Ecrire n’est pas chose facile. Et le paradoxe, c’est que Moustapha Diop est un journaliste formé dans le moule de la presse écrite. Walf Editions, le dernier né des supports du groupe, lui met le pied à l’étrier. Et lui permet de mettre en rayons un ouvrage de 121 pages, condensé d’expériences, d’anecdotes, d’analyses factuelles et de perspectives dont Walf Quotidien vous livre, en exclusivité, les bonnes feuilles.
Bac en poche, galère à l’UCAD
Le Bac en poche, j’arrive à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) où je m’inscris au Département de lettres modernes. A l’UCAD, je découvre tout un monde : de grands bâtiments, des milliers d’étudiants. Je ne connaissais personne, et cette ambiance, je ne l’avais pas du tout aimée. Et, franchement, je dois reconnaitre que je n’ai pas pu m’adapter à cet environnement. Donc, j’ai passé quelques mois au Département de lettres modernes. Auparavant, après obtention de mon Bac, je suis allé voir mon grand-père et il m’a dit : «Dis-toi bien que tu n’as pas le temps de faire de longues études. Il faut vite trouver du travail et aider ta mère.» Parce que je suis né dans une famille d’émigrés. Mon père a fait toute sa vie en Europe, mes oncles et cousins aussi. Mon choix, c’était soit d’être émigré comme tout le monde ou bien faire une formation et commencer à travailler. J’en ai parlé avec mon père qui me dit qu’il n’est pas question que son fils devienne émigré, parce que ce qu’il a vu en Europe, il ne voulait pas de cette vie pour son fils. C’est l’occasion, pour moi, de rendre un hommage mérité aux émigrés qui contribuent pour beaucoup au progrès du Sénégal.
Selon les données de la BCEAO, l’apport de la diaspora sénégalaise dans le financement externe représente près de 1,5 milliard d’euros (900 milliards de francs CFA, source : talent2africa.com).Si l’on avait une politique bien structurée, cette contribution aurait pu développer le pays.
Riche des conseils de mon grand-père, je décide de suivre une formation professionnelle. Alors, j’opte naturellement pour le journalisme qui a toujours été ma passion. Et je dis souvent qu’en faisant du journalisme, je me suis réalisé un peu. Parce qu’à l’école primaire ou au collège, je me souviens, mes amis m’appelaient Mamadou Malaye Diop (ancien présentateur-vedette à la télévision nationale). Je ne ratais jamais son 20 heures à la RTS. C’est quelqu’un que j’adore. Donc, j’avais le choix entre tenter le concours du CESTI, où l’on n’était pas sûr de réussir, et une école privée. Alassane Cissé, journaliste à Sud Quotidien, qui fréquentait ma famille, me conseille alors de m’inscrire à l’ISSIC (Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication, appartenant au Groupe Sud Communication). Je ne voulais pas faire du journalisme sans formation. J’ai commencé la formation et il y a eu des élections législatives au Sénégal en 2001. Abdou Latif Coulibaly, un de nos formateurs, nous a dit que la radio Sud FM cherche des étudiants pour couvrir la campagne électorale. Je suis allé déposer une demande de stage. Au retour, je suis passé au journal Le Populaire pour voir Assane Diagne qui en était à l’époque le rédacteur en chef. Je lui ai parlé de ma demande de stage à Sud FM et il m’a dit : «Non, il faut d’abord venir apprendre à écrire avant de faire la radio ou la télé.» J’ai déposé une nouvelle demande de stage au journal Le Populaire. Et c’est Thierno Talla qui a reçu ma demande. C’est ainsi que j’ai intégré Le Populaire.
