CONTRIBUTION
La date du 06 février 2022 est désormais à marquer d’une pierre blanche et à inscrire dans l’histoire du football sénégalais et dans son histoire nationale, tout court. Si l’exploit de ramener à la maison la coupe d’Afrique tant convoitée est à porter au crédit de nos joueurs, de leur encadrement et, au premier chef, de notre vaillant, digne et serein entraîneur, Aliou Cissé, cette victoire est avant tout celle du peuple sénégalais. Ce dernier aura attendu plus de 50 ans et le 21è siècle pour que ce football (principalement amateur, pratiqué dans les ruelles étroites des villes et banlieues déshéritées, sur des terrains vagues cahoteux et poussiéreux et parfois à peine praticables, à l’occasion des fameux nawetaan) reçoive, enfin, l’onction du trophée continental.
Malgré ses déconvenues, ses désillusions et ses cruels revers (Sénégal 92), ce peuple n’a jamais perdu la foi, convaincu que le but était proche. C’est surtout qu’il aura toujours su reconnaître que les moments de bonheur ineffable, que dis-je, d’extase collective que les différentes générations de joueurs nous ont procurés, n’ont pas de prix dans la vie d’une nation.
La nation tout entière d’ailleurs et la diaspora aux quatre coins de la planète éparpillée se souviennent de ce fameux match d’ouverture de la Coupe du monde de 2002 qui a vu le David sahélien terrasser le Goliath gaulois. Ce fut l’occasion d’une exultation et d’une communion comme nous en avons rarement connu. Une joie partagée par nos autres frères africains, d’ailleurs, comme aujourd’hui encore. Nous nous souvenons, et nous nous souviendrons à jamais du fameux but de la mort subite inscrit par Henri Camara contre la Suède en huitième de finale de cette même compétition et de la liesse qui s’est emprise du pays et du continent. C’est certainement parce qu’il n’oublie pas ces moments que ce peuple a toujours su ronger son frein et s’armer encore et encore de patience. Ce peuple de supporters, de férus et de fins connaisseurs du football a d’ailleurs toujours su se comporter en seigneur en allant par exemple accueillir et porter en triomphe la génération de 2002 après sa sortie plus qu’honorable de la Coupe du monde ou encore, en 2019, l’équipe finaliste de la CAN défaite de justesse par l’Algérie.
Et c’est ce même peuple qui s’était mobilisé en 1986, à l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations organisée en Egypte…
Nous étions alors au primaire et chaque élève, chaque maison, chaque hameau, chaque quartier, chaque village et ville du Sénégal devait collecter 10, 25, 50 francs pour constituer un trésor de guerre pour nos braves Lions ! Et personne ne manqua à l’appel. À la même époque, une autre lutte, bien plus dramatique celle-là, se déroulait sur le continent et encore une fois, l’institution éducative sut répondre présent.
Nous nous souvenons tous de ce beau texte placardé sur les murs de toutes les classes du Sénégal : «L’apartheid est un crime contre l’humanité». Jusqu’à ce que l’on vienne à bout de cette horreur et que l’Afrique du Sud se libère de ce régime hideux. Le 6 février 2022, le peuple sénégalais a été également libéré car il aura su être patient. Il a été libéré de ses doutes, de ses frustrations, de cette anomalie qui voulait que nous ne remportions jamais cette coupe. Nous avons «dissipé les ténèbres» et placé le «soleil sur nos terreurs [et] sur notre espoir». Et nous voici désormais debout, fiers comme le roi de la savane du haut de nos échecs amoncelés et de nos sueurs froides.
D’où cette explosion de joie, cette ferveur collective et cette communion des cœurs quasi religieuse. C’est le peuple qui a gagné, oui, et personne d’autre ! Savourons donc cette belle consécration avec délectation et gourmandise. Enivrons-nous de cette coupe pleine d’une douce liqueur dans une action de grâce nationale, car elle a le goût apaisant du BONHEUR !
Lamine Racine Lamine KANE