La disparition de Seyda Mariama Niass, fille de Cheikh Ibrahima Niass, fondateur de la Fayda, une branche de la Tidianya, laisse le Sénégal orphelin d’une figure ambassadrice de l’enseignement du Coran. Rappelée à Dieu, hier, à Dakar, la désormais fondatrice d’un institut islamique éponyme ne s’est pas seulement servie de son ascendance pour se faire un nom. Au contraire, elle s’est fait remarquer à travers ses œuvres sociales. Mais, également, du service rendu à plusieurs générations qu’elle a eu à former.
Rappelée à Dieu, à son domicile de Mermoz Pyrotechnique, samedi 26 décembre à l’âge de 88 ans, Sayda Mariama Niass, sa vie durant, ne s’est pas servie du nom de son défunt père pour exister. Elle a réussi à se faire remarquer de par son effacement, son affection au Coran et de son enseignement. «Pour l’avoir côtoyée pendant des années et appris à son école, je connais plusieurs qualités de cette vertueuse dame dont la sagesse, la générosité, l’hospitalité, la rigueur, l’intégrité, le courage, le franc-parler, l’ouverture, le patriotisme, la piété, etc. Elle était une valeur sûre, une référence pour tout un pays voire un continent», confie Coumba Ndoffène Diouf, un disciple de la Fayda.
Née le 24 février 1932 à Kossi, village situé à 7 km au sud-ouest de Kaolack, la regrettée Sayda Mariama Niass s’est très tôt familiarisée avec le écrits saints. Lorsqu’on vint annoncer sa naissance à son père, souligne Mbaye Thiam, historien et spécialiste de la branche tidiane des Niassène, ce dernier se trouvant dans une station mystique très élevée par l’intensité des zikrs marqua une pause et déclara : «Je m’attendais à la naissance d’un garçon, mais cette fille n’aura rien à envier aux hommes, elle dépassera de nombreux hommes par sa culture et son caractère», présageait le fondateur de la Fayda selon les écrits de Mbaye Thiam. «A l’âge de 5 ans, son père lui donna sa première leçon coranique. Mais peu de temps après, il se rendit en pèlerinage aux Lieux saints de l’Islam en 1937. Au cours de cette absence, il la confia à un Maure du nom de Mouhamed Ould Rabbani afin de poursuivre ses études. Ce dernier, chaque fois qu’il était empêché, demandait à son fils Mouhamed Mahmoud d’assurer sa suppléance», rappelle cet ancien proviseur du Lycée Valdiodio Ndiaye de Kaolack. Dans son ouvrage dédié aux héritiers de Baye Niass, l’enseignant informe que Sayda Mariama Niass a mémorisé et récité à l’âge de 15 ans «de belle manière l’intégralité du Saint Coran». Sa deuxième fille à obtenir ce grade, Baye Niass, très satisfait, lui remit un cadeau composé d’une vache et de son veau et de 2 «libbi dor» (louis d’or), selon Mbaye Thiam.
Malgré cette prouesse, renseigne-t-il, son père lui fait comprendre que la quête du savoir est un long chemin jonché d’embûches sur lequel, seul le travail confère le succès. C’est ainsi qu’après les études coraniques, elle engagea le cursus des sciences islamiques auprès de Serigne Amadou Thiam, en Guinée. «Elle y suivit les enseignements en sciences islamiques, en grammaire, en littérature arabe, en soufisme, en logique, en théologie et en rhétorique», note le livre.
Assistante d’enseignement à l’âge de 16 ans
Très jeune, âgée seulement de 16 ans, écrit Mbaye Thiam, Sayda Mariama Niass prenait en charge les petits talibés (apprenants). Quelques années après, elle se maria en 1948, avec El hadji Oumar Kane, un disciple de son père résidant à Dakar, le premier à partager la vision de Baye Niass dans la capitale sénégalaise. Ce changement de statut matrimonial, lit-on dans le livre, lui ouvrit les portes de la capitale sénégalaise en 1952. Toujours dans les écrits de Mbaye Thiam, on apprend qu’une fois à Dakar, la défunte alliait vie conjugale et enseignement du Coran. A l’avenue El hadji Malick Sy, dit-il, du quartier de la Médina de Dakar, une chambrette sise à l’entrée de la maison conjugale, lui servait de daara (école coranique). Elle y accueillait certains enfants du quartier. «Avec la massification, elle ouvrit d’autres daara. Un à Mermoz en 1988 avec le concours de l’Algérie et un autre à SacréCœur en 1991 grâce à l’appui de l’émir du Qatar. Ces daara sont des internats où 60 % des pensionnaires sont des étrangers originaires du Nigéria, du Ghana, de la Mauritanie, du Niger, du Mali, de la Gambie, du Libéria, de la Guinée, du Soudan, de l’Europe, des Usa… La présence d’enfants issus de la quasi-totalité des pays de l’Afrique Occidentale offre l’image d’une +Cedeao en miniature+», explique Mbaye Thiam.