Entre-temps, Thierno Talla a démissionné parce qu’il ne s’entendait plus avec la direction du groupe Com’7. Je commence à travailler jusqu’à la fin des élections. Je leur dis que moi, j’étais juste venu pour ça ; je veux maintenant partir et poursuivre mes études, normalement. Moustapha Sow (devenu directeur de publication du Populaire) me propose de rester et il va me payer à partir de son salaire. Quelque temps après, il y a eu un conflit entre les actionnaires du groupe Com’7. C’était tellement compliqué cette histoire que finalement, Moustapha Sow est parti et il est remplacé par Yakham Mbaye (actuel DG du quotidien national Le Soleil). Un jour, alors que j’étais au Méridien Président (actuel King Fahd Palace) pour couvrir une activité politique, le nouveau directeur m’appelle pour me dire : «Toi, tu fais partie de nos meilleurs reporters, mais tu es inconnu au bataillon. Je regarde les registres, mais tu n’as pas de contrat.» Je lui explique ma situation. Il me propose un rendez-vous. Le même jour, il me signe un CDI (contrat à durée indéterminée) et me nomme chef des desks Politique & Économie. C’était vraiment une chance extraordinaire pour moi, parce que j’étais encore étudiant. Je faisais les cours le matin et l’après-midi, j’allais travailler.
Com’7 : La guerre des actionnaires
Je me souviens alors que moi, je rêvais d’être un bon journaliste dans une ambiance tranquille, un beau jour, on nous sort un conflit entre Youssou Ndour, Bara Tall et Cheikh Tall Dioum. À l’époque, selon les dires, Youssou Ndour et Cheikh Tall Dioum avaient vendu leurs actions à Bara Tall. Youssou Ndour avait vendu ses actions à Cheikh Tall Dioum pour une somme de 150 millions. Ce dernier a ensuite cédé ses parts à Bara Tall. Après un moment, ils reviennent pour reprendre le groupe. Le musicien dira qu’il a bien reçu 150 millions, mais que cette somme représente une partie d’une dette de 214 millions de francs qu’il lui avait consentie. C’est donc une vraie partie de poker où chaque partie tente de faire croire qu’elle a les bonnes cartes en main. D’ailleurs, c’est la première fois que je voyais Bara Tall. Il est venu en réunion pour nous dire de nous battre afin de protéger notre gagne-pain. On a décidé de mener le combat pour défendre notre outil de travail qu’était Le Populaire. On a mené le combat avec Yakham Mbaye qui était le commandant en chef et Racine Talla, actuel directeur général de la RTS, ancien directeur de 7 FM. Ce conflit m’a beaucoup marqué, parce que j’étais très jeune et je ne connaissais pas ce milieu.
La grande aventure Walf
L’expérience de Walf Grand’Place a tourné court. Et je crois que la meilleure explication est celle donnée par Sidy Lamine Niass lui-même. Ce qu’il voulait, c’est, après avoir fait Walf Quotidien pendant plusieurs années, créer un journal spécialisé, Walf Sports et ensuite le journal people Walf Grand’Place. Jean Meïssa Diop avait l’habitude de dire qu’après avoir fait du sérieux pendant plusieurs années à Walf Quotidien, Walf Grand-Place lui permettrait de rire un peu. Walf Grand’Place est né dans cet esprit : faire moins «sérieux» que Walf Quotidien.
Mais très vite, on s’est rendu compte qu’au lieu de faire un journal vraiment people, on faisait presque du tout. Ce qui faisait que la même actualité, tu pouvais l’avoir en même temps dans Walf Grand-Place et dans Walf Quotidien. Je pense que c’était une erreur de stratégie. Et Sidy Lamine Niass en a tiré cette conclusion : «Les gens ont tellement l’habitude de parler de Walf que, si tu leur proposes un journal de Walf, ils te disent trois en un.» C’est-à-dire, tu achètes n’importe lequel de ces deux quotidiens, tu as l’autre. Et au même prix ! Ce qui fait que les gens ne faisaient pas trop la différence entre Walf Grand-Place et Walf Quotidien.
