Les excuses tant attendues de l’Allemagne pour le massacre du siècle dernier en Namibie ont soulevé de nouvelles questions sur la façon dont l’Europe affronte son passé colonial en Afrique, affirme l’analyste namibien Emsie Erastus.
La semaine dernière, à l’issue des négociations avec la Namibie, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, annonce que le massacre perpétré par son pays dans son ancienne colonie est un génocide.
Il promet également une aide au développement de plus de 1,1 milliard d’euros (plus de 721 milliards FCFA).
Les colonisateurs allemands ont tué des dizaines de milliers d’Ovaherero et de Nama en Namibie entre 1904 et 1908. Cela représente environ 80 % des Herero et plus de 40 % des Nama. Leurs terres et leur bétail ont également été confisqués.
Il s’agissait d’une punition pour avoir pris part à un soulèvement.
L’annonce faite vendredi par les médias est une véritable mise en scène : une déclaration soigneusement rédigée, apparemment pour éviter toute culpabilité juridique. Elle est intervenue alors que la faction la plus importante de la communauté Ovaherero continue de tenter de poursuivre l’État allemand pour le génocide.
Le message était destiné à un public allemand sceptique qui, selon de nombreuses études, a peu de souvenirs des massacres ou du passé du pays en tant que puissante force coloniale ayant dominé le Togo, la Namibie, le Burundi et la Tanzanie d’aujourd’hui.
“Déclaration creuse”
Pour ce qui est de la pleine reconnaissance de son passé colonial en Namibie, l’Allemagne a toujours été réticente à le faire. Et ce, bien qu’elle ait fourni une aide au développement aux administrations successives depuis l’indépendance de la Namibie en 1990.
Les excuses peu enthousiastes présentées par un ministre allemand du développement en 2004, à l’occasion du 100e anniversaire du début du génocide, ont été vivement critiquées.
La clameur des communautés dévastées réclamant une reconnaissance sans équivoque du génocide, des excuses et des compensations s’est amplifiée. En conséquence, les deux gouvernements n’ont eu d’autre choix que de s’attaquer à l’éléphant dans la pièce.
Les négociations ont peut-être abouti à la reconnaissance du génocide, mais la déclaration est creuse.
Tout d’abord, la déclaration a été faite à la hâte pour des raisons domestiques et autres raisons politiques. Par conséquent, tout le monde, y compris le gouvernement namibien, a été pris au dépourvu.
Lorsque la nouvelle de la déclaration a fait le tour du monde, les chefs locaux représentant les communautés concernées en Namibie étaient encore en train d’être consultés sur la conclusion du récent cycle de discussions.
Certains experts locaux ont émis l’hypothèse que le moment avait été choisi pour attirer l’attention à la suite des excuses présentées par le président français Emmanuel Macron au Rwanda pour son rôle dans le génocide de ce pays en 1994.
Deuxièmement, l’accord a été largement critiqué parce qu’il ne répond pas à la principale demande de réparations.
L’argent que l’Allemagne va donner, qui est beaucoup moins important que ce que certains espéraient, est très spécifiquement destiné à des projets de reconstruction et de développement.
On ne sait toujours pas qui en bénéficiera. L’accord a été conclu sans la participation directe des communautés touchées par le génocide à la table des négociations.
Mais l’aide au développement elle-même est également problématique.
L’Allemagne a clairement indiqué qu’elle était prête à expier ses crimes coloniaux “sans les épargner ni les passer sous silence”.
Mais le pays doit aussi accepter les origines d’une vision racialisée du monde, qui place les autorités occidentales au sommet et les Africains au bas de l’échelle.
Une aide condescendante
À l’époque coloniale, les Africains étaient considérés comme des “barbares” qui n’avaient pas les capacités d’apporter des changements économiques et technologiques, justifiant ainsi l’intervention des puissances impériales.
Cette vision a défini la façon dont l’Occident percevait et présentait l’Afrique dans le passé, et les échos de cette vision peuvent être trouvés aujourd’hui.
L’aide au développement peut encore être présentée de manière condescendante, en maintenant une relation inégale.
Si elle est considérée comme une alternative aux réparations, avec moins de ramifications juridiques, elle ne démantèle pas la relation qui a permis au génocide de se produire en premier lieu.
Les peuples Ovaherero et Nama ne sont pas les seuls à réclamer des compensations aux anciennes puissances coloniales.
Divers groupes et pays ont demandé des réparations ces dernières années.
Le Burundi et la République démocratique du Congo réclament quelque 43 milliards de dollars (23 billions 81 milliards 72 millions FCFA) de réparations à la Belgique et à l’Allemagne respectivement.
L’année dernière, le roi Philippe de Belgique a exprimé ses “profonds regrets” à la République démocratique du Congo pour les abus coloniaux de son pays, sans toutefois présenter d’excuses complètes.
Si les déclarations de regrets et d’excuses sont de plus en plus fréquentes, le paiement de réparations reste rare.
Les ramifications juridiques, ainsi que la portée mondiale des demandes, ont fait hésiter les anciennes puissances coloniales.
En Namibie, les descendants des personnes tuées ont été déplacés de leurs terres natales, leurs cultures et leurs coutumes ont été déracinées. Certains vivent au Botswana et en Afrique du Sud, loin de leurs foyers ancestraux.
Les victimes juives ont reçu des réparations pour l’Holocauste, et les communautés Ovaherero et Nama se demandent comment elles peuvent obtenir la même chose.
Il n’est pas surprenant que l’annonce de l’Allemagne ait été rejetée par la plupart des chefs traditionnels, y compris ceux qui sont censés soutenir les négociateurs namibiens.
Le chef Manase Zeraeua des Zaraeua, s’exprimant au nom d’un groupe de cinq chefs alignés sur le gouvernement, a publié une déclaration dans laquelle il rejette l’accord qui ne répond pas à ses attentes.
Aucune concertation
Compte tenu de la gravité des meurtres génocidaires perpétrés, le montant proposé par les Allemands pour les travaux de reconstruction sur une période de 30 ans a été jugé inacceptable par les chefs.
Ils demandent également comment le gouvernement allemand est arrivé à ce chiffre.
Selon les chefs, les descendants des victimes Ovaherero et Nama n’ont pas été consultés lors des discussions, qui se sont déroulées à huis clos.
Pour garantir un résultat positif, il est nécessaire d’examiner les préjudices infligés par le colonialisme en écoutant directement les personnes qui ont été touchées.
Telle est la leçon que doivent tirer les anciennes puissances coloniales si elles veulent vraiment trouver la réconciliation.
BBC