Naissance du célèbre institut Mariama Niass ?
Le projet de création d’un institut islamique a toujours été l’une des ambitions phares de Seyda Mariama Niass. Cela, du fait qu’à la fin des grandes vacances scolaires, son daara se vidait. Elle eut l’idée, dit Mbaye Thiam, d’y introduire l’enseignement général. Cela, pour freiner l’exode de ses apprenants vers l’école française. Faute de moyens, ce projet peina à voir le jour. Finalement, lit-on dans le livre, c’est au cours d’une visite officielle en 1981 au village de Taïba Niassène que le chef de l’Etat de l’époque, Abdou Diouf, émerveillé par la belle récitation du Coran de ses petits talibés, décida de l’appuyer. De retour à Dakar, il lui accorda une audience pour l’encourager et s’informer de sa méthode d’enseigner. «A l’issue de cette rencontre, le Président se rendit compte de ses conditions de travail et lui octroya un terrain de 35 000 m2 au niveau de la Commune de Patte d’Oie. En 1984, Seyda Mariama posa la première pierre d’un complexe scolaire d’un coût de 7 millions de dollars», lit-on.
Instigatrice de la normalisation des rapports entre le Sénégal, le Soudan et l’Iran
Pour mobiliser les fonds nécessaires à la réalisation de ce projet, le chef de l’Etat d’alors lui avait remis une lettre de recommandation pour se rendre dans douze pays arabes. Le Soudan et l’Iran ne figuraient pas sur la liste, raconte Mbaye Thiam, mais son carnet d’adresses lui permit de s’y rendre, contribuant ainsi à la normalisation des relations assez froides qui existaient entre ces pays et le Sénégal. Sa tournée dura six mois, c’est-à-dire de septembre 1986 à mars 1987. «Le déclic intervint en décembre 1991. Profitant du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (Oci) qui se tenait à Dakar,
Seyda Mariama rencontra Sultan Ibn Abdel Aziz, ministre de la Défense du Royaume saoudien. Ce dernier impressionné par ce projet initié par une femme, lui accorda une importante subvention qui permit de réaliser la première tranche. Neuf ans après, son frère ainé Nayef Ibn Abdel Aziz, Prince héritier et ministre de l’Intérieur finança une deuxième tranche», dit-il. Ce complexe franco-arabe appelée «Daara Al Khouraan», ou «Keur Sultan» dispense des enseignements du préscolaire au secondaire en passant par l’élémentaire et le moyen et comprend deux sections : une section franco-arabe et une section arabo-islamique. Le complexe bénéficie de la coopération de l’Université Al Azhar d’Egypte et de la République Islamique de Mauritanie qui y affectent des enseignants. Pour la reconnaissance de l’institut, il faut attendre encore deux ans. Le complexe passe du statut de l’autorisation à celui de reconnaissance par le décret présidentiel N°96-834 du 8 Octobre 1996. Une vie couronnée de distinctions De son vivant, de par son engagement pour le rayonnement de l’enseignement coranique et de la vulgarisation de la pensée islamique, Seyda Mariama a reçu plusieurs distinctions. Au Sénégal comme à l’étranger, écrit Mbaye Thiam, les Etats et les associations reconnaissants de son œuvre remarquable, lui décernèrent d’innombrables prix. En 2007, elle reçoit le Prix du leadership féminin en matière d’éducation des mains de Viviane Wade, présidente de la Fondation Education-Santé. La même année, également, écrit Mbaye Thiam, elle fut choisie parmi les 300 personnalités invitées à l’Université Cambridge (Angleterre). Elle a aussi été nominée «Femme de l’année 2015», ajoute-t-il.
Sidy Lamine Niass : «Vous êtes une femme exemplaire, vous faites la fierté de tout un pays»
Toujours dans le cadre des distinctions, le 5 Juillet 2016, marraine de la cérémonie du Tafsir al Quran organisé par le groupe de presse Wal Fadjiri, les ambassadeurs palestinien et saoudien lui rendirent un vibrant hommage. A cette occasion, rappelle Mbaye Thiam, le défunt président directeur général dudit groupe, Sidy Lamine Niass, lui avait décerné une décoration. «Vous êtes une femme exemplaire, vous faites la fierté de tout un pays. A chaque fois que je vous rends visite, vous ne cessez de me rappeler les enseignements coraniques et ses valeurs universelles. Vous méritez amplement cette distinction», avait déclaré Sidy Lamine Niass. En 2018, Seyda Mariama fut désignée parmi les 10 femmes les plus influentes du Sénégal.
Salif KA