Ça avait commencé à marcher au début, avec un tirage conséquent. Mais, très vite, on a dévié de la ligne de départ. Je pense que ce sont ces deux facteurs qui ont fait que l’expérience a tourné court.
Saut dans le milieu (i) magique de la télé
Ce qui est intéressant dans ma transition de la presse écrite vers la télévision, c’est que cela s’est fait en plusieurs étapes. Après l’expérience Grand-Place, j’avais pris la décision de quitter Walf. L’équation était très simple. C’est Jean Meïssa Diop qui m’avait fait venir à Walf. Alors, s’il décide de partir de Walf, je pars avec lui. Vers la fin de l’année, c’était un mois de décembre, j’étais en congé. Sidy Lamine m’a appelé et me dit : «Écoute, l’expérience Grand-Place, c’est fini. Je vais céder tout le matériel à Jean Meïssa et son équipe ; je vais leur céder le titre du journal et les accompagner. Toi, je veux que tu restes à Walf, parce que j’ai des projets pour toi et Ndèye Awa Lô (elle-même ancienne journaliste de Walf Grand’Place). Je veux que vous restiez.» Je lui ai répondu : «Mais Sidy ce n’est pas possible !» Parce que, pour moi, il n’était pas question que je reste à Walf sans Jean Meïssa. Alors, à la fin de mes congés, j’appelle l’administration de Walf pour demander comment cela va se passer, si je décide de partir. Ils m’ont dit : «Écoute, la majorité des employés de Walf Grand’Place ont des contrats à durée déterminée (CDD). S’ils partent avec Walf Grand’Place, ils seront indemnisés. Toi, par contre, tu as un contrat à durée indéterminée (CDI). Ce qui veut dire que si tu décides de partir, tu démissionnes. Et si tu démissionnes, tu n’auras droit à aucune indemnité.» Cela méritait réflexion. Car le salaire, au Sénégal, c’est pour toute la famille : femmes, enfants, cousins, cousines, etc. Après réflexion, je décide de reprendre le travail. Et Sidy m’a dit : «Considère que tu es membre de Walf Quotidien.»
Au début, je ne participais pas aux réunions de rédaction du journal. Je restais dans le bureau de Baba Mballo (actuel chef de desk Actualités de Walf Quotidien), attendant qu’on me donne des tâches à faire.
Après quelques mois à Walf Quotidien dans ce contexte, un jour, Sidy Lamine m’appelle et me dit : «J’avais demandé à Mame Anta Ndour et Betty Mboup de me faire le diagnostic de la radio : qu’est-ce qui marche et qu’est-ce qui ne marche pas. Voilà le résultat du travail qu’elles ont fait. Je te le confie et tu travailles avec elles sur un nouveau programme. Je ne cherche pas un rédacteur en chef, je veux un directeur pour la radio. Fais le travail et on verra.» Sidy, c’est comme ça, il ne te nomme pas, il te met à l’épreuve. J’ai commencé le travail avec Mame Anta et Betty.
