Depuis son lit d’hôpital, Me Babou alerte sur le risque de contamination à grande échelle, au tribunal de Diourbel. Il dénonce le fait que malgré l’alerte émise sur un cas suspect, aucune mesure n’a été prise par les autorités judiciaires.
Alerte corona au Tribunal de Diourbel. Quand c’est un célèbre avocat qui chope le virus, ça fait du bruit. Me Abdoulaye Babou allonge la liste des célébrités sénégalaises atteintes de Covid. Il saisit le prétexte de son confinement pour dénoncer ce qu’il considère comme un «scandale». Sa plaidoirie hors prétoire tient du fait que le protocole sanitaire n’a pas été suivi par les autorités judiciaires, pour parer à toute éventualité. D’abord, la contamination à grande échelle qui menace le tribunal de Ndiarème. «Le mardi 5 janvier 2021, avant même le début de l’audience correctionnelle, nous étions tous dans la salle près d’une personne qui toussait très fortement. L’audience n’avait pas encore débuté. J’avais pris des précautions en allant aviser le juge qui allait présider l’audience. J’avais effectivement avisé devant témoin. Comme réponse, il m’avait servi : ‘On va voir’. Mais à la surprise générale, le juge avait continué à tenir l’audience. Avec ce Monsieur qui toussait sans arrêt dans la même salle, nous sommes restés pendant 3 heures de temps», relate Me Babou depuis son lit d’hôpital.
Constatant l’inertie de l’autorité, il avise, à toute fin utile, ses confrères et les autres travailleurs du tribunal. «Dès ma sortie de la salle d’audience, j’ai répété aux jeunes confrères et aux clercs la situation. Je leur ai fait avoir que j’ai porté l’information à la connaissance du président, mais rien n’a été fait. Les témoins existent», laisse entendre l’avocat qui boucle dix jours d’isolement à l’hôpital Dalal Diam de Guédiawaye. Et quelle ne fut sa surprise d’apprendre qu’il a chopé le virus. «Etant d’un âge avancé, je me suis adressé à des spécialistes car la Covid est vulnérable aux personnes d’un certain âge comme moi. Les médecins que j’ai consultés m’ont fait la suggestion selon laquelle dans des cas pareils, il vaut mieux aller se faire tester. Je me suis alors fait testé et on a découvert que j’avais ce virus. J’ai alors commencé le traitement et suivi le protocole», raconte Me Babou qui attend le second test de confirmation pour retrouver sa famille. «Au moment où je vous parle, le test d’après isolement s’est révélé négatif. Et comme le veut le protocole, il faut être testé négatif deux fois pour sortir de l’hôpital. J’attends les résultats qui doivent de parvenir demain (Ndlr : aujourd’hui)», se réjouit l’interlocuteur de WalfQuotidien.
«Le ministère de la Justice a l’obligation d’ouvrir une enquête»
Me Babou est outré par le dysfonctionnement qui mine le tribunal de Diourbel. Et loin de lui l’idée de dévoiler sa covidité. «Si je tiens à m’exprimer, ce n’est pas pour moi-même, mais je m’adresse à tous pour dénoncer le dysfonctionnement de la Justice. Ma personne importe peu, je me soucie de la santé publique», dira l’avocat. Qui s’interroge. Pourquoi quand j’ai avisé le juge devant siéger rien n’a été fait ? Quel est le sort de ceux qui ont été dans la salle d’audience ? Des victimes potentielles sont certainement rentrées chez elles avec le virus. «Il faudra bien qu’une enquête rétablisse les responsabilités. Le ministère de la Justice a l’obligation d’ouvrir une enquête pour voir est-ce que le tribunal devait tenir l’audience. Le président avait été au courant et malgré toutes ces informations aucune mesure concrète n’avait été prise», insiste l’avocat.
«Toutes les personnes présentes dans la salle d’audience sont en sursis»
Ce n’est pas la première fois qu’il en soit ainsi à Diourbel. C’est Me Babou lui-même qui avait révélé que des détenus incarcérés à la prison de Diourbel sont atteints de Covid. Il s’insurgeait du fait que malgré le risque de contamination des autres détenus, ils étaient toujours maintenus en prison. «Quand j’en ai parlé à la radio, des gens me l’ont reproché en me disant qu’il fallait régler cela dans la discrétion. Chose que je refuse parce que c’est un problème de santé publique et il fallait en parler quoiqu’il advienne», clame-t-il. Que s’est-il passé ensuite ? L’histoire lui a donné raison, en s’en souvient, car le frère du détenu contaminé, un clerc d’avocat, est finalement décédé.
Exaspéré par le manque de rigueur dont la Justice sénégalaise a fait montre, dans un contexte de Covid, Me Babou se dit prêt à être entendu dans l’enquête. «Nous devons être dans un pays de droit, dire la vérité et ne rien cacher aux Sénégalais. Cette affaire ne doit pas rester comme faits-divers. L’administration de la justice doit ouvrir une enquête et entendre tout le monde. Toutes les personnes présentes ce jour dans la salle d’audience et celles qui étaient en contact avec le gars pourront mourir dans l’anonymat. C’est ce type de comportement qu’il faut dénoncer à tout prix. C’est un véritable scandale qui s’est passé au Tribunal de Diourbel. J’assume tout ce que j’ai dit».
Pape NDIAYE