Les magistrats n’aperçoivent que des éléphants blancs en ce qui concerne la politique sanitaire du Président Macky Sall. Ce dernier, visiblement en colère lors de la rentrée, hier, des cours et tribunaux, brandit un tableau peint en chiffres et lettres pour se défendre.
Les oreilles du chef de l’Etat Macky Sall ont dû siffler, hier à Dakar, lors de la rentrée des cours et tribunaux. Le magistrat El Hadji Mansour Faye, conseiller référendaire à la Cour suprême a fait un diagnostic sans complaisance du système sanitaire sénégalais. Ce dernier qui exposait sur : «La protection des usagers dans le système de santé publique», a d’emblée souligné qu’il «est inadmissible, au 21ème siècle, que des personnes décèdent par manque d’infrastructures hospitalières, d’équipement ou de personnel de santé qualifié et plus encore en raison de la mauvaise répartition de ces moyens humains et matériels sur le territoire». Me El Hadji Mansour Faye ajoute : «Des accidents médicaux ou liés au fonctionnement des structures sanitaires, individuels ou collectifs, souvent tragiques et toujours très médiatisés, se sont enchainés à une fréquence effrayante, occasionnant avec encore plus d’acuité des critiques relatives aux insuffisances de notre système de santé».
Depuis presque 2020, le système sanitaire sénégalais semble être la risée du monde. Si ce n’est pas une femme qui décède en couches, en voulant donner une vie, ce sont des nourrissons qui sont calcinés. Ou bien un bébé envoyé à la morgue, parce que supposé mort, alors qu’il ne l’était pas. Ces drames ont ému plus d’un, mettant au premier plan les infrastructures et le personnel de santé. Alors, le magistrat El Hadji Mansour Faye d’interroger: «Quels sont les instruments mis en œuvre pour assurer la protection des usagers ? Sont-ils efficaces ? Comment les améliorer ?». Même s’il reconnait la volonté du gouvernement d’étendre l’offre de services de santé, il déplore, cependant, le système d’entretien et de maintenance ou bien la répartition inégale des infrastructures sanitaires. «Les Eps de niveau supérieur et globalement les structures sanitaires équipées sont concentrées dans les villes au détriment des zones rurales. Ainsi, pour les habitants de certaines localités, rallier une structure de santé est un calvaire, tandis que le recours à l’expertise étrangère demeure une alternative réservée à une poignée de privilégiés qui ont les moyens ou la chance de bénéficier de la générosité publique, encore que ce soit peine perdue dans certaines situations d’urgence. L’évacuation sanitaire vers des destinations où une bonne partie de leurs spécialistes a été formée dans nos facultés est affligeante, mais pas autant que les décès avant d’atteindre le lieu des soins», lance le conseiller référendaire à la Cour suprême.
Le Président gêné…
Ce tableau sanitaire du magistrat El Hadji Mansour Faye a mis mal à l’aise Macky Sall. Le président est apparu gêné à certains passages du discours du magistrat. Pendant que le magistrat posait ses derniers coups de pinceau sur le tableau sanitaire sénégalais, Macky Sall était en train de chuchoter à l’oreille de son ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall. A un certain moment, Macky Sall s’est mordu les doigts, signe sans doute de son agacement. Et le magistrat d’accélérer, en indiquant que densifier et relever les plateaux techniques demeure une nécessité. D’autant plus, soutient-il, le Sénégal est encore loin d’atteindre le ratio personnel de santé par habitant et le nombre de médecins. «A cause du sous-effectif, la charge de travail supportée par le corps médical, est humainement insoutenable, et cela est source de beaucoup d’erreurs. A cet égard, l’on ne peut manquer de relever ce paradoxe saisissant. Beaucoup de médecins ou autres professionnels de la santé sont au chômage. Et si nos universités offrent des spécialisations dans divers domaines de la médecine, elles accueillent rarement des médecins sénégalais, qui hormis le peu qui bénéficie d’une bourse publique, sont contraints d’y renoncer faute de moyens», énumère-t-il. Non sans recommander des mesures incitatives pour encourager et motiver le déploiement de personnel dans les zones éloignées.
«Protéger l’usager… »
Ne se limitant pas en si bon chemin, le magistrat lance: «Imaginons un instant, la situation des insuffisants rénaux, et leurs proches, qui attendent qu’une place se libère pour être éligibles aux soins». Et que l’effectivité des offres de services et l’accessibilité géographique, dit-il, restent les principales barrières pour les détenteurs de la carte d’égalité des chances, sans oublier leur faible enrôlement dans les mutuelles de santé et les retards de remboursement des frais de prise en charge. «Protéger l’usager, c’est lui assurer la qualité et la sécurité des soins, leur continuité, et avant tout respecter ses droits. Incontestablement, liberté, égalité et dignité sont un viatique du droit de la santé qui imprègne tout le régime de protection des patients. L’hôpital, de jour comme de nuit, a l’obligation d’assurer un service d’urgence, d’accueillir et de soigner les malades sans distinction, ou de leur trouver un lieu de soins adapté à leur état de santé», rappelle-t-il. «Jusque-là, le nombre d’établissements sanitaires qui ne disposent pas de services d’accueil d’urgence reste considérable et il est regrettable que ceux qui existent ne soient pas aux normes. De plus, laissée à la discrétion du médecin, l’urgence est plutôt appréciée par l’étudiant en médecine, puisque couramment il est seul à gérer la permanence», regrette-t-il.
Salif KA