Au début, c’était difficile. J’ai dit à Sidy que j’ai besoin d’un groupe de journalistes qui ne sont pas à la télé, mais qui sont exclusivement radio. Il me propose de prendre des étudiants et j’ai pris des étudiants d’une école qui était à côté. C’était les Assane Guèye, Aicha Diakhaté, Safiétou Cissé, qui était déjà dans la rédaction de Walf Quotidien, et d’autres dont j’ai oublié le nom. On a travaillé dans ces conditions jusqu’en 2016. Très vite, Dieu a mis sa main dans cette affaire. Parce qu’il y a eu des évènements qui se sont passés et qui nous ont permis de replacer la radio en un temps record et de nous donner nous-mêmes un nom. Vers la fin du mois de mai 2016, il y avait l’affaire Karim Wade. Il y a un bruit qui faisait le tour des rédactions en ces temps, faisant état d’une possible libération du fils du président Abdoulaye Wade dans les semaines qui suivraient. Un jour, je reçois un appel d’un avocat de Karim avec qui je discutais beaucoup sur cette affaire. Il me dit : «Il faut surveiller Rebeuss.» Je n’avais pas bien compris ce qu’il voulait dire. Il me dit : «Il se passe là-bas des choses dont nous, avocats, nous ne sommes pas au courant.» Au mois de juin, après le travail, j’étais rentré chez moi. J’étais sur ma natte de prière vers 00 h et je reçois un appel du correspondant de Walf TV à Touba, Mamadou Makhtar Sarr, qui me demande où je suis. «Chez moi», lui ai-je répondu. Il me dit : «Karim Wade sera libéré d’un moment à l’autre. Je suis comme ça dans une cérémonie religieuse à Touba. Et j’ai entendu des marabouts mbacké-mbacké dire que Serigne Moustapha Mbacké, fils ainé de Serigne Cheikh Sidy Moukhtar Mbacké (khalife général des mourides à l’époque) s’est rendu à Dakar pour rencontrer Karim Wade qui doit sortir de prison.»
C’était extraordinaire, car c’était déjà la nuit ! Alors, j’ai allumé la radio pour surveiller la concurrence. Et quand je suis tombé sur RFM, j’entends leur jingle qui annonce une édition spéciale. Et tout de suite, je me suis dit que l’information est vraie. Je sors de chez moi, je saute dans un taxi en direction de Walfadjri. Et dans le taxi, je demande au taximan de mettre la RFM. J’entends Alassane Samba Diop annoncer la libération de Karim Wade. Arrivé à la rédaction, journaliste de la presse écrite transféré à la radio, j’ai les machines devant moi, mais je ne sais pas comment les manier. J’appelle un technicien qui me dit qu’il est à Thiaroye. Je lui dis de prendre un taxi et de venir. À son arrivée, on démarre l’édition, mais il n’y avait presque personne à appeler, car la plupart étaient au lit et n’étaient pas au courant. On a maintenu l’antenne jusqu’au petit matin à 7 h. L’équipe de l’édition du matin, dirigée par Mame Anta Ndour, vient me remplacer. Je suis rentré chez moi pour dormir. À 15 h, je reviens. J’avais déjà perdu la voix. Je pense que c’est en ce moment que les gens se sont dits : ce Moustapha Diop, il était à la presse écrite, mais peut-être qu’il est fait pour la radio. Lorsque je suis revenu à l’antenne à 15 h, je reçois un autre appel de Mamadou Makhtar Sarr qui me dit qu’Idrissa Seck est à Touba. Je lui ai dit qu’il nous faut sa réaction sur la libération de Karim. Mais, Idy avait refusé de se prononcer sur l’affaire à Touba. Les journalistes l’ont poursuivi jusqu’à la sortie de la ville sainte pour l’interviewer. Quand on l’a eu au téléphone, c’est en ce moment qu’il a prononcé ceci : «Karim Wade est sorti de prison grâce à un deal international.»
Quelques jours plus tard, j’ai réussi à avoir un entretien exclusif avec le président Wade qui m’a appelé lui-même. Alors, quand tu fais ça, tu commences à devenir célèbre, les gens commencent à reconnaitre ton visage, car tu apparais à la télé, tu parles à la radio et tout. Mais moi, j’avais un système très simple. À l’époque, je prenais la ligne 23 de Dakar Dem Dikk à partir de son terminus aux Parcelles-Assainies. Je m’installais toujours derrière, je mets les écouteurs et je baisse la tête. L’affaire Karim Wade a été un déclic, parce que c’est un évènement auquel personne ne s’attendait. Quand j’ai eu l’information, pour moi, il était hors de question que je reste chez moi. Il fallait que je sorte pour la traiter. On a fait une édition spéciale qui a duré pratiquement 24 heures. C’était fabuleux, ces moments. Ce sont des évènements qui marquent un journaliste à jamais.
A suivre