d’où émet la TFM.
Pape Diogoye Faye, Dg de Direct Info à propos de Sidy Lamine et du groupe Walfadjri, nous disait sur un ton de plaisanterie: “Si, dans la presse, on payait des droits de transfert, comme dans le football, Sidy aurait pu ne plus travailler et vivre uniquement du produit de la vente de ses joueurs au mercato de la presse sénégalaise et serait milliardaire”, pour dire combien de journalistes, animateurs, techniciens et autres agents ont quitté le groupe qui, chaque fois, a su compter sur ses ressources internes pour rester au TOP.
Un visionnaire politique
Sur le plan politique aussi, Sidy Lamine a mené le même combat pour la liberté d’exercice des Droits humains, comme il l’a fait pour ceux de la presse. D’ailleurs, certains observateurs ne se gênent pas pour dire qu’il “vaut mieux avoir Sidy avec soi que contre soi, à cause de sa capacité de nuisance“. Car Sidy Lamine Niasse sait accompagner, si la politique instituée est en phase avec ses idéaux, mais il sait également engager la lutte, dès lors que sa conscience lui indique une autre voie.
Sous les régimes des présidents Senghor et Diouf, surtout avec ce dernier, l’homme a connu des hauts et des bas avec des séjours carcéraux et des nominations aux fonctions de Conseiller technique. En raison de sa connaissance et de ses entrées dans le monde arabe, il a rendu d’inestimables services au gouvernement du Sénégal, sous le magistère du Président Diouf, malgré quelques brouilles épisodiques.
Avec Me Abdoulaye Wade aussi, ce fut une ère de ni paix, ni guerre. Tantôt proche des idées du professeur agrégé de Droit, tantôt foncièrement contre la démarche de Wade et ses proches, Sidy Lamine n’a certes jamais été emprisonné sous le régime libéral, mais il a toutefois vécu de nombreuses brimades, comme ces incendies des locaux de Walf, tandis imputés au régime, tantôt à des mouvements sociaux (pour ne pas dire religieux).
D’ailleurs, dans sa lutte pour la conquête des libertés individuelles et collectives, le “Mollah” de Sacré-Cœur a initié et organisé un meeting monstre à la Place de l’Indépendance, à quelques encablures du Palais de la République, le 19 mars 2013, correspondant à la date de l’élection du président Wade, en 2000, pour protester contre la politique de ce dernier, qu’il qualifiait d’exclusive.
La flèche décochée contre le gouvernement par le Président directeur du groupe Walfadjri, jeudi 03 mars 2011, sur Walf TV avait alors fait les médias. «Le dirigeants de ce pays sont pires que Adolph Hitler», avait déclaré le “Mollah” de Sacré-Cœur, avant d’appeler à la révolution, le 19 mars 2013. Pourquoi une révolution ?
Toujours sous le magistère de Me Wade, comme sous son successeur d’ailleurs, les brimades financières n’ont pas manqué, jusque pour contraindre Sidy au silence. D’abord le Fisc, puis le Bureau sénégalais des Droits d’auteur (Bsda), l’ARTP, récemment, le jour même du référendum du 20 mars derniers. Mais tout cela a fini par se tasser car, à chaque fois, le groupe Walf a eu le peuple sénégalais comme bouclier, pour sauver la liberté de la presse d’une classe politique sans aucune tolérance.
Les prises de positions de Sidy Lamine Niasse contre les forces de l’Occident sont sans ménagement. Récemment, après avoir condamné les attaques terroristes contre la France, Sidy Lamine Niasse s’est dit surpris par ce qui s’est passé. Faisant un rappel historique de tous les fronts sur lesquels le gouvernement français s’est engagé, M. Niass ne s’est pas empêché d’affirmer que «la France est en train de payer au prix fort pour son engagement dans la violence dans le monde».
Une manière de dire que toutes ces attaques se justifient par l’engagement de la France en Lybie, au Mali, en Syrie, au Cameroun, Nigéria et en Irak. «Il reste clair que la France est en guerre», avait-il d’emblée indiqué, non sans préciser que ce pays a envoyé ses troupes partout dans le monde. Loin d’être surpris par ce qui s’est passé, Sidy Lamine Niass avait encore fait savoir que «la France porte préjudice à des pays tiers, la France diabolise et traite certains de ses citoyens de manière différente et discriminatoire avec des discours qui ne sont pas loin du nazisme».
Des Français aux côtés de Daesh
Ce qui semble être beaucoup plus intrigant dans tout ça, «c’est que ce sont précisément des Français qui conseillent et organisent le même Etat Islamique (DAESH) que le gouvernement français accuse». Se référant aux discours musclés du président français, François Hollande, le PDG du groupe Walfadjri est d’avis que ces propos guerriers ne devraient prospérer. Parce que, note-il, tous les peuples sont d’égale dignité. «Après l’émotion, la France doit revenir à la raison en posant le problème de la véritable intégration des citoyens français musulmans, arrêter la discrimination et de diabolisation qu’elle fait de l’Islam et des musulmans. Parce que l’Etat Islamique n’a rien avoir avec le vrai Islam», a-t-il déclaré.
«Personne n’encourage le terrorisme et personne ne souhaite ce qui leur arrive, mais la France doit comprendre que la frustration et les inégalités ne doivent plus prospérer dans son pays et au-delà», dit-il, non sans indiquer qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre DAESH et Islam. «Le monde islamique a trop souffert. La Libye n’existe plus et continue de souffrir à cause de la France. La Syrie souffre depuis 5 ans à cause de la France. Les anciennes colonies sont exploitées d’une manière injuste par la France», regrette Sidy Lamine Niasse.
Avec Directinfo