CONTRIBUTION
«La seule chose que nous devons craindre, c’est la peur elle-même.» (Frank D ROOSEVELT)
Le vendredi 25 juin courant, les dociles et serviles députés de la majorité présidentielle ont voté une loi supposée lutter efficacement contre le terrorisme. C’est ainsi que la loi 65-61 du 21 juillet 1965, portant code pénal et la loi 65-61 du 21 juillet, portant code de procédure pénale ont été modifiées pour, semble-t-il, préciser davantage les faits pouvant être considérés comme relevant du terrorisme et, subséquemment, durcir et alourdir les peines y afférentes. Tout ceci n’est que l’aboutissement d’une logique de répression affirmée et décidée depuis les évènements du mois de mars. Le ministre de l’Intérieur, le premier, et les autres à sa suite se sont livrés à toutes les formes d’éructations pour qualifier les émeutes spontanées de mars d’actes terroristes perpétrés par des forces occultes étrangères dont l’objectif était de déstabiliser notre pays. Comme un élément de langage consacré et choisi à dessein pour préparer des mesures liberticides sous le prétexte plus que fallacieux de lutter contre ces forces occultes étrangères hostiles à notre pays, l’évocation du terrorisme est devenue une rengaine, un poncif d’un usage abusif, aux fins de justifier la volonté manifeste des autorités de mettre sous cloche nos libertés fondamentales garanties par la Constitution. Ainsi, sans en prendre réellement conscience et sans en mesurer forcément les risques et les graves conséquences qui pourraient en découler, nos gouvernants, avec la complicité vénale d’une certaine presse et d’individus membres actifs du complot, semblent jouer avec le feu. Savent-ils qu’est-ce le terrorisme ? Je parle de terroristes et non de djihadistes qui est une fabrication lexicale à connotation religieuse de l’Occident pour culpabiliser les musulmans et stigmatiser l’Islam. Terrorisme, un monôme polysémique difficile à cerner. En effet, il en existe plusieurs définitions. Le département d’Etat américain se référant à l’article 22 de la section 2656 du code des Etats-Unis définit le terrorisme comme «Acte de violence prémédité et politiquement motivé, perpétré contre des cibles non combattantes par des groupes ou des agents subnationaux, visant généralement à influencer un public.». Le Secrétariat à la défense en a une, tout comme le Bureau fédéral d’enquête (FBI). Comme on le voit, les définitions et les approches peuvent varier dans un même pays, a fortiori, à l’échelle internationale. Aussi, n’y a-t-il pas une définition universellement admise et ce, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas un terrorisme mais des terrorismes différents dans le temps et l’espace, dans leurs motivations, dans leurs manifestations et dans leurs objectifs. S’il n’y a pas une définition unanimement reconnue et applicable dans tous les Etats, il est, cependant, communément admis que le terrorisme se caractérise par la création et l’exploitation délibérée de la peur pour parvenir à des changements, généralement, d’ordre politique. Il s’agit indubitablement d’une forme de guerre psychologique. Et loin d’être un acte aveugle et irréfléchi, le terrorisme est en réalité une utilisation consciente et planifiée de la violence. Les effets meurtriers, la désolation et les dévastations causés par les actes terroristes sont programmés pour provoquer la peur et agir négativement sur l’existence morale des populations en menaçant leur sécurité personnelle, en entamant la structure sociale des Etats, en perturbant leur vie économique, culturelle et la confiance mutuelle sur laquelle repose la vie sociale ; en résumé, il s’agit d’une remise en cause de la sécurité ontologique.
