Ce n’est pas être dans le catastrophisme que de se rappeler que les images que nous vivons en ce moment et les mots que nous entendons rappellent, à quelques nuances près, la crise de 2008. Il y a une sensation de déjà vécu.
On est comme embarqué dans une machine à remonter le temps. La situation de 2022 évoque, dans notre subconscient, une année que le monde a connue difficile. Il s’agit de l’année 2008. Une crise dite des Subprimes, sortie des algorithmes des banquiers, spéculateurs boursiers et immobiliers, née aux Etats-Unis, eut des répercussions jusque dans nos pauvres Etats. Le Sénégal, connecté au reste du monde, connut une passe difficile issue d’un enchevêtrement de facteurs, à la fois endogènes et exogènes. L’électricité fut quasiment rationnée. Des quartiers entiers de la capitale voire des villes de l’intérieur du pays pouvaient rester 12 heures d’affilée sans la moindre lueur. La lampe tempête et la lampe torche firent un retour fracassant dans les foyers. Les entreprises de fabrique de bougies, grossistes et détaillants de ces objets à mèche incandescente se frottèrent les mains. Et pour ne rien arranger, profitant de cette ténébreuse situation, un sulfureux homme d’affaires ayant pignon sur le mazout, fit importer une cargaison de fioul à la senteur frelatée. Sa mise dans le circuit Senelec bousilla la mécanique.
En attendant que tout cela soit géré, le président de la République d’alors, Abdoulaye Wade, envoie des missions dans les pays pétroliers pour obtenir des facilités d’approvisionnement. Des businessmen foireux y voient une occurrence en or pour se faire du pognon. Qu’importes factures et surfactures ! Le Trésor public a ordre de payer sans trop s’attacher aux détails de la Comptabilité publique. L’urgence est signalée.
La distribution de gaz n’était guère en meilleur état. Les ménagères, bonbonne de gaz vide sur la tête, arpentaient les artères de la capitale à la recherche de l’objet rare. Au niveau des dépôts, l’arrivée d’un camion provoquait l’émeute. Il fallait user de ses muscles pour être servi. Les maigrichons et les gringalets pouvaient attendre le prochain et très improbable déchargement. Là aussi, comme solution alternative, c’était la ruée chez «Diallo Kerigne» du coin devant l’échoppe de qui il fallait être discipliné et observer la queue en rang serré.
En cette année 2008, les prix des denrées alimentaires connurent une hausse vertigineuse. Conséquence certainement de la répercussion des coûts du fret sur le produit livré au consommateur final. Les denrées de consommation courante prennent l’ascenseur. Alors directeur du Commerce intérieur, Amadou Niang, le nez constamment dans le guidon pour trouver solution au problème, tape dans l’œil de Me Wade qui en fait ministre du Commerce.
Le 1er mai, quelque 10 mille personnes protestant contre la forte hausse des produits de première nécessité défilent, à Dakar. «Président, nous sommes fatigués ! Le pays est cher !». «Trop, c’est trop ! Non à la cherté de la vie», pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants réunis à l’appel de la Cnts. On frôle les émeutes de la faim. Me Wade, comme pour allumer un contrefeu, réclame la dissolution de la Fao dont pourtant le Dg est…Sénégalais. «En dépit de tous les mérites de son directeur général (Jacques Diouf, Ndlr), c’est l’institution Fao qui doit être mise en cause», affirme-t-il dans une déclaration radiotélévisée sur la hausse des prix des denrées alimentaires. «Cette institution aux activités dupliquées par d’autres, apparemment plus efficaces (…), est un gouffre d’argent largement dépensé en fonctionnement pour très peu d’opérations efficaces sur le terrain», a-t-il accusé.
Quatorze années plus tard, toutes choses égales par ailleurs, on revit les mêmes images avec des véhicules en bataille dans des stations-services à la recherche de carburant, des avions obligés de faire le plein au départ avant de se poser sur le tarmac de l’Aibd ou des consommateurs contraints de casquer le prix fort, notamment en cette période de Ramadan, pour se procurer un produit de consommation courante. Et on renoue avec le vocabulaire de crise genre «un navire est attendu à Dakar», sorte de sédatif pour calmer les douleurs du consommateur. Pourvu que l’anesthésie prenne !
Ibrahima ANNE