C’est une seconde nature sénégalaise de pointer un doigt accusateur sur une personne ou sur une catégorie quand survient un drame. On les jette en pâture un moment, en glose une semaine et range tout aux oubliettes pour toujours. Jusqu’au prochain drame. Il en a fut ainsi du naufrage du Joola, en 2002, de l’explosion de la citerne bourrée d’ammoniac de Sonacos, en 1992. Il en a été ainsi des bébés carbonisés de Linguère, du drame de l’hôpital de Thiaroye, de l’incendie de «Pak Lambaye», des marchés, comme à Kaolack. Il en sera ainsi de l’incendie de l’hôpital Mame Abdoul Aziz Sy «Dabakh». Comme à Louga et Linguère, un ou deux lampistes – souvent le directeur, le pauvre – est démis et paie notre négligence à tous. Et, comme par magie, nous croyons avoir réglé le problème. Non, il n’est pas réglé. Parce que le mal est dans le système. C’est, en effet, notre système, notre mode de vie fait de je m’en foutisme, d’irresponsabilités à tous les étages qui a besoin d’une thérapie de choc, d’un exorcisme national.
Cela n’absout nullement la responsabilité pleine et entière de la tutelle. Depuis hier, sur les réseaux sociaux, des indignés réclament la démission de Diouf Sarr. Certes, en tant que ministre de la Santé, il est, au premier chef, responsable de tout dysfonctionnement dans le secteur qui lui est confié. Une responsabilité pour laquelle il est grassement traité : nourri, logé, blanchi, transporté au frais du contribuable. Mais, est-il le seul responsable ? Non ! Nous sommes tous coupables, chacun dans le cercle de responsabilité qui est le sien. Le père de fa- mille, pour l’éducation de ses enfants. L’instituteur, pour l’instruction et l’éducation de ces dits enfants, une fois qu’ils lui sont confiés. Idem pour le maitre coranique. Mais, il se passe comme un déni de responsabilité, chacun rejetant la sienne sur l’autre. Quand cette irresponsabilité se double d’une pagaille assumée, on n’en est que plus exposé aux calamités que nous habillons du défaitiste «Ndogalou Yalla». Dans les quartiers, il n’est pas rare de voir des familles vider leurs fosses dans la rue ou y ériger des tentes sous prétexte de cérémonies familiales. Si vous avez le toupet de le re- lever, vous encourrez la potence pour un comportement jugé «toubab».
Donc, personne n’est responsable de rien. Tout le monde s’indigne en silence et se complait dans cette situation d’irresponsabilités en cascade jusqu’à ce que ça nous pète à la gueule pour s’empresser de chercher des boucs émissaires et les désigner à la vindicte populaire. Si ça peut soulager nos consciences, tant mieux. En revanche, ça laisse sédimenter un fond fait de scories et de légèretés où personne n’est, en définitive, responsable de rien ni de personne.
C’est commode de vouloir toujours re- jeter ses propres défaillances ou carences sur les autres. Ce qui est difficile, c’est de reconnaître les siennes propres dans le contrat social. Apparemment, notre société n’est pas encore prête pour ce sacrifice.
Ibrahima ANNE