Le refus de fréquenter les lieux publics, tels que les cinémas, les marchés, les centres commerciaux, les stades, d’emprunter les moyens de transports publics sont des réactions courantes et normales causées par la peur, l’incertitude du lieu ou du moment du prochain attentat terroriste. On parle alors de «victimisation indirecte». Malheureusement, c’est avec cette triste et grave réalité, lourdement et négativement chargée, que jouent nos autorités avec une inconscience, une insouciance et une légèreté incompréhensibles. Elles semblent vouloir réduire les actes terroristes au même niveau que les actes de violences ordinaires et quotidiennement enregistrés dans l’espace public. Ainsi, sous prétexte de combattre le fléau et de lutter contre le terrorisme, l’Etat a fait voter par l’Assemblée nationale, majoritairement composée de députés veules et pusillanimes, le projet de loi n° 10/2021. La représentation nationale a été sollicitée en procédure d’urgence sous prétexte que notre pays courait le risque de figurer sur la liste rouge des pays à la traine dans la lutte contre le terrorisme. De leurs propres aveux, le vote aurait dû avoir lieu depuis le mois de février ; le retard s’explique, facilement, par le fait qu’il fallait mettre à profit cette occurrence pour introduire de nouvelles dispositions, aujourd’hui, décriées par tous les esprits avertis et avisés. A l’analyse, la nouvelle loi renforçait moins les dispositions déjà existantes sur le terrorisme qu’elle n’en introduisait de nouvelles avec cinq objectifs majeurs :
–Neutraliser les responsables de l’opposition et les éventuels candidats à l’élection présidentielle de 2024, particulièrement Ousmane Sonko. Maintenir une épée de Damoclès sur leur tête pour empêcher toute forme d’activités politiques et d’appels à la mobilisation. A ne point exclure la neutralisation dans son acceptation militaire, c’est-à-dire l’élimination physique. A-t-on jamais vu le meurtre d’un terroriste ou supposé tel suivi d’un procès ? Ne serait-il pas une forme subtile et pernicieuse d’accorder une licence au meurtre facile ?
-Réduire au silence les activistes et autres lanceurs d’alerte, parce que constituant une menace plus dangereuse que les partis d’opposition traditionnels qui n’ont plus la force de frappe et de mobilisation nécessaires. Les mouvements citoyens se distinguent par leur organisation, leur meilleure structuration, leur prolifération et leur excellent travail de conscientisation et d’éveil des populations.
-Affaiblir l’impact des réseaux sociaux qui, à n’en point douter, constituent, dans l’écosystème médiatique, des véhicules d’une extraordinaire célérité dans la diffusion et la vulgarisation de l’information. La plupart des organes d’information et des patrons de presse étant dans le giron gouvernemental, les réseaux sociaux apparaissent comme les seuls espaces d’expression de la pensée libre et des opinions contradictoires.
–Etouffer les virulentes et persistantes contestations contre les nouveaux droits dont on nous avait caché la véritable signification. La nouvelle loi cherche à intimider les membres de «Sam djiko yi» et les empêcher de se déployer et de mener leur efficace campagne d’information et de sensibilisation. La manifestation récemment organisée à la Place de la Nation a démontré à suffisance leur extraordinaire capacité de mobilisation et l’adhésion massive des Sénégalais à leur discours.
–Répondre de façon officielle aux chefs religieux signataires de la pétition réclamant la criminalisation de l’homosexualité. L’Etat, à travers cette loi, criminalise la pétition de nos guides religieux qui, désormais, sont considérés comme de potentiels terroristes qui n’ont plus le droit ni le devoir spirituel d’évoquer l’homosexualité dans leurs prêches et leurs sermons sous peine d’être arrêtés et de voir leurs mosquées fermées, avec en prime la confiscation de tous les livres saints de leurs bibliothèques. Normalement et logiquement, chacun des députés qui ont voté cette loi, doit être déclaré persona non grata dans les familles religieuse.
Cette loi sur le terrorisme est plus que grave et dangereuse, elle vise à maintenir les Sénégalais sous les fourches caudines de dirigeants qui ne cherchent qu’à perpétuer leur règne, alors que celui-ci, au vu de notre Constitution doit prendre fin en 2024. La loi oblige les Sénégalais à une soumission totale, déshonorante, inacceptable et inconcevable dans une république ; elle réduit les populations à leur simple expression biologique qui ne peuvent et ne doivent se contenter et se suffire que de leurs besoins primaires comme indiqués par Maslow (manger, boire, aller aux toilettes et dormir), tout autre droit leur étant refusé ou soumis à autorisation du Prince.
Pour pouvoir atteindre les responsables des différents partis de l’opposition, mouvements citoyens et autres organisations, la loi a fait remonter la chaine des responsabilités jusqu’à leurs stations faitières et, qui plus est, avec la possibilité et la facilité de dissoudre la structure d’appartenance et la confiscation du patrimoine. Une loi scélérate qui offre à l’Etat les moyens d’anéantir toute structure et d’empêcher toute forme de contestation et d’expression d’un avis contraire ; c’est le règne de la pensée unique. La nouvelle loi est d’autant plus pernicieuse qu’elle est manifestement attentatoire à la vie privée, en ce sens qu’elle permet au juge, sur la base d’une simple présomption, de s’introduire et de fouiner dans votre intimité. Il peut même en profiter, s’il est adepte du voyeurisme, pour filmer et se délecter de vos ébats.
C’est dans ce contexte particulier et à l’occasion du vote de cette loi que l’ancien ministre des Affaires étrangères, comme à son habitude, a évoqué sur un ton grave la menace qui pèserait sur la ville sainte de Touba avec le mausolée de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké Khadimou Rassoul qui serait visé lors d’une prochaine attaque terroriste. Le ministre, dont c’est le fonds de commerce, voilà dix ans qu’il en parle, a été conforté auparavant par un ancien officier subalterne de l’armée sénégalaise qui n’a eu de cesse de seriner que le Sénégal est massivement infiltré par les terroristes qui n’attendent que le signal de leur hiérarchie pour désagréger notre pays présentement truffé d’explosifs. L’imminence d’une attaque terroriste est toujours renvoyée aux calendes grecques. Tous ces discours prononcés par ces personnes, ex professo, semble-t-il, relèvent d’élucubrations d’histrions de la scène politique en perdition et à la recherche de célébrité. Récemment, notre armée nationale, à l’endroit de laquelle certains (ils se reconnaitront) ne manifestent que peu d’égard, de respect, de considération et de confiance, a apporté un démenti officiel pour nier la présence de forces occultes ou étrangères sur notre sol. Les tenants de tels propos décrédibilisent nos vaillantes forces de défense et de sécurité qui font un excellent travail sur le terrain dans la plus grande discrétion et dans le plus secret comme l’exige la nature du combat. Il faut saluer l’efficacité de la communauté du renseignement qui abat un travail titanesque de surveillance, d’anticipation et d’activités proactives de mise hors circuit. Tenir des propos malveillants à l’encontre de nos vaillantes forces de défense et de sécurité équivaudrait à les considérer comme des flemmards, des pantouflards qui ne sont d’aucune efficacité, d’aucune perspicacité et d’aucune utilité. C’est faire montre d’un manque total de patriotisme que de s’adresser à nos militaires, gendarmes et policiers en des termes insultants et humiliants ; c’est comme si l’on voulait apeurer les populations et les préparer à cautionner la présence de forces étrangères, notamment françaises. Un tel comportement relève de la trahison. Notre armée est une armée de dignité et d’honneur qui aura toujours le soutien indéfectible du peuple dont elle est issue. Tous les patriotes s’approprieront sa devise «On nous tue, on ne déshonore pas».
L’ancien ministre des Affaires étrangères ainsi que tous les autres alarmistes doivent savoir que la ville sainte de Touba est protégée par les prières de Cheikh Ahmadou Bamba et que son ciel est sous la couverture d’un dôme de protection spirituelle qui garantit son invulnérabilité et la met à l’abri et hors de portée de toute agression de la part de forces extérieures malveillantes. Même en retenant l’hypothèse d’une infiltration, ces oiseaux de mauvais augures qui en réalité n’expriment que le fond de leur subconscient, doivent savoir que la force spirituelle du mouridisme, comme de toutes autres confréries religieuses du Sénégal, est capable de transformer littéralement toute personne infiltrée avec de mauvaises intentions en fervents talibés soumis et pénétrés des véritables axiomes de la foi islamique. «DINE AMOUL MOROM». Les mausolées de nos érudits sont inviolables, parce que tout simplement abritant des hommes qui se sont consacrés tout entier, purement, sincèrement et totalement aux enseignements du Coran et à la vénération du Prophète (PSL).
C’est vraiment peine perdue que de vouloir instaurer un climat de peur dans notre pays et spécifiquement au sein des familles religieuses. La menace terroriste ne peut être niée ; elle existe dans tous les pays. Seulement, au Sénégal, contrairement au discours officiel savamment entretenu pour des objectifs bien connus, la menace terroriste est de très faible intensité et faible prégnance dans les esprits ; elle n’a pas de prise réelle sur le comportement quotidien des Sénégalais dont les préoccupations sécuritaires portent sur les actes de délinquance quotidiens qui polluent leur vie. Plus que le terrorisme qui, pour la plupart relève d’une lointaine réalité, les populations voudraient que les autorités consacrent davantage de moyens de tous ordres à la lutte contre l’insécurité qui ne cesse de proliférer, de progresser et de s’étendre sur l’ensemble du territoire national. S’il y a un terrorisme dont les Sénégalais ont réellement peur et s’en inquiètent, c’est celui de l’Etat avec ses lois liberticides et l’utilisation de nervis qui terrorisent d’innocentes populations sous les yeux de nos forces de sécurité sans réaction. Le moment viendra où les populations, convaincues de leurs pouvoirs et de leurs forces, transcenderont la peur.
«Rien n’est terrible, sauf la peur elle-même». (Francis BACON)
Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police de classe
exceptionnelle à